La doctrine pénale moderne
§1. La justification de l’arbitraire
Après le moyen âge, le travail fait par les jurisconsultes
va permettre d’augmenter
la liste des causes dans lesquelles il est possible d’arbitrer les peines,
ce qui est le signe de la modernité.
Comme le droit civil a été interdit d’enseignement à la
Sorbonne, l’université de Poitiers s’est développée en droit romain. Tiraqueau va consacrer un traité complet à la torture en 1559 « Des causes qui permettent de tempérer ou de
remettre les peines prévues par les lois », en fin de cause, Tiraqueau
parle de l’arbitraire. A l’époque, on présente les arguments pour et les
arguments contre.
Il développe une série
d’arguments qui autorisent le juge à arbitrer la peine et parmi ces
arguments, Tiraqueau met en avant les causes qui sont favorables à l’accusé,
par exemple le fait d’être issu d’une famille nombreuse, le scandale qui
pourrait peser sur la réputation de la famille, les antécédents positifs de
l’accusé, les services qu’il a rendu à la communauté, sa faiblesse physique, et
en sens inverse, il examine les causes défavorables à l’accusé comme la
récidive, l’atrocité du crime …
Cette manière de raisonner, on va la retrouver chez Jousse au 18eme
siècle avec les mêmes arguments.
Justifier l’arbitraire du juge ne signifie pas poser un
principe absolu. On a toujours laissé la porte ouverte à l’option contraire et
donc les jurisconsultes examinent aussi les limites de l’arbitraire, le cadre
dans lequel il doit se développer et ils sont d’accord pour dire que l’arbitraire doit
s’effectuer dans un cadre déterminé par les lois et par les coutumes.
Il doit respecter l’ordre légal du royaume ainsi que la jurisprudence des cours
royales et notamment des parlements.
La limite de l’arbitraire sous l’ancien régie est moins
juridique que morale. Dans le royaume de France qui est donc un royaume
chrétien, la fonction juger est presque
considérée comme un sacerdoce. A l’instar du
roi lui-même, les juges exercent leurs fonctions sous le regard de Dieu et donc
moralement, le juge a le devoir impérieux de rechercher la sanction la plus
juste, à la fois la sanction la plus
proportionnée au crime et en même temps la plus adaptée aux délinquants.
Jean Duret « il est besoin de rapporter la peine au
délit, il faut imiter les chirurgiens qui donnent un simple remède aux maladies
légères et appliquent des traitements plus lourds aux maladies graves ».
Bruneau XVIIIe siècle reprend cette comparaison avec la
médecine.
Si les jurisconsultes assimilent le juge à un médecin, ils n’assimilent pas le délinquant à un
malade. Quand on cherche à l’époque à mesurer aussi exactement que possible
la gravité de la faute, c’est afin de punir le délinquant à la proportion du
crime qu’il a commis, il ne s’agit pas de le guérir, de mettre en place les
moyens de sa réintégration future dans la société.
La question de l’amendement du criminel est loin d’être
entrée dans les mœurs. Une fois qu’a été prise l’exacte mesure de la
faute, la juge n’a plus qu’à déterminer le châtiment le mieux adapté. Jousse va le dire en 1771 « la peine pour être juste doit être
proportionnée au crime », en 1780 Nuyard de Vouglan « c’est dans la manière de proportionner les
peines au crimes qui consiste principalement le travail et l’industrie des
juges ».
L’arbitraire est également borné par l’autorité du roi. Au moyen-âge, le pouvoir royal ne s’est pas
mêlé des crimes ordinaires (homicide, coups et blessures, vol, adultère). A partir du 16eme
siècle parce qu’on voit se développer l’Etat et l’absolutisme, le pouvoir royal
intervient davantage grâce à une série de textes
répressifs. On va s’intéresser par exemple à partir de 1531 aux crimes de faux commis par les
notaires. En 1547 une déclaration
porte sur le crime d’hérésie (veille de la guerre de religion) alors que ça
ne relevait avant que des juridictions ecclésiastiques. C’est aussi un crime
fauteur de trouble public et c’est à l’Etat de faire régner l’ordre public. 1556 texte sur le recel de grossesse
car ça met du désordre dans les familles. 1579
déclaration sur les vols commis sur les grands chemins, c’est un crime qui
empêche la libre circulation et le commerce. Richelieu interdit le duel entre chevaliers alors qu’il veut
abaisser les nobles parce que le droit
de guerre est devenu une prérogative régalienne, il n’y a que le roi qui
puisse ordonner la guerre. Le blasphème
est un crime religieux dont la répression est récupérée par les tribunaux
royaux, le vagabondage et la mendicité (politique de l’enfermement général), les soldats du roi enferment les mendiants
dans les hôpitaux généraux qui sont en fait des prisons ou dans les îles,
ça permet de mettre en place une politique de peuplement, on arrêt les filles
du roi pour les marier à des colons et peupler le Canada ou l’Acadie.
Au 17eme siècle, on a une déclaration royale sur le vol domestique (commis par les serviteurs
à gage). Déclaration sur la récidive de
vol.
La législation royale reste fragmentaire, on est sur du cas
par cas, mais pour autant ça montre une volonté interventionniste et ça
constitue un cadre pour l’action de la justice déléguée. Si le texte royal prévoit une peine précise pour une infraction donnée,
le juge semble être tenu de la respecter et donc de la prononcer, on tente quand même d’encadrer l’arbitraire et de
le limiter.
La doctrine va quand même reconnaître une plus grande
latitude au juge pour des raisons d’équité : l’arbitraire du juge permet
de juger en équité. Ferrière XVIIIe siècle « l’équité qui est la
règle de la justice doit être préférée à la disposition de la loi elle
même ».
Les libertés des magistrats ne sont pas les mêmes selon la
hiérarchie juridictionnelle. Il faut distinguer les cours souveraines (justices supérieures déléguées où le roi est censé
être présent dont les parlements, les
chambres des comptes et seules ces cours souveraines disposent d’un
arbitraire complet, grand pouvoir d’appréciation à l’égard des lois du roi)
des autres tribunaux. Ces cours
souveraines elles-mêmes tentent d’astreindre les juges subalternes au respect
rigoureux de la législation royale et de la jurisprudence qu’elles
produisent, c’est particulièrement très clair au niveau des parlements, au 18eme siècle,
on s’aperçoit que les juges inférieurs ont tendance à
s’affranchir de ce carcan et à développer un arbitraire presque complet.
L’arbitraire des juges sert presque toujours à la modération
de la peine au 18eme, pourtant c’est à ce siècle qu’on a les
critiques les plus radicales de l’arbitraire des juges (c’est le siècle des
lumières).
Le principe qui prévaut sous les temps modernes est que dès qu’il y a mort d’homme,
les juges sont tenus de prononcer la peine capitale contre l’auteur des crimes.
Les juges ne peuvent que constater le
résultat matériel de l’acte et donc ça donne en cas d’homicide involontaire
ou excusable que l’auteur de l’infraction ne peut échapper à la peine capitale
qu’en demandant au roi avant le prononcé de la sanction une lettre de rémission.
Loisel au 17eme « Tout homme qui tue est digne de mort s’il
n’a lettre du prince ». Pas tout le monde est en mesure de demander
une lettre mais quand on la demande il
est assez facile de l’obtenir et la peine de mort est assez peu prononcée
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