La notion d’ouvrage public

 – La notion d’ouvrage public

Les notions d’ouvrage public et de travaux publics sont distinctes, de même que le régime
juridique qui leur est applicable ; des passerelles existent certes entre les deux notions ;
ainsi, le régime de responsabilité est identique, les dommages causés par la réalisation ou
l’absence de réalisation de travaux et les dommages causés par l’existence d’un ouvrage
public sont réunis sous la même dénomination de dommages de travaux publics ; mais
l’ouvrage public a un régime juridique propre (destiné à protéger l’ouvrage public vis-à-vis
des tiers, et à assurer la protection des tiers contre l’ouvrage, son existence et son
fonctionnement, qui est très protecteur).

En l’absence de définition législative de l’ouvrage public, il est possible d’en proposer une en
s’appuyant sur la jurisprudence : « un immeuble résultant du travail de l’homme, appartenant à
une personne publique et affecté à une activité d’intérêt général, ou appartenant à une personne
privée à la condition d’être affecté à une mission de service public ».

Il résulte de cette définition deux conditions communes avec la définition des travaux
publics, mais aussi une condition finaliste, l’affectation à l’utilité publique, dont l’exigence
s’accroit selon que le bien est propriété publique ou propriété privée.
§ 1 — Les éléments de définition communs avec la définition des travaux publics : l’ouvrage
public est un immeuble résultant du travail de l’homme

A / L’ouvrage public est un immeuble

Le caractère immobilier est un élément commun avec la définition du travail public. Seuls les
biens immobiliers sont susceptibles d’être des ouvrages publics, ce qui exclut les biens
meubles, sauf s’ils peuvent être qualifiés d’immeubles par destination, avec un ancrage au sol
(durable et solide).

Le juge applique aussi, avec une démarche empirique, la théorie de l’accessoire ; un bien
meuble non fixé au sol peut être qualifié d’ouvrage public s’il est intimement lié au
fonctionnement d’un ouvrage public principal (sans lui, le bien principal n’a plus son utilité) :
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ex. de la cage de but de foot non fixée au sol – CE 15 février 1989, Dechaume, n° 48447 ; ou
des tribunes démontables mais spéciale

B/ L’ouvrage public est le fruit du travail de l’homme
Un élément naturel n’est pas un ouvrage public (ex. des cours d’eau entretenus par les
riverains mais qui n’ont fait l’objet d’aucun aménagement, une décharge sauvage, un terrain
nu (même modelé par l’homme, mais sur lequel rien n’a été édifié), le sous-sol des routes ou
les talus non aménagés, les chemins ruraux qui n’ont pas fait l’objet d’un entretien). Il faut un
aménagement (une modification du bien par l’homme), qu’il y ait eu des travaux (le plus
souvent des travaux publics). Par exemple, si la décharge n’est pas simplement un champ,
mais qu’elle a fait l’objet d’aménagements destinés à accueillir les déchets, elle sera qualifiée
d’ouvrage public. En jurisprudence, rien n’est imposé quant à l’importance et à la finalité de
l’aménagement (il n’est pas nécessaire, comme pour la domanialité publique, qu’il y ait un
aménagement indispensable à l’affectation au service public) ; pour autant, dans certains cas,
l’aménagement ne suffit pas à la qualification d’ouvrage public (l’aménagement d’un chemin
piéton au sommet d’une falaise, sur une propriété publique, ne suffit pas à donner au bien la
qualification d’ouvrage public, CE, 14 janvier 2005, Soltès, 233845).
§ 2 — La question de la propriété et de l’affectation
La qualité du propriétaire est indifférente à la qualification d’ouvrage public.
Par principe, les ouvrages publics appartiennent aux personnes publiques, mais rien
n’empêche qu’ils appartiennent à des personnes privées (même si c’est moins fréquent).
En revanche, l’exigence de l’affectation sera différente, selon que le bien immobilier est
propriété d’une personne publique ou d’une personne privée (pour éviter que soit étendu
trop largement le régime juridique attaché à la qualification d’ouvrage public).
• Si le bien est propriété d’une personne publique, la simple affectation à l’intérêt général
suffit ;
• Si le bien est propriété privée, il est ouvrage public lorsqu’il est affecté directement à un
service public.
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A — L’affectation à l’intérêt général pour les biens immobiliers propriété des personnes
publiques

Un ouvrage propriété d’une personne publique est un ouvrage public dès lors qu’il est
affecté à l’intérêt général. C’est un critère essentiel, il faut une affectation à l’intérêt général,
qu’il s’agisse d’une affectation au public ou à un service public (et sur ce dernier point, quelle
que soit la nature du service public, SPA ou SPIC).

Cf CE, 1e octobre 1971, Société nouvelle foncière du Cap Ferret, req. n° 78313.
Malgré l’exigence d’un aménagement et d’une affectation à l’utilité publique, les qualifications
d’ouvrage public et de domaine public (pour des biens immobiliers propriété d’une personne
publique) ne coïncident pas toujours. Certes, c’est le cas pour les biens du domaine public
immobilier, qui sont des ouvrages publics (sont exclus de la qualification ouvrage public les
biens du domaine public mobilier, ou les dépendances du domaine public naturel, car non
aménagées).

Mais la qualification d’ouvrage public est plus large : certains biens immobiliers du domaine
privé sont des ouvrages publics : les chemins ruraux ouverts à la circulation publique et
entretenus par le propriétaire public, les immeubles appartenant aux offices publics de
l’habitat, les immeubles de bureaux des personnes publiques (parce qu’affectés à l’intérêt
général).

De la même manière, les biens implantés sur le domaine public, mais qui ne sont pas affectés
à l’intérêt général, ne sont pas des ouvrages publics. Ce peut être le cas d’ouvrages, situés
sur le domaine public, mais occupés par des personnes privées qui y exercent une activité
purement commerciale (CE, 30 mai 1986, Laugier, n° 43684).

La qualification d’un bien immobilier comme ouvrage public exige donc une affectation à
l’intérêt général. Au regard du régime juridique applicable à l’ouvrage public, il est important
de savoir à partir de quand un bien immobilier revêt cette qualification, et quand elle cesse ;
autrement dit, à partir de quand peut-on considérer que le bien est affecté à l’utilité
publique, et à partir de quand il ne l’est plus. S’agissant de l’entrée dans le régime de
l’ouvrage public, il n’est pas exigé de classement (cf CE, 14 octobre 2011, Commune de
Valmeinier, n° 320371 : un parking public non achevé, donc non encore affecté au public - car
les travaux ont été interrompus en raison de l’illégalité du permis de construire - est
considéré comme un ouvrage public). Pour ce qui est de la sortie de la qualification
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d’ouvrage public (donc la perte de qualité), il n’est pas nécessaire qu’il y ait un déclassement,
cette qualité d’ouvrage public cesse avec sa désaffectation (le régime protecteur de l’ouvrage
public n’est plus nécessaire si le bien ne présente plus d’utilité pour l’intérêt général ou le
service public ; CE, 27 mars 2015, n° 361673, Société Titaua ).

B — L’ouvrage public propriété d’une personne privée

Un ouvrage public n’est pas nécessairement un bien propriété d’une personne publique.
Traditionnellement, le juge admettait que certains biens privés bénéficient du régime
protecteur de l’ouvrage public (intangibilité, régime de responsabilité du fait de dommages
d’ouvrage public) : concernant la qualification d’ouvrages publics de voies privées ouvertes à
la circulation publique (CE, 30 mai 1974, Ville de Rueil, p. 247), ou des branchements
particuliers (d’eau, d’électricité ou de gaz) sur des réseaux publics (CE, 22 janvier 1960,
Gladieu, p. 52).

Le Conseil d’Etat a clarifié la situation juridique de ces biens propriété privée dans un avis
contentieux du 29 avril 2010, M. et Mme Beligaud, req. n° 323179, concernant les biens
d’EDF, et le statut des ouvrages de production d’électricité). Il en ressort qu’une personne
de droit privé (comme EDF) peut être propriétaire d’un ouvrage public si le bien est
directement affecté à un service public (et pas seulement affecté à une activité d’intérêt
général), peu importe la nature du service public, SPA ou SPIC. C’est une restriction par
rapport à la jurisprudence antérieure, mais qui n’est pas une rupture (le rapport de l’ouvrage
avec le service public doit être plus intense si le bien est propriété privée, pour pouvoir
bénéficier du régime juridique de l’ouvrage public)
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