Les srouces modernes du droit pénal
I – L’essor de la législation royale
A – Les ordonnances de 1498 et 1539
L’ordonnance de Blois de 1498 va entériner la distinction
coutumière entre la procédure ordinaire et la procédure extraordinaire qui
est la voie inquisitoire réservée à la répression des crimes. Elle précise deux
traits caractéristiques de la procédure extraordinaire : le secret couvre les délibérations (le
prévenu est seul face au juge), les conditions d’application de la torture. Il y a une question préparatoire destinée à obtenir l’aveu, une question ordinaire pour en savoir plus
sur le crime, la question préalable
pour obtenir le nom des complices …
L’ordonnance de Villers Cotterêts de 1539 touche à la réformation de la justice et la procédure
criminelle. Elle concerne aussi d’autres matières que le droit pénal (elle
ordonne l’utilisation de la langue
française pour tous les actes authentiques, elle ordonne aux curés de tenir les
registres paroissiaux). C’est presque un petit code de procédure pénale qui
va rester en vigueur jusqu’en 1570. On distingue bien la phase de l’instruction et celle du jugement.
L’instruction est menée par un juge unique dont les pouvoirs sont
considérables : il est le maitre du procès, il décide si on prend la
voie ordinaire ou extraordinaire (si on a affaire à un crime), il entend les
témoins. La voie ordinaire est
contradictoire dans la phase de jugement, elle est publique, il n’y a pas de
recours possible à la torture. Malgré l’arbitraire des juges, si on utilise
la voie ordinaire, il n’est pas possible d’utiliser la question. La voie extraordinaire est purement pénale,
l’accusé est seul sans avocat.
L’ordonnance de 1539 est bien accueillie par la plupart des juristes
parce qu’elle renforce
la sévérité pénale. L’idée est de terrifier les méchants et rassurer
les gens paisibles. Il y a quelques personnes qui vont critiquer cette sévérité
comme Charles
Dumoulin qui critique le secret de la procédure et le pouvoir excessif du juge
d’instruction. Il critique aussi les difficultés de la défense. Montaigne qui est écrivain mais aussi magistrat s’interroge sur
cette sévérité et sur le bien-fondé de
la torture en se demandant si la souffrance pousse à dire la vérité.
B – L’ordonnance de 1570
Louis XIV s’entoure de Colbert notamment et va faire un
certain nombre d’ordonnances qui tente de ramasser les règles de droits sur des
domaines précis, c’est presque une procédure de codification.
C’est plutôt une ordonnance de
procédure pénale, des praticiens sont chargés d’élaborer un projet dont le plus
éminent est Pussort qui est conseiller
d’Etat et oncle de Colbert. Le projet est terminé en 1570 et a été discuté
avec des représentants du parlement de Paris et promulgué par Louis XIV.
Le texte détaille au plus près le
procès pénal et va durer jusqu’en 1789. Le
procès pénal est organisé en 4 ou 5 étapes :
-
La mise en mouvement de l’action publique
Ça résulte soit de la plainte
privée soit de la poursuite d’office par le juge. La plainte peut émaner soit
de la victime, soit de sa famille, soit du parquet (partie publique). Pour tous
les crimes susceptibles du prononcé d’une peine
afflictive, l’ordonnance oblige le parquet à poursuivre.
Les juges du siège en plus du parquet se
voient reconnaître la faculté de poursuivre d’office : « tout juge est
procureur général ». L’idée est que l’Etat doit poursuivre tous
les crimes. Il a obligation de rendre la justice et là on touche à des
questions de souveraineté mais aussi d’ordre public, c’est éminemment
politique.
-
L’instruction préparatoire
Elle s’ouvre par la collecte des
pièces liées à l’affaire. Vient ensuite l’information qui est l’audition des témoins :
les témoins déposent secrètement et séparément et si les témoignages
semblent insuffisants pour poursuivre l’accusé, on a inventé le monitoire.
C’est une publication qui est faite dans les églises par laquelle l’évêque demande aux fidèles s’ils savent
quelque chose au sujet de l’affaire, il suffit d’avoir connaissance de
quelque chose même par la rumeur, on va établir des fractions de preuves qu’on
va collectionner pour avoir des preuves entières. On a utilisé un monitoire
pour juger le protestant Calas (on disait qu’il avait tué son fils qui voulait
se convertir au catholicisme).
Le magistrat instructeur a seul le choix de
choisir soit la voie ordinaire soit la voie extraordinaire en fonction de la gravité de l’affaire selon lui.
C’est la porte ouverte à l’arbitraire au sens premier et négatif du terme.
S’il opte pour la voie
extraordinaire il y a une troisième étape.
-
L’instruction définitive
Ça commence par le recollement des
témoins. On va les écouter une deuxième fois pour leur faire
préciser leur déposition, et là le témoignage devient définitif, ce qui veut
dire qu’entre la première audition et la deuxième, ils peuvent changer leur
témoignage. Puis on confronte l’accusé avec les témoins et c’est à ce moment seulement qu’on prévient
l’accusé des charges qui pèsent contre lui. L’accusé peut récuser certains témoignages en démontrant leur
inconsistance. A ce moment le procès est déclaré instruit et le magistrat
instructeur va transmettre
le sac (l’ensemble des pièces) à un juge rapporteur. Parfois le magistrat
instructeur est aussi le juge rapporteur. C’est donc aussi sur sa parole et
sa perception de l’affaire que le tribunal va se faire son opinion. Le juge
rapporteur peut avoir une vision très négative ou très favorable de l’accusé.
L’accusé comparait devant le
tribunal et là il est mis sur la sellette. Il se défend seul car il n’y a pas
d’avocat présent, mais les avocats
peuvent toujours soutenir un accusé de l’extérieur par des factums qui sont
transmises aux magistrats et au public. Seuls
les accusés les plus riches peuvent recourir à ce système de défense.
-
Les jugements
Il y a deux types de
jugement :
Le jugement interlocutoire intervient pendant le procès. La suite dépend de ce
que va dire ce jugement. Soit l’accusé a produit des faits justificatifs (excuse de provocation, légitime défense)
susceptibles de l’innocenter, soit il n’a pas réussi et alors on peut demander
la question si on est dans la voie extraordinaire. Malgré la sévérité de
l’ordonnance de 1570, il y a deux
conditions à la question : les preuves contre l’accusé doivent être
considérables, le crime doit mériter le prononcé de la peine capitale.
Le jugement définitif : il y
a deux solutions, où la condamnation à une peine, où l’absolution (le
non-lieu).
-
Les voies de recours
L’ordonnance rend obligatoire l’appel en cas de
bannissement perpétuel, de galères, d’amende honorable … Il y a une
exception en cas de justice prévautale (crimes
sur les grands chemins), les prévauts des maréchaux qui forment les gens par
dizaine aux armes agissent en dernier ressort, il n’y a pas de recours mais c’est la seule exception.
Une fois l’appel jugé, le
condamné peut encore s’adresser à la justice retenue du roi. Soit c’est la cassation (le conseil du roi joue le
rôle de Cour de cassation), soit c’est la grâce
royale. Ces ultimes recours sont très difficiles à pratiquer parce que l’exécution doit avoir lieu le jour du jugement.
Ces voies de recours ne sont pas
suspensives, la seule possibilité est de recourir au roi avant le prononcé
de la sentence, il faut que l’accusé soit aisé.
§2. Les limites de l’Etat répressif
Sous l’ancien régime, l’appareil judiciaire est à la fois complexe et léger par rapport à nos Etats actuels. Le roi n’a de juges
délégués que dans les villes, la maréchaussée ne s’intéresse qu’à une certaine catégorie
de délinquants, les crimes de grand chemin, la répression des bandes organisées, et au moins jusqu’à Louis XIV,
la police n’existe pas. Les moyens dont disposent l’Etat
contemporain en matière de répression criminelle, l’Etat royal de l’époque ne
les a pas.
Les conflits sont réglés de manière extrajudiciaire. Le
parquet du roi a bien mission de rechercher tous les crimes pour les punir au
nom du roi, mais il n’a pas les moyens de le faire dans tous le royaume.
L’information est donc très limitée, et très souvent, les juges laissent faire les arrangements extra-judiciaires pour se
consacrer à la répression des crimes les plus importants. La conséquence de
tout ça est que la
grande partie des affaires échappent aux tribunaux ce qui fait qu’il
y a un décalage énorme entre la criminalité officiellement réprimée et la
criminalité réelle. Il y a persistance des pratiques privatistes de règlement
des litiges.
L’Etat royal pratique une sorte d’autolimitation de ses pouvoirs répressifs en laissant
subsister et agir des coutumes provinciales ou en laissant le choix à des
instances non-étatiques de subsister.
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