La protection des travaux publics

Section1 — La protection des travaux publics

Il faut à la fois protéger l’exécution des travaux (faciliter cette exécution), et surtout
protéger l’ouvrage public (garantir son intégrité).

A — La protection de l’exécution des travaux publics

De manière générale, l’objet du régime des travaux publics est de protéger l’exécution de
ces travaux dans le but de défendre l’intérêt général auxquels ils répondent, par leur objet.
Le droit des travaux publics se caractérise donc par le fait de reconnaître à la personne
chargée de l’exécution de ces travaux un certain nombre de prérogatives spéciales pour lui
permettre de réaliser au mieux sa mission, notamment pour vaincre les réticences ou les
résistances des particuliers qui ne veulent pas des opérations qui transforment leur
environnement.

Cette protection est assurée par des sanctions vis-à-vis de ceux qui s’opposent à la
réalisation de ces travaux, mais aussi par des sujétions qui vont peser sur des administrés
pour faciliter l’exécution de ces travaux.

1/ Une mesure répressive
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Le code pénal prévoit une sanction pénale pour ceux qui s’opposent à l’exécution de travaux
publics ; Cf art. 433-11 du code pénal : « le fait de s’opposer, par voies de fait ou de violence, à
l’exécution de travaux publics ou d’utilité publique est puni d’un an d’emprisonnement et de
15 000 € d’amendes » (ex. : clôture d’un terrain, enlèvement de matériel de TP…).

2/ La sujétion pesant sur les propriétaires riverains

L’exécutant de travaux publics dispose d’un droit d’occupation temporaire des propriétés
privées ; en fait, il s’agit pour l’administration de pouvoir pénétrer dans des propriétés
privées pour préparer les travaux, et même de les occuper temporairement, voire aussi
éventuellement en extraire des matériaux, à défaut d’accord du propriétaire. Ce droit est
reconnu par une vieille loi du 29 décembre 1892 (avec des conditions : l’occupation doit être
autorisée par un arrêté préfectoral, valable 6 mois, avec affichage en mairie et notification au
propriétaire, une indemnisation est prévue ; cette autorisation a une durée limitée à 5 ans –
prorogeable), et si l’occupation entraine la réalisation d’un ouvrage permanent – pylône,
fondations en maçonnerie, il faut passer par l’expropriation) ; cela peut permettre de
préparer des projets de travaux publics (réalisation d’études de sols, relevés topographiques,
sondages, abattage d’arbres…, puis une fois les travaux commencés, la mise en place d’un
lieu de stockage provisoire des matériels, une aire de manœuvre, un droit de passage, la
possibilité d’extraire des matériaux le plus près possible du chantier…). On présente parfois
cette servitude comme un moyen d’éviter une expropriation (parce que l’utilisation du
terrain n’est que temporaire, le temps du chantier) ; mais c’est malgré tout une restriction
forte du droit de propriété – notamment du droit de jouissance, même si c’est temporaire
(ce qui la distingue d’une servitude de droit privé), et si c’est motivé par l’intérêt général.
Cette loi bénéficie d’une jurisprudence protectrice du Conseil d’Etat : sur l’existence de
motifs d’intérêt général, sur le champ d’application de la servitude (il faut qu’elle serve à
l’exécution de travaux publics – et pas seulement à la satisfaction d’un service public ; pas
d’aménagement définitif ; seuls les terrains non clos de murs ou non attenant à des
habitations sont concernés), sur l’application des règles de procédure (précision de l’arrêté).
Il n’en demeure pas moins que si les conditions posées par la loi de 1892 ne sont pas
respectées, l’occupation temporaire constitue une emprise irrégulière jugée par la juridiction
administrative (cette situation constituait une voie de fait avant l’arrêt Boergend de 2013 ;
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désormais, avec l’exigence d’une « « extinction du droit de propriété », l’occupation
temporaire ne réalise pas cette condition).

B — La protection de l’ouvrage public

La protection de l’ouvrage public est assurée à la fois par l’obligation de son entretien, des
garanties liées à sa construction (cf aussi le contentieux répressif ; par ex., l’art. 322-3 8e
Code pénal réprime la destruction volontaire de biens destinés à l’utilité publique - comme
la destruction d’un pylône électrique édifié sur un terrain privé sans respect des formalités
légales), et par le principe de son intangibilité.
Un ouvrage public ne doit pas être détruit (ou déplacé), si son propriétaire ne l’accepte pas,
en raison de son affectation à l’intérêt général. Le principe d’intangibilité est formulé par un
adage, « ouvrage public même mal planté ne se détruit pas ». Cet adage signifie que les
tribunaux, judiciaires (en cas de voie de fait) ou administratifs, ne peuvent pas ordonner la
démolition d’un ouvrage public achevé, alors même que son implantation est irrégulière et
porte atteinte au droit de propriété des personnes privées (empiètement sur une propriété
privée, non respect des règles d’urbanisme). La seule possibilité, pour la personne lésée par
la présence de l’ouvrage public, est d’obtenir condamnation du propriétaire de l’ouvrage
public à des dommages-intérêts.

Pendant longtemps, cette règle d’intangibilité trouvait un de ses fondements dans une
théorie jurisprudentielle, la théorie de l’expropriation indirecte : selon cette théorie, une
construction illicite ou par erreur d’un ouvrage public sur une propriété privée aboutissait à
son expropriation (et pouvait donc être compensée par le versement d’une indemnisation au
propriétaire victime de cet empiètement) ; cette théorie a été abandonnée par la Cour de
cassation (6 janvier 1994, Consorts Baudon de Mony c. EDF), confirmée par le tribunal des
conflits (TC, 17 décembre 2007, Delhaye, n° 3586). Il faut désormais que l’administration se
procure un titre de propriété (une régularisation) en respectant la procédure
d’expropriation (avec enquête publique et DUP).

Dans les situations dans lesquelles la régularisation n’est pas possible, le Conseil d’Etat a
évolué dans sa jurisprudence. Il y avait, en effet, un autre obstacle au prononcé par le juge de
la démolition d’un ouvrage public mal construit, qui justifiait ainsi ce principe de
l’intangibilité : il s’agissait de l’impossibilité pour le juge administratif de prononcer des
injonctions à l’encontre de l’administration (et notamment des injonctions de démolir). La loi
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du 8 février 1995 autorise désormais, dans ces conditions qu’elle détermine, le juge
administratif à prononcer des injonctions à l’encontre de l’administration lorsque la chose
jugée l’exige. Il n’y a donc plus d’obstacle à une injonction prononcée par le juge administratif
à la personne publique pour qu’elle détruise l’ouvrage public mal implanté.
Pour autant, le principe d’intangibilité de l’ouvrage public n’a pas disparu (on peut toujours
considérer que l’intérêt général servi par l’ouvrage public et l’intérêt financier de la personne
publique peuvent le justifier, par le coût de la destruction d’un ouvrage financé par des fonds
publics, et la possibilité d’utiliser des voies de cession forcée de propriété pour l’édifier à
nouveau). Le Conseil d’Etat en a cependant précisé les conditions et les limites de sa mise en
œuvre. Tout ouvrage public irrégulièrement implanté ne doit pas être forcément détruit, car
cet ouvrage est, par définition, affecté à l’intérêt général. Il faut donc :
• D’abord apprécier si aucune régularisation n’est possible : peut-il y avoir obtention d’un
permis de construire licite ? Une opération d’expropriation est-elle engagée ? L’absence de
possibilité de régularisation peut aussi résulter d’une inertie du propriétaire de l’ouvrage
public mal construit, qui va refuser de déplacer son ouvrage (par exemple pour EDF de
déplacer un transformateur).

• Ensuite, mettre en balance l’intérêt général qui a justifié son implantation et les autres
intérêts qui souffrent de la présence de l’ouvrage (les intérêts particuliers des personnes qui
ont été privées de leur droit de propriété, des intérêts publics comme l’atteinte portée à
l’environnement, au droit des monuments historiques…). Ces conditions rendent malgré
tout difficile la destruction de l’ouvrage. Elles ont été posées dans un arrêt de 2003 (CE,
sect. 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes maritimes et
Commune de Clans c. Mme Gasiglia, req. n° 245239).

Tout est affaire de situation. Si le juge constate qu’il n’y a pas d’atteinte excessive à l’intérêt
général, le juge peut enjoindre la démolition sous astreinte de l’ouvrage (pour une ligne
électrique : CE, 9 juin 2004, Commune de Peille, n° 254691 ; pour un projet d’aménagement
touristique : CE, 25 mai 2011, Communauté d’agglomération du lac du Bourget, n° 325552). En
revanche, la volonté de préserver l’intérêt général peut conduire le juge à faire obstacle à la
démolition d’un ouvrage public (cf le rejet d’une demande de démolition d’une cale d’accès à
la mer, pourtant implantée sur un site classé, mais jugée utile pour la sécurité des
conchyliculteurs, des estivants – CE, 13 février 2009, Communauté de communes du Canton de
Saint Malo de la Lande, n° 295885).
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Cette jurisprudence donne aussi possibilité au juge administratif d’ordonner la démolition
d’un ouvrage public non encore achevé, avec une application de la « balance » des intérêts
(affaire de Clans) utilisée différemment : CE 4 octobre 2011, Commune de Valmeinier.
Si l’ouvrage public mal planté ne peut pas être déplacé ou détruit, la seule possibilité ouverte
aux tribunaux consiste alors à allouer des dommages et intérêts à la victime, au titre de la
réparation du préjudice causé par la construction irrégulière de l’ouvrage public et de sa
dépossession (responsabilité pour faute de l’administration).
S’agissant de la compétence du juge pour ordonner cette démolition.
Le Tribunal des conflits avait, en 2002, jugé que le juge judiciaire pouvait aussi ordonner le
déplacement ou la démolition de l’ouvrage public, mais seulement lorsque l’implantation de
cet ouvrage résulte d’une voie de fait (TC, 6 mai 2002, Binet c/ EDF, n° 3287). Concernant
l’application du principe d’intangibilité de l’ouvrage public, la Cour de cassation suivait la
même solution que celle utilisée par le Conseil d’Etat : priorité donnée à la régularisation de
l’ouvrage sur sa destruction (demande d’un permis de construire, par exemple), et cette
destruction ne pourra être ordonnée qu’après avoir vérifié qu’elle n’entraîne pas une
atteinte excessive à l’intérêt général (Cass. 28 juin 2005, n° 03-14165, concernant une
station d’épuration empiétant en partie sur une propriété privée).

Une évolution récente concerne la compétence du juge judiciaire et la notion de voie de fait.
Celle-ci a été considérablement resserrée en 2013 par le tribunal des conflits (TC, 17 juin
2013, Bergoend c/ ERDF Annecy Léman, n° C3911). Selon la définition donnée dans cet arrêt, il
y a voie de fait lorsque l’Administration a pris une décision manifestement insusceptible
d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative (condition que le juge
rejette le plus souvent, s’agissant d’une implantation, même sans titre, d’un ouvrage public
sur le terrain d’une personne privée), et qu’elle a porté une atteinte à la liberté individuelle
ou a abouti à l’extinction du droit de propriété. C’est sur ce dernier point que porte
l’évolution, puisque n’était exigée, avant 2013, qu’une simple atteinte au droit de propriété,
alors qu’elle doit désormais être tellement grave qu’elle aboutit à l’extinction de ce droit.
Or, cette condition est très rarement présente sur des questions d’intangibilité de l’ouvrage
public, puisque, même si l’ouvrage est réalisé sur une propriété privée, il ne fait pas
disparaître le droit de propriété sur le sol (sauf à ce que cette implantation exige la
destruction d’un ancien bien, mais pas dans le cas où la remise en état des lieux est possible).
La Cour de cassation s’est rangée à cette analyse du Tribunal des conflits, pour reconnaître
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que seul le juge administratif peut prononcer des injonctions à l’administration (Cass. 3 civ.
15 décembre 2016, M. X c/ EDF, n° 15-20953).

Une occupation irrégulière d’une propriété privée par la construction d’un ouvrage public, si
elle n’est pas qualifiable de voie de fait – parce qu’elle n’aboutit pas à l’extinction du droit de
propriété, constitue une simple emprise irrégulière. Et dans ce cas, c’est le juge administratif
qui a compétence pour réparer les conséquences dommageables de la décision
administrative, par injonction de démolir et validation d’une action en responsabilité (TC 9
décembre 2013, Panizzon).
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