L’indemnisation des personnes expropriée en droit français

§ 2 — L’indemnisation des personnes expropriée

L’attribution d’une juste et préalable indemnité doit être rattachée à l’article 17 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le principe d’une juste indemnité
est également affirmé par la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect
de ses biens, recherche d’un « juste équilibre » entre la sauvegarde des droits individuels et les
exigences de l’intérêt général - « compensation »).

A — La procédure de détermination de l’indemnité

Procédure organisée par l’art. L. 331-1 et s. (ex-art. L. 13-13) du code de l’expropriation.
Le juge de l’expropriation est compétent pour déterminer le montant des indemnités
d’expropriation, en l’absence d’accord amiable (ce qui est le cas 9 fois sur 10). Il peut être saisi
après l’arrêté de cessibilité, mais, pour accélérer la procédure (et pour obtenir une expertise
immobilière judiciaire), l’expropriant peut le saisir dès l’ouverture de l’enquête publique
préalable (à la DUP).
L’indemnité d’expropriation ne doit couvrir que l’intégralité du préjudice direct causé par
l’expropriation (ce qui correspond au montant de l’indemnité principale, qui représente la
valeur patrimoniale du bien exproprié, à laquelle s’ajoutent éventuellement des indemnités
accessoires).
Cette procédure s’organise en plusieurs étapes
1ere étape/ la notification des offres
A partir de l’enquête publique préalable, et dès qu’il est en mesure de déterminer les parcelles
concernées, l’expropriant doit notifier aux intéressés le montant de ses offres (art. L. 311-4
– ex-art. L. 13-3) - mais il n’est pas libre car il doit consulter France Domaine (la Direction
immobilière de l’Etat). Les intéressés ont 1 mois pour faire connaître leur réponse, et en cas
de désaccord énoncer leurs prétentions.
• Si les intéressés acceptent l’offre de l’expropriant, il y a accord amiable.
• S’ils la rejettent, ils doivent faire connaître leurs prétentions, et débute une phase
contradictoire, avec intervention du juge judiciaire (art. L. 311-5 ; ex-art. L. 13-4).
2e étape / La phase contradictoire : la saisine du juge
S’il n’y a pas eu d’accord amiable dans le délai d’1 mois à compter de la notification des offres
de l’expropriant, le juge de l’expropriation est saisi (par la partie la plus diligente ; mais
l’exproprié doit attendre l’ordonnance d’expropriation). Cette phase contradictoire va se
matérialiser par un échange de mémoires entre expropriant et expropriés, par une visite des
lieux par le juge de l’expropriation, en présence des parties (art. R. 311-15 ; ex-art. R. 13-26),
et par une audience des parties (art. R. 311-18 ; ex-art. R. 13-30) : audition des parties et du
commissaire du gouvernement (le directeur départemental des finances publiques, ou son
représentant), qui présente une évaluation motivée des propriétés. Le jugement intervient en
l’absence d’accord entre l’expropriant et l’exproprié, 8 jours après le transport sur les lieux.
Le juge de l’expropriation fixe l’indemnité d’expropriation
• L’appel et le pourvoi en cassation sont possibles contre le jugement de fixation de l’indemnité
(15 jours pour l’appel ; 2 mois pour la cassation).
• La question de la présence du commissaire du gouvernement
Cette intervention du commissaire du gouvernement a soulevé des questions d’impartialité.
La présence du commissaire du gouvernement à l’audience est-elle contraire au droit à un
procès équitable ? Pour la Cour de cassation, le commissaire du gouvernement est un
conseiller technique du juge de l’expropriation, et ne participe pas à la décision du juge de
l’expropriation.
Mais pour la Cour européenne des droits de l’homme (24 avril 2003, Yvon contre France), cette
présence du commissaire du gouvernement à l’audience est incompatible avec le principe de
l’égalité des armes, c’est une violation de l’art. 6§1 CESDH car « il occupe une position dominante
dans la procédure et exerce une influence importante sur l’appréciation du juge ». Pour le juge
européen, il est à la fois expert et partie : il dispose en effet d’un accès privilégié à certaines
informations (connaissance par les services fiscaux des valeurs foncières déclarées lors des
mutations ; accès au fichier immobilier sur lequel sont répertoriées toutes les mutations – et
le propriétaire n’y a pas accès ; et la méthode d’évaluation d’un bien consiste à comparer,
grâce à la connaissance des mutations immobilières précédemment réalisées pour des biens
aux caractéristiques équivalentes). Il occupe une position ambiguë, à la fois expert et partie,
car il représente l’Etat (d’autant plus qu’il peut faire appel du jugement rendu par le juge de
l’expropriation).
Le décret du 13 mai 2005 a modifié la procédure de détermination du montant de
l’indemnisation en cas d’expropriation, pour « conventionnaliser » l’intervention du
commissaire du gouvernement.
• Sur le choix du commissaire du gouvernement. Il ne peut plus être choisi parmi les agents
qui ont donné l’avis d’estimation préalable aux offres d’indemnité (avis de France Domaine).
Exigence d’impartialité.
• Le commissaire du gouvernement est soumis au principe du contradictoire. Il est tenu de
notifier ses conclusions (avec référence de tous les termes de comparaison sélectionnés) aux
parties, par LRAR 8 jours avant la visite des lieux, ce qui laisse aux parties la possibilité d’y
répondre jusqu’au jour de l’audience.
• L’audition du commissaire du gouvernement par le juge de l’expropriation n’est pas
obligatoire.
• Le juge de l’expropriation peut désigner un autre expert.

B — Les règles de fond

Le code de l’expropriation pose un certain nombre de principes destinés à guider le juge de
l’expropriation dans sa mission d’évaluation des biens expropriés.
Deux principes :
• L’indemnisation doit couvrir le préjudice matériel, direct et certain causé par l’expropriation
(art. L. 321-1 ; ex-art. L. 13-13) ;
• La réparation doit être intégrale.
Pour couvrir l’ensemble des préjudices causés par l’expropriation, le juge distingue d’une part,
l’indemnité principale, qui correspond à la valeur du bien exproprié et les indemnités
accessoires, correspondant à des dommages accessoires liés à la perte de propriété.
1/ L’indemnité principale
Elle couvre la valeur vénale du bien exproprié (avec une limite haute, qui est l’estimation faite
par le service des domaines), et elle va dépendre de l’état du bien, de sa situation, de
l’obligation de remise en état si le bien a été pollué…
Se pose la question de la date de l’évaluation du bien. Le principe est la détermination de la
valeur du bien à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété ; toutes les
améliorations portées au bien postérieurement à cette ordonnance ne sont pas
indemnisables ; mais il faut aussi éviter que les propriétaires ne soient tentés d’améliorer leur
bien pour obtenir une indemnité plus élevée, et cela avant le prononcé de l’ordonnance
d’expropriation. Sont donc présumées être des améliorations spéculatives les améliorations
postérieures à l’ouverture de l’enquête publique préalable ; elles ne sont pas indemnisables
sauf si ces travaux ont été « nécessaires pour une jouissance normale des lieux ».
L’évaluation des biens par le juge doit aussi prendre en compte l’usage effectif du bien 1 an
avant l’ouverture de l’enquête publique (pour lutter contre la spéculation foncière provoquée
par l’annonce des travaux d’utilité publique, des modifications du statut de constructibilité –
sauf si intention dolosive -, et éviter que soient prises en compte les variations du prix du
bien).

2/ Les indemnités accessoires

Deux illustrations :
• L’indemnité de remploi, destinées à couvrir les frais fiscaux que l’exproprié doit supporter
pour l’achat d’un bien de même nature (frais de notaire, droits d’hypothèque).
• L’indemnité de dépréciation du surplus. Elle est exigible dans l’hypothèse d’une expropriation
partielle, qui provoque une moins value du reste de la propriété (ex. d’une expropriation qui
provoque la division en deux parties d’une propriété, ou la suppression du jardin d’une
propriété).
Autres exemples : indemnité de clôture (si l’exproprié doit reconstruire une clôture autour
de ce qui lui reste comme propriété), ou indemnité de déménagement, indemnités de
licenciement… Il faut néanmoins démontrer l’existence d’un préjudice, et le lien direct avec
l’expropriation.

3/ Les caractères du préjudice indemnisable

L’indemnisation doit couvrir le préjudice matériel, direct et certain causé par l’expropriation.
Þ Préjudice direct. Est exigé un lien de causalité ; par exemple la perte de loyers, ou les
indemnités de licenciement pour les salariés qui ont refusé de suivre le propriétaire exproprié
dans ses nouveaux locaux.
Þ Préjudice matériel. Est de ce fait exclu le préjudice moral (pour une expropriation d’une
personne âgée du logement dans lequel elle avait toujours vécu…).
Le Conseil constitutionnel a admis la conformité à l’article 17 DDHC (caractère juste de
l’indemnisation) de l’absence d’indemnisation du préjudice moral (2010-87 QPC du 21 janvier
2011) : « la collectivité expropriante (n’est pas) tenue de réparer la douleur morale éprouvée par le
propriétaire à raison de la perte des biens expropriés ».
Þ Préjudice certain. Cela exclut les préjudices éventuels (ex. impossibilité de réaliser dans
l’avenir un projet de construction qui n’était qu’à l’état d’intention)
• La réparation doit être effectuée en espèces.
Art. L. 322-12 : « Les indemnités sont fixées en espèces ».
Il est possible, néanmoins, pour les parties de prévoir une réparation en nature, partielle ou
totale, de façon conventionnelle. Exemple d’un échange de biens (mais il faut l’accord de
l’exproprié).
L’art. L. 322-12 2e al. prévoit aussi la possibilité pour l’expropriant de proposer à un
commerçant, artisan ou industriel exproprié, un local équivalent dans la même agglomération.
L’exproprié ne peut pas refuser l’offre (Cass. 28 février 1996, n° 85-70005).

C — Le moment de l’indemnisation

L’article 17 DDHC exige une indemnisation « préalable ». Le transfert de propriété intervient
dès le prononcé de l’ordonnance d’expropriation, qui précède l’indemnisation. C’est la prise
de possession du bien qui est, elle, conditionnée au versement de l’indemnité. Si les personnes
publiques ne respectent pas cette condition, il y a emprise irrégulière.
Le code de l’expropriation prévoit une possibilité de consignation, qui permet une prise de
possession avant versement de l’indemnité (la consignation vaut paiement, dans certains cas).
L’intervention du paiement (ou de la consignation, ou de l’acceptation d’une offre d’un local
de remplacement) fait courir un délai d’1 mois dans lequel la personne expropriée doit quitter
les lieux. A défaut, elle s’expose à être l’objet d’une mesure d’expulsion
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