Section 1 : Le modèle américain de justice constitutionnelle
Lorsqu’on parle de modèle américain, on peut viser les Etats-Unis, avec
la naissance du judicial review,
qu’on traduit le contrôle de constitutionnalité. Il va permettre de comprendre
les raisons qui ont mené à l’apparition de ce système. Ça va permettre de
comprendre aussi pourquoi en Europe on a adopté un système différent.
§1 L’origine et les fondements du
modèle américain
Le contrôle de constitutionnalité des lois date de la présidence
Marshall. Dans cette décision, sans doute la plus célèbre qu’ait rendu la Cour
Suprême, 2 parties étaient opposées : d’un côté Marbury, et de l’autre
côté Madison. Au-delà des faits de l’espèce, comme dans les grandes affaires le
plus banales, on constate que quelques années après l’entrée en vigueur de
la Constitution de 1787, la Cour Suprême va se dire compétente pour un problème
juridique de première importance. La Cour Suprême peut-elle juger de la
conformité à la Constitution des Etats-Unis d’une loi fédérale adoptée par le
Congrès et alors que la Constitution n’a rien prévu en ce sens, et peut-elle
donc décider au final que si la loi est inconstitutionnelle, elle ne peut pas
s’appliquer ? Comment se fait-il que 9 juges peuvent-ils s’arroger de
contrecarrer des 430 membres des Chambres des représentants, et des 100
représentants qui composent la deuxième Chambre ? Pour comprendre, il faut
évidemment essayer de dégager les fondements du contrôle de constitutionnalité,
et montrer en quoi ils étaient justifiés par les rédacteurs de la Constitution
de 1787. Alexander Hamilton a produit plusieurs articles dans un journal. D’abord,
il faut souligner le principe sur lequel repose le contrôle de constitutionnalité
des lois était connu des constituants américains, et notamment de Hamilton.
Celui-ci en avait identifié les prémices, en Angleterre, dans la doctrine d’un
juge, dans un arrêt de 1610 dans lequel apparaissait le principe de « loi
supérieure ».
La Constitution de 1787 établit un véritable pouvoir judiciaire,
complétement indépendant des 2 autres. Le pouvoir judiciaire, incarné
précisément dans la figure de la Cour Suprême, est à égalité avec les 2 autres.
Il s’incarne dans la Cour Suprême, placé au sommet de toutes les juridictions
existantes aux Etats-Unis, et qui va donc pouvoir contrôler si les juridictions
inférieures appliquent correctement le droit. En deuxième lieu, la Constitution
de 1787 fait clairement référence au principe de hiérarchie des normes, en
affirmant en particulier la primauté des lois fédérales sur les lois des Etats
fédérés, ce qui est l’occasion de rappeler que les 13 colonies de départ vont
former entre elles un Etat fédéral qui coiffent, qui surplombent les Etats fédérés.
Certes, la Constitution ne dit pas que les lois fédérales doivent respecter la
Constitution. Mais, aux yeux des constituants américains, aux yeux de Hamilton,
la suprématie de la Constitution allait de soi, et au regard de cette
suprématie, l’idée était avancée que tous les juges pouvaient, par conséquent,
faire respecter la Constitution par les autres pouvoirs. On peut ainsi résumer
la pensée de Hamilton. Il part du point de départ de l’expérience vécue des
colonies américaines, qui, jusqu’à l’indépendance de 1776, ont dû subir les
conséquences du colonialisme anglais. Il constate donc que la loi peut être
mauvaise. La loi peut être contraire à l’égalité. Contrairement à ce qu’affirme
Rousseau dans Son Contrat Social,
la loi parfaite n’est rien d’autre qu’un mythe qui peut être remis en cause. La
conclusion s’impose, la loi peut être contestée si elle est fautive, si elle
est contraire au droit. C’est d’ailleurs pourquoi la Constitution des
Etats-Unis, contrairement à celle de l’Angleterre, a prévu et organisé la
limitation du pouvoir législatif. Et pour que ces limitation aient un sens,
pour qu’elles soient efficaces, effectives, il faut admettre qu’une
législation, contraire à la Constitution, puisse ne pas être valable. Comment
passe-t-on de cette première idée à son prolongement, qui est de confier ce
contrôler au juge, et même à tous les juges ? Hamilton avance des idées
simples. La Constitution, écrit-il, est non seulement la loi écrite du pays,
mais comme toutes les lois, elle doit faire l’objet lorsque cela s’avère
nécessaire d’une interprétation afin d’être correctement appliquée. Or, cette
fonction d’interprétation de la loi incombe bien sûr à tous les organes qui
l’appliquent, mais aussi au premier chef qui l’applique. C’est donc pour
Hamilton à chaque juge qu’il doit revenir à la fois, finalement, d’assurer
l’interprétation et l’application correcte de la Constitution en tant que norme
supérieure. Il conclut en ces termes, qui méritent d’être rapportés, « s’il
existe une contradiction entre Constitution et loi, la norme qu’il présente a
un caractère obligatoire et une valeur supérieure doit être préférée. En
d’autres termes, la Constitution doit être préférée à la loi, l’intention du
peuple a l’intention de ses agents ». Après quoi, il ne manquait
que l’application d’un litige pour que ces prémices théoriques puissent être
vérifiés. Ce fut le cas pour l’affaire Marbury contre Madison, jugés en 1803
devant la Cour Suprême.
§2 Les caractères du modèle
américain
Le modèle américain demeure emprunt d’originalité, et cela se vérifie à
bien des égards.
Ces éléments distinctifs du modèle américain se situe sur 4 plans :
-
Le premier caractère qui
s’impose est qu’il s’agit d’un contrôle de constitutionnalité diffus. On peut
souligner à travers cette formule que le contrôle de constitutionnalité des
lois peut être exercé par tous les tribunaux sans exception, c’est-à-dire, pour
simplifier, du tribunal de comté jusqu’à la Cour Suprême, qui est l’autorité
régulatrice dans le sens où elle va unifier la jurisprudence, placée au sommet
de la hiérarchie judiciaire aux Etats-Unis. On rencontrera aussi la formule de
contrôle décentralisé. Cela signifie aussi que le contrôle de
constitutionnalité, des lois en particulier, peut être mis en place partout,
tant sur les juridictions fédérales que sur les juridictions des Etats fédérés.
Ceci permet de souligner que toutes les juridictions américaines disposent
d’une plénitude de compétences, c’est-à-dire qu’elles peuvent compétemment se
prononcer sur toutes les questions que soulève un litige, que ces questions
soient de nature civile, commerciale, administrative, fiscale… et donc aussi,
sur les questions de constitutionnalité. On aura compris qu’il n’existe donc
pas aux Etats-Unis de séparation entre différents ordres juridiques, en raison
qu’il y a un seul ordre, qui est l’ordre judiciaire. Il n’existe pas, comme
cela est le cas en France, des juridictions judiciaires, des juridictions
administratives, et une juridiction constitutionnelle. Le résultat est qu’aux
Etats-Unis si une question de constitutionnalité se pose concernant une loi par
exemple, n’importe quel juge est compétent pour la résoudre, trancher la
question comme on dit en droit. Bien sûr, il existe aussi des possibilités de
recours contre les jugements des tribunaux inférieurs, et ces recours peuvent
conduire jusqu’à la Cour Suprême des Etats-Unis, qui se prononcera sur
l’ensemble des questions que soulève un procès, et qui le fera en dernier
ressort, c’est-à-dire définitivement. On dit encore en dernière instance. Ce
qui veut dire qu’il n’y a pas de recours possible contre les décisions de la
Cour Suprême. On aura compris que dans ce système, ce sont les arrêts de la
Cour Suprême qui sont déterminants, y compris ceux qui sont rendus les
questions de constitutionnalité, parce que, étant une juridiction suprême, ces
jugements, ces arrêts s’imposent à tous les autres juges.
-
Le deuxième élément consiste
en la nature. On parle ici de contrôle concret. Précisons les choses. On aura
compris que contrôle concret s’oppose à contrôle abstrait. Ça veut dire que le
juge saisie d’un litige va se prononcer dans le cadre d’un procès qui est en
train de se dérouler. Le litige est, autrement dit, né et actuel. Il se
déroule, il est en cours d’instance devant un juge. Et le litige va donc
opposer plusieurs parties qui sont impliquer dans un procès en train de se
dérouler. Et il peut s’agir d’un procès pénal. La question de
constitutionnalité va se poser dans le cadre du litige, et on comprend dans ces
conditions qu’elle n’ait qu’un des éléments qui conditionne la solution du
litige. Et en disant que le contrôle est concret, on veut dire par-là que la
Cour Suprême des Etats-Unis puisse se prononcer sur le plan des principes, et
de manière générale et abstraite, sur la constitutionnalité d’un texte. Il faut
au contraire qu’existe un cas dans le cadre duquel et pour la solution duquel
une question de constitutionnalité du texte à appliquer se pose. Et puis, dans
le prolongement de ces exigences, la Cour Suprême s’est interdit de trancher ce
qu’on appelle aux Etats-Unis les political
questions, c’est-à-dire des questions pour lesquelles le droit en vigueur
ne fournit aucune réponse, simplement parce que la question n’est pas à
proprement parler juridique, mais politique. Bien sûr, cela ne veut pas dire
que la Cour Suprême des Etats-Unis ne joue pas un rôle politique à travers sa
mission d’interprétation de la Constitution. Ceci est d’autant plus vrai que la
Constitution américaine est ancienne, et que certaines formules utilisées par la
Constitution ne sont pas très claires, et il revient par conséquent à la Cour
de leur donner le sens et la portée qui convient, compte tenu de l’évolution du
contexte politique, social, mais aussi compte tenu de l’évolution des mœurs et
de la morale. Pour illustrer ce propos, on peut prendre l’exemple la manière
dont la Cour Suprême a traité sur le plan du droit la question du statut des
minorités raciales, notamment la question des noirs aux Etats-Unis. En
utilisant les mêmes dispositions, elle a fait évoluer sa jurisprudence
totalement, passant d’une attitude hostile à l’égard des minorités à une
attitude plus protectrice. C’est ce qu’on appelle la politique
jurisprudentielle des juges. Politique jurisprudentielle évidemment qui peut
évoluer en fonction des propres orientations politiques des juges.
-
Il faut parler aux
Etats-Unis d’un contrôle par voie d’exception. Ce contrôle prendra la nom
d’exception d’inconstitutionnalité. Elle constitue la modalité principale du
contrôle de constitutionnalité des lois aux Etats-Unis. Un justiciable,
c’est-à-dire une personne qui est impliquée dans un procès en cours, va, au
cours de son déroulement, contester la constitutionnalité d’une loi, qui doit
être normalement appliquée. L’une des parties va donc s’efforcer de démontrer
que la loi est inapplicable pour résoudre le litige, et en général, il s’agit
d’une loi qui lui est défavorable, en prouvant qu’elle est contraire à la
Constitution. L’argument de constitutionnalité est invoqué par l’une des
parties comme un moyen de défense. C’est la raison pour laquelle on va parler
d’un contrôle par voie d’exception. Le justiciable, la partie intéressée par la
démonstration d’inconstitutionnalité, ne va pas attaquer directement la loi
frontalement en tant que tel, il attaque la loi par le détour en quelques
sortes, indirectement, par la voie de l’exception. Si le juge suit son
argumentation, et bien, il n’appliquera pas la loi en question, ce qui
permettra, selon toute vraisemblance, de gagner son procès. Si on parle de
contrôle par voie d’exception, c’est parce que la loi d’inconstitutionnalité
n’est pas la question principale. La question principale, c’est « est-il
coupable ou non ? ». L’exception d’inconstitutionnalité
signifie que la question de constitutionnalité, bien que très importante, n’est
pas la question principale, elle est une question accessoire. C’est de sa
solution que dépend la solution du litige. Autrement dit encore, la question de
constitutionnalité dans le cadre de l’exception à l’américaine est une question
incidente, accessoire, que l’on doit résoudre au préalable avant de statuer sur
le fond, c’est-à-dire sur le litige proprement dit. Mais c’est un point essentiel,
alors-même qu’il s’agit d’une question incidente, accessoire, préalable, le
juge saisie du fond du litige est compétent pour la résoudre. Il va donc se
saisir de la question de constitutionnalité, lui donner une solution, et une
fois qu’il aura statuer la constitutionnalité ou l’inconstitutionnalité de la
loi, il en tirera les conséquences sur le litige. Tout ceci montre que dans le
litige de l’inconstitutionnalité, le juge américain est à la fois juge de
l’action et juge de l’exception. Il va pouvoir se prononcer sur toutes les
questions accessoires, sur toutes les questions incidentes, et en particulier
ici, sur la question de la constitutionnalité. On aura compris que dans ce type
de contrôle, l’examen de constitutionnalité ne peut s’exercer qu’au moment où
la loi est appliquée, c’est-à-dire lorsqu’elle est déjà en vigueur. Elle peut
l’être depuis fort longtemps. C’est la raison pour laquelle, qui dit contrôle
d’inconstitutionnalité dit contrôle a posteriori. C’est là évidemment l’un des
avantages importants du système puisque cela va permettre, même très longtemps
après l’entrée en vigueur de la loi, de corriger son inconstitutionnalité.
Mais, c’est le revers de la médaille, ce mécanisme présente aussi des
inconvénients, parce que cela veut dire qu’une loi va peut-être avoir été
appliquée des milliers et des milliers de fois pendants très longtemps, avant
que quelqu’un ne se décide à en vérifier la constitutionnalité. Lorsque le juge
américain a considéré que par voie d’exception, la loi était inconstitutionnelle,
il ne l’annule pas, il la déclare inapplicable, c’est-à-dire que puisqu’il n’y
a pas d’application, il n’y a pas d’effet rétroactif. La loi pourra donc être
restée en vigueur pendant très longtemps, et conduire à des injustices,
puisqu’elle est inconstitutionnelle. Cela est tempérée par laquelle que l’idée
que si la Cour Suprême s’est prononcée, sa décision doit être respectée, ce qui
vaut à sa perte de validité.
-
L’autorité qui s’attache à
la décision rendue. Il y a deux manières de voir les choses : ou bien
l’autorité de la chose jugée est relative, ou bien l’autorité de la chose jugée
est absolue. Dans le modèle de justice constitutionnelle américain, l’autorité
de chose jugée est relative. La décision de constitutionnalité, si elle est rendue
par un juge d’un Etat fédéré au premier degré de l’échelon fédéral, n’est
revêtue que de l’autorité relative de la chose jugée. La loi ne sera pas
annulée, mais simplement déclarée inapplicable dans le litige précis dont le
juge a été saisi. Autrement dit, la loi reste en vigueur, et elle pourrait très
bien, comme restant en vigueur, être appliquée par un autre juge dans un autre
procès. C’est la raison pour laquelle d’autorité relative de chose jugée, parce
qu’en particulier, le jugement sur la constitutionnalité de la loi ne
s’appliquera qu’aux seules parties au procès où cela a été décidé. C’est la
raison pour laquelle que lorsqu’on parle d’autorité relative de chose jugée, on
parle d’autorité inter partes. Une
précision tout de même importante doit être avancée. C’est que si le procès
suit son cours, c’est-à-dire que s’il suit son processus habituel de voie de
recours, et comme le procès arrive jusqu’à la Cour Suprême des Etats-Unis, que
celle-ci confirme ou non la constitutionnalité de la loi, cela équivaudra à son
annulation, car en vertu de la règle du précédent, c’est-à-dire cette idée que
ce qui a été jugé vaut pour tous les cas semblables, combiné avec l’autorité de
la Cour Suprême, tous les juges sont obligés à se conformer à la décision de sa
jurisprudence sous peine de voir leur jugement annulé par la plus haute
juridiction de l’Etat.
Cette influence a été considérable, bien sûr le continent Nord-Américain
et Sud-Américain, mais également en-dehors des 2 continents. Beaucoup de pays
l’ont adopté : le Canada l’a adopté, sur le continent du Sud-Américain,
des pays comme l’Argentine, le Mexique ont fait de même. Sur le continent
européen, des pays ont fait de même, au rebours du modèle européen, comme la
Suède, la Norvège. Et très très loin, l’Australie, le Japon.
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