LA COMMERCIALITE PAR LA FORME (ou commercialité objective)

LA COMMERCIALITE PAR LA FORME
(ou commercialité objective)

         Les actes de commerce par la forme son les actes qui, même pris isolement, sont toujours commerciaux à raison de leur forme et quelle que soit la qualité de celui qui les accomplit. Ils bénéficient à cet égard d'une présomption absolue de commercialité. Ce sont la lettre de change (section 1) les actes de nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement professionnel ( section 2). Les activités des sociétés commerciales par la forme méritent une réflexion particulière   (section.3).


 SECTION I
LA  LETTRE DE CHANGE

A- D'après l'article 269 C.C. "la loi répute acte de commerce entre toutes personnes, la lettre de change". La lettre de change (ou traite) est régie par les article 269  à 338 du code de commerce. C'est un titre de crédit en vertu duquel une personne, le tireur  donne l'ordre à son débiteur - le tiré- de payer à un tiers appelé le bénéficiaire ou le porteur, une certaine somme d'argent à une date  déterminée. L'exemple est le suivant : un individu achète un objet à crédit. Le vendeur (tireur), lui fait signer une lettre de change (l'acheteur est le tiré). Cette lettre de charge constate l'engagement du tiré de payer à l'échéance déterminée la somme prévue (1000D) au tireur lui-même ou au porteur. Sans attendre l'échéance, le tireur remet la lettre de change au grossiste. Celui-ci  l'endosse et la remet à son banquier, qui à son tour versera au grossiste un somme inférieure du montant de la lettre de change pour tenir compte des intérêts, pour la période qui reste à courir jusqu'à l'échéance.

La lettre de change est donc un moyen de crédit et un moyen de paiement. C'est ce qui explique sa grand utilité et la rigueur qui l'entoure.  Le législateur considère que toute personne qui concoure à quelque titre que ce soit à la circulation de la lettre de change  accomplit un acte de commerce qu'il en soit le tireur, le tiré, l'avaliseur ou l'endosseur. Tous prennent un engagement commercial. Peu importe que la lettre de change soit souscrite par un commerçant pour les besoin de son commerce ou pour les besoins de sa vie domestique. La qualité des différents signataires n'a pas d'importance : tous ceux-ci peuvent être des non-commerçants, cela n'enlèvera rien à son caractère commercial et à la nature de l'engagement des différents signataires : toutes les conséquences qui découleront de ce cautionnement  commercial s'appliqueront : essentiellement inopposabilité des exceptions, prescription, etc.

         Mais si la commercialité de la lettre de change prend tout son intérêt en doit français en ce sens que c'est le tribunal de commerce qui est compétent pour connaître des litiges qui en résultent .Il n'en est pas de même pour le droit tunisien : le contentieux de la lettre de change ne relève de compétence la chambre commerciale que lorsque les litigants sont des commerçants.         

B- La lettres de change n’est  pas les seul instrument de crédit et de paiement . Le chèque est un instrument de paiement (et non de crédit). La billet à ordre joue la même fonction que la lettre de change (c'est un engagement de payer à un bénéficiaire une certaine somme d'argent à une date déterminée). Mais seule la lettre de change est un acte de commerce par la forme. Le chèque et le billet à ordre ne sont commerciaux que par accessoire. Le chèque et le billet à ordre souscrits par un commerçant pour les besoins de son commerce sont des actes de commerce, et ce n'est qu'à ce titre qu'il relèvent de la compétence de la chambre commerciale lorsque le litige oppose deux commerçants (autrement, ce sont des actes civils relevant la compétence de tribunal de première instance et du tribunal cantonal dans les limites de leurs ressorts respectifs).

SECTION II : LES ACTES DE NANTISSEMENT DE L’OUTILLAGE ET DU MATERIEL D’EQUIPEMENT PROFESSIONNEL

La loi n°2001-19 du  2001 sur le nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement prévoit la possibilité pour le vendeur à crédit ou de l’établissement qui finance l’acquisition du matériel d’équipement professionnel d’exiger la constitution d’un nantissement sur ce matériel en vue d’en garantir le paiement du prix. Le débiteur peut être commerçant ou non commerçant, il suffit qu’il soit un professionnel. L’article 11 de ladite loi dispose que  « les actes de nantissement  conclu conformément aux dispositions de la présente loi sont considérés des contrats commerciaux , les actions en justice y afférentes sont réputées affaires commerciales ».

Ce sont donc des actes de commerce quelle que soit la qualité des parties. Contrairement à la lettre de change la commercialité formelle déterminera la compétence juridictionnelle. L’affaire étant présumée commerciale, elle relèvera de la compétence de la chambre commerciale. 


SECTION III : LE PROBLEME DES OPERATIONS DES SOCIETES COMMERCIALES  PAR  LA FORME

         Avant son abrogation par la loi du 3 novembre 2000 portant promulgation du code des sociétés commerciales l’article  15/1° du code de commerce prévoyait que  les sociétés par actions et les sociétés à responsabilité limitée  « ont la qualité de commerçant.» L'article 48 alinéa 2 décidait de soumettre la société anonyme quel qu'en soit l'objet au droit commercial. L'activité de ces sociétés n'avait aucune influence sur cette qualification ; elles pouvaient avoir un objet civil, mais elles étaient toujours des sociétés commerciales. Ainsi, elles pouvaient avoir pour objet une activité agricole (loi n° 69-56 du 22 septembre 1969 relative à la réforme des structures agricoles, telle que modifiée par la loi n° 88-18 du 2 avril 1988 , et la loi  n° 89-43 du 8 mars 1989 relative à l’exercice des activités agricoles par les sociétés anonymes) ou professionnelle (avocats). Une disposition similaire n'existait pas pour la société à responsabilité limitée. Mais le recours à  l'analogie permettait d’aboutir à l’application de la même solution étant donné que comme les sociétés anonymes les sociétés à responsabilité étaient considérées par l’article 15 C.C. des sociétés commerciales par la forme. Avec  le code des sociétés commerciales la solution jadis propre aux sociétés anonymes est devenue la même pour toutes les sociétés commerciales par la forme. L’alinéa 1er  de l’article 7 de ce code précise en des termes non équivoques que « toute société commerciale quel que soit son objet est soumise aux lois et usages en matière commerciale ».

A quoi sert cette commercialité formelle des sociétés ? La question se pose particulièrement concernant les sociétés commerciales par la forme à objet civil.
 Deux opinions s’opposent. Pour la première, la commercialité par la forme n’a d’autre but que de soumettre ces sociétés aux obligations de commerçants (obligations fiscales, comptables, etc.). Elles ne peuvent prétendre aux droits qui sont reconnus à ces derniers. Ainsi , une société commerciale par la forme et à objet civil ne pourrait pas prétendre au bénéfice de la loi sur les baux commerciaux. Cette opinion a pour elle l’argument du texte de l’article 7 du code des sociétés commerciales qui emploie le verbe soumettre. Ces sociétés sont soumises au droit commercial. La soumission n’est pas synonyme de bénéfice. On ne saurait donc les assimiler aux commerçants d’une manière totale.
Or ce serait là pour la seconde opinion un motif de discrimination contraire à la nature des choses. Il faut partir de la distinction entre commerçant personne physique et commerçant personne morale pour réfuter l’argument de la première opinion. Si le commerçant personne physique a une double vie qui autorise à distinguer les actes de sa vie professionnelle des actes de sa vie civile, il n’en est pas e même pour les sociétés commerciales qui ne sont créées que pour un seul objet, celui de faire le commerce (Ripert ; 309). Aussi, leurs actes sont-ils toujours des actes de commerce. Ainsi donc, même si elle a un objet civil comme l’exploitation agricole par exemple, ses actes sont commerciaux . Il n’en est autrement qu’exceptionnellement. A titre d’exemple une société anonyme de promotion immobilière est commerciale par la forme mais le législateur soumet ses actes au droit civil (art. 4 de la loi de 1990 sur la promotion immobilière).

Cette solution semble en harmonie avec le droit français pour lequel  sont commerciales à raison de leur forme et quel que soit leur objet, les sociétés et non collectif, les sociétés en commandite simple, les sociétés à responsabilité limité et les sociétés par actions (art. 1er al. 2 de la loi n°66-527 du 24-7-1966). Ce texte est le fruit d'une longue évolution qui commença avec la déconfiture de la société Canal de Panama, société par actions à objet civil . C'est ce qui la fit échapper à la faillite. De grands dommages en ont résulté pour les tiers. Par une loi du 1er août 1893 le législateur français a pallié cette défaillance, en retenant la commercialité formelle des sociétés par actions. Un loi du 7 mai 1925 avait étendu cette solution aux S.A.R.L. et enfin la loi de 1966 l'a généralisée au sociétés de personnes. La volonté du législateur était de pouvoir soumettre aux procédures collectives de droit commercial toutes les sociétés importantes même si elles ont objet civil.
Telle n’est pas la solution dans notre système. Seules en effet les SA et les SARL  sont commerciales par la forme. Les sociétés de personnes à savoir les sociétés en commandite simple, les sociétés en non collectif ne le sont pas. Elles ne sont commerciales que lorsqu'elles ont pour objet l'une des activités énumérées à l'article 2 du C.C.
        
         Il peut paraître regrettable que même avec la promulgation du code des sociétés commerciales le droit tunisien n'ait pas connu la même évolution que celle que le droit français a connue. Il convient toutefois de remarquer que le but consistant à soumettre les sociétés commerciales aux procédures collectives du droit commercial  a été partiellement réalisé ( en ce sens que  la faillite demeure une sanction réservée aux commerçants) par la loi du 17 avril 1995 qui ne distingue pas entre sociétés civiles et sociétés commerciales lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la procédure de redressement des entreprises en difficultés économiques.

         Quant à la compétence de la chambre commerciale, la commercialité par la forme ne semble pas d'une utilité particulière puisque le texte (l'art. 40/7° CPCC) ne distingue pas entre sociétés commerciales par la forme et sociétés commerciales par l'objet . De même, la distinction entre société commerciales et sociétés civiles semble ici dépassée dans le mesure où ladite chambre connaît des litiges relatifs au redressement et à la faillite des entreprises qui connaissent des difficultés économiques.

         Par ailleurs on s’interroge si la commercialité  par la forme rejaillit sur les actes que ces sociétés accomplissent pour leur existence et sur les actes relatifs à leur constitution ou leur dissolution . La réponse est importante pour la détermination de la compétence de la chambre commerciale. Le législateur a apporté des éléments de réponse. La chambre commerciale connaît des litiges relatifs à la constitution, la direction, la dissolution ou liquidation des sociétés sans distinction entre sociétés par la forme ou par l’objet.




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