Le développement de la procédure pénale


Le développement de la procédure pénale


La procédure criminelle est structurante, c’est des questions de procédure que se dégage l’évolution du droit pénal, c’est par ces questions qu’on arrive à comprendre l’importance grandissante de la puissance publique dans la répression de l’infraction c’est comme ça qu’on comprend la place qui est faite à la contrainte.

A partir du 13eme siècle on a des constructions procédurales complexes, ça donne un droit pénal médiéval intéressant. On a une légende noire qui s’est forgée sur le droit pénal du moyen âge, par exemple, la peine de mort est beaucoup moins appliquée au moyen âge au plan judiciaire qu’aux périodes qui suivent.

Entre le 12eme et le 15eme siècle, la procédure pénale est marquée par le passage d’une procédure accusatoire (pas d’accusateur pas de poursuite) à une procédure inquisitoire (le juge agit d’office). Cette évolution est redevable à l’influence de la procédure romano-canonique.

A – La procédure pénale romano-canonique


C’est le droit pénal romain pratiqué du 2eme au 5eme siècle, et l’église étant la seule institution restée debout après la chute de l’empire romain, elle a développé des procédures qui s’inspirent du droit romain. Elle est pratiquée dans les tribunaux ecclésiastiques.
Elle concurrence la procédure germanique, c’est même un contre modèle. En réalité les deux procédures se sont en réalité métissées.

Le triomphe de la procédure romano canonique est le passage de la procédure accusatoire à inquisitoire typique des pays méridionaux qui sont pays de droit écrit. C’est le droit canonique du fait de son rapport avec le droit romain qui permet dans les tribunaux royaux l’introduction de la procédure d’office. Le juge ecclésiastique peut se saisir d’office sur simple dénonciation ou à partir de la rumeur publique.

Vers 1230, la création du tribunal de l’inquisition va accélérer le passage à ce nouveau mode procédural, les tribunaux laïques se mettent à utiliser cette procédure. C’est dû à la résurrection de l’Etat : c’est lui qui poursuit, et à la redécouverte au 11eme siècle du droit romain.

En 1232 la Coutume de Narbonne prévoit que le juge peut se saisir d’office uniquement en cas d’homicide, en cas de sacrilège, en cas de vol ou de dommages ruraux graves. Et puis progressivement, on va étendre le champ des infractions contre lesquelles il est possible d’utiliser la procédure d’office et à la fin du 13eme siècle, le juge peut agir d’office dans toutes les affaires pénales de quelque conséquence : la procédure inquisitoire devient la règle.
Dans la charte de la croisade de saint Louis pour Aiguemorte en 1246, toutes les affaires pénales doivent être poursuivies d’office.
Dans le Nord coutumier, l’évolution a lieu aussi mais plus lentement, la souveraineté capétienne est en train de se mettre en place.

Le ministère public apparaît entre la fin du 13eme siècle et le début du 14eme, ça souligne bien cette évolution. Des praticiens du droit sont chargés par les parties de suivre la procédure et de rédiger certains actes (ce sont des procureurs qui s’occupent des particuliers) puis ils se spécialisent dans la défense du droit des rois devant ses propres tribunaux.

Les Olim sont les 4 premiers registres du parlement de Paris rédigés depuis le règne de Saint Louis jusqu’au règne de Philippe 5 le bon. En 1258 on décide de créer une section spécialisée dans les affaires judiciaires au sein de la Cour du roi (curia regis), c’est la Curia in Parlamentum : le premier parlement, celui de Paris. En 1278 il y a mention officielle pour la première fois d’un procureur du roi. On a une grande ordonnance de mars 1303 qui est une ordonnance de réformation qui consacre l’existence officielle des procureurs du roi. Ils vont assurer la défense du roi mais aussi une clientèle de justiciables particuliers.

Les procureurs du roi vont devenir les joncs du roi qui sont chargés de conserver les droits de la couronne sans diminution ni empêchement. Ce sont les magistrats du parquet qui sont les gardiens des droits de la couronne, mais ils ont aussi en charge l’ensemble du ministère royal. Le roi est investi d’un ministère public de justice, il est grand pacificateur. On va quasiment assimiler les procureurs du roi au roi lui-même et les charger d’accomplir ce ministère public de justice. Ils deviennent aussi les protecteurs de tous ceux dont la faiblesse recommande à la sollicitude de l’Etat : protecteurs des « miserabiles personae », ceux qui peuvent bénéficier d’une miséricorde (la veuve, les orphelins). Les fonctions des procureurs sont donc bien élargies, ils sont garants de la paix publique, ça va de l’exercice de l’action publique, ça passe par le contrôle de l’instruction, les conclusions et même l’exécution des sentences.

B – Les pouvoirs du juge pénal ou l’arbitraire des juges


L’arbitraire des juges a une connotation très négative, pourtant ce qu’on appelle l’arbitraire des juges ou des peines n’est pas si négatif, c’était même un progrès. Au début de la féodalité, on a une forme primitive de l’arbitraire qui est très négative, ce sont les juges et les seigneurs qui le pratique, ça leur permet de décider des peines sans tenir compte des règles, c’est le temps où la justice du seigneur est une opération financière. On a des inventions d’infractions, le non-respect des règles coutumières, ce qui fait que la justice pénale est vue comme une contrainte et non une justice.

Les chartes de franchise des bourgeois condamnent à peu près unanimement en Europe la pratique de l’arbitraire comme étant le signe de l’injustice. C’est à ce moment qu’apparaît un système municipal de peine fixe, le juge n’a plus le droit d’user d’arbitraire.
Au moment où la justice étatique se restructure, le système des peines fixes apparaît vite au pouvoir royal et aux juges royaux comme peu satisfaisant et impropre à garantir l’ordre public. On va abandonner la pratique des tarifs pénaux qui rappelle les lois barbares et on va voir les juges royaux condamner de moins en moins à des amendes et de plus en plus à des peines afflictives et infamantes. Tout le monde va dire que ces peines sont plus efficaces car plus dissuasives et on les considère même comme moralement plus justes (aussi problématique pour les riches que les pauvres).

La pratique de l’arbitraire des juges réapparaît donc dans la zone méridionale au début du 13eme siècle.  Au lieu d’appliquer de manière mécanique, les juges se mettent à examiner chaque infraction au cas par cas et ils considèrent l’ensemble des circonstances en particulier la personnalité du coupable. Ce qu’on cherche à faire ce faisant, c’est à personnaliser la répression pénale. Très vite on a cherché à justifier l’arbitraire, des juristes vont retrouver dans le droit romain une doctrine cohérente de l’arbitraire des juges et Ulpien a notamment retrouvé dans le Digeste (compilation des travaux de la doctrine romaine) la lex Hodie qui permettait aux juges de l’empire d’arbitrer les peines mais uniquement en cas de crime extraordinaire c’est à dire les crimes les plus graves, en cas d’atteinte à la personne mais aussi contre l’Etat. Les juristes vont imaginer qu’il est possible d’étendre l’arbitraire aux crimes ordinaires, celui qui le dit le mieux est Placentin en 1160. C’est celui qui admet pour la première fois que le juge peut infliger une peine plus lourde ou plus légère en cas de crime ordinaire pourvu qu’il le justifie. La doctrine pénale a donné à la lex Hodie une portée beaucoup plus générale qu’elle n’avait à l’époque romaine. Le juge se voit reconnaître le droit d’augmenter ou de diminuer la peine.

A ce compte, le terme arbitraire prend une autre signification, ce n’est plus fausser la justice, c’est aussi permettre une meilleure justice puisque le juge peut adapter la peine en fonction des circonstances atténuantes ou aggravantes. C’est plutôt positif pour le justiciable, voler une pomme avec un système de peine fixe mène à se faire couper la main, maintenant, si on a faim c’est une circonstance atténuante. L’arbitraire des juges à ce moment-là est une avancée vers la modernité.

Le pouvoir du juge même si on reconnaît sa faculté d’arbitrer la peine, n’est pas sans limite, il doit toujours respecter la mesure, la proportion entre la faute et la sanction. Vont entrer en ligne de compte des considérations comme la jeunesse de l’accusé, le caractère intentionnel ou pas, l’intérêt de l’Etat. Du côté des causes d’aggravation qui rendent le crime atroce, viennent en considération les liens antérieurs entre le coupable et la victime, les liens familiaux, les liens domestiques (le valet qui tue son maître), le lien du vassal au seigneur, la récidive. La liste de ces cas à partir du 13eme siècle ne va cesser d’être augmentée, on va véritablement s’intéresser aux causes et à l’environnement de l’infraction.

C – La pyramide judiciaire et le développement de la peine.


Au départ, le juge royal de base est le prévaut et le tribunal est la prévauté. Ce sont des juges qui sont habilités à statuer au civil et au pénal. On ne distingue pas les deux matières, et ce sont aussi les administrateurs. Aujourd’hui c’est impossible puisqu’il y a séparation des pouvoirs.

On avait aussi des justices privées (seigneuriales, ecclésiastiques) qui traitent des matières civiles et pénales. Les justices ecclésiastiques vont se spécialiser dans le civil, ils ne prononcent jamais la peine capitale. Tout ce qui tourne autour du mariage relève des tribunaux ecclésiastiques., ils vont aussi s’intéresser aux question patrimoniales. En matière pénale, moins d’affaires passent devant la justice ecclésiastique sauf des cas spécifiquement religieux comme le sacrilège et le blasphème.

Le bailli, juge du baillage (nom de la circonscription) est un juge supérieur au prévaut qui va être mis en place, il cumule aussi les fonctions de juge et d’administrateur et il est aussi juge d’appel. Il est juge de première instance pour certains cas concernant la qualité des personnes, les nobles sont jugés directement par le bailli en première instance puis ils vont récupérer les cas royaux (fausse monnaie). Dans le midi, le bailli s’appelle le sénéchal mais c’est la même chose.

Le parlement est l’échelon suprême de la justice déléguée. Au début il n’y a que celui de Paris, puis en 1443 on va un installer un à Toulouse, puis à Grenoble, notamment lorsqu’on va rattacher des territoires à la couronne : en 1481 la Provence est rattachée à la France et en 1501 on crée le parlement d’Aix.
On a des recours juridictionnels, la grâce, la rémission, et on a maintenant l’appel.

On a aussi la justice retenue, au moyen âge, elle prend des formes multiples, elle n’est pas aussi développée qu’à partir du 16eme siècle. C’est la Cour du Roi, le roi peut décider de juger une affaire qui lui paraît grave, les princes territoriaux, la haute noblesse sont jugés par ce biais.

On a aussi les coups de majesté, le Roi est fontaine de justice et il peut se débarrasser d’un adversaire définitivement par ce procédé. C’est comme ça que le connétable du roi peut se faire arrêter et décapiter, que Henri III fait exécuter le Duc de Guise. Le roi peut aussi faire emprisonner n’importe qui par une lettre de Cachet (c’est ce qui est arrivé à Mirabeau).

A partir du moment où il y a plusieurs parlements, on a un contrôle de plus en plus étroit qui est fait par le sommet de la pyramide, la justice est plus encadrée, la jurisprudence s’homogénéise, c’est aussi le signe de l’affirmation d’un Etat.

III – Peine et châtiment


A – Les peines


Les amendes constituaient jusqu’au 13eme la sanction la plus fréquente. Avec les progrès de l’arbitraire, de l’influence romano-canonique … on assiste à la multiplication des peines afflictives et infâmantes. Les amendes demeurent pour l’adultère de la femme et pour les coups et blessures peu graves. Une pratique se maintient pendant quelques temps, c’est le rachat pécuniaire de la peine corporelle. Les justiciables continuent de tenter de racheter l’exécution de la peine. On va parler de composition à justice, à partie, qui sont des transactions financières entre le coupable et la victime et sa famille. On estimera par la suite que le versement d’une somme d’argent ne suffit plus en cas de faute grave ne suffit plus à empêcher l’exécution de la peine. Ce qu’on essaie de mettre en avant, c’est un châtiment qui soit expiatoire et exemplaire. La peine va devenir individuelle, rétributive, et exemplaire.

-Individuelle : la responsabilité pénale pouvait être collective avant le moyen âge (chrénécruda). A partir du moyen âge, la peine ne frappe que le seul coupable. On assiste à un recul de la solidarité collective clanique et familiale. C’est l’influence du droit canonique qui fait triompher le principe de la personnalité des peines : « le châtiment sue le coupable ». Nemo punitur pro alieno delicto : personne n’est puni pour le délit d’autrui. « Qui fait la faute, il la boit ».

Il y a quelques exceptions quand même : le crime de lèse-majesté. Ravaillac a été écartelé, le coupable est exécuté mais la famille subit la privation de ses biens, on abat même les maisons de la famille, on abolit le nom, et parfois la famille est bannie, mais globalement la règle est celle de l’individualité.

-La peine est rétributive : le châtiment est analysé comme une juste contrepartie du délit commis. Le but est de restaurer la paix en rachetant le crime. St Thomas d’Aquin écrit dans la somme théologique que la vengeance est vertueuse lorsqu’elle tend à punir les méchants en ce qu’elle rétablit un ordre qui a été souillé.

-La peine doit être exemplaire : il y a assez peu de condamnations, une délinquance effective très importante, mais on n’arrive pas à punir, le problème est au niveau de la poursuite, il faut absolument que la peine soit exemplaire. C’est pour ça que les supplices sont atroces, il faut terrifier le peuple de manière à ce que personne ne s’aventure à commettre un crime. Tout est fait pour marquer la mémoire du spectateur. A travers l’exécution s’exprime une vertu pédagogique sur les spectateurs comme sur le criminel. Beaumanoir écrit les coutumes de Beauvaisis et dit « il faut que les criminels soient si raidement punis et justiciés que par la crainte de la justice, les autres en prennent exemple et ainsi se gardent de méfaire ».

Il faut au final surtout que la peine soit exemplaire plutôt que rétributive. Il faut compenser la différence qui existe entre la criminalité réelle et la répression.

B – Les châtiments


Au moyen âge la peine de mort intervient à l’issue d’un rituel particulièrement stricte. On exécute de jour, il peut arriver que les familles riches obtiennent l’exécution de nuit. Le condamné doit passer devant les églises où il fait amende honorable. Il a la corde au cou. Il faut qu’il y ait un public qui soit là pour contrôler le déroulement de l’exécution et pour participer à la honte que ressent le condamné, ils lui envoient des fruits pourris par exemple. Il est là aussi pour crier au miracle, si la corde casse ou si le bourreau rate le coup, c’est un miracle. Le bourreau a intérêt à être adroit sinon la foule prend parti pour le condamné.

La peine de mort n’est pas administrée de manière uniforme, elle tient compte du statut social du condamné, de la nature du crimeLes nobles sont décapités à l’épée car le roi ne peut les toucher qu’à la tête. Les roturiers subissent la peine capitale de différentes manières, les déserteurs sont roués vifs (on vous brise tous les os puis on vous attache sur une roue en attendant que vous mourriez d’asphyxie). Les faux monnayeurs sont bouillis vifs, les voleurs sont pendus. Les auteurs de crimes de lèse-majesté, crimen majestatis, (qui portent atteinte aux droits du roi) son décapités ou pendus, et après leur exécution, leurs corps sont démembrés et exposés. Certains crimes religieux sont punis par le bûcher.
Le crimen majestatis englobe toutes les offenses qui sont faites au roi ou à ses proches. Le fait de contester son autorité est un crimen majestatis et on se sert de la constitution romaine quis quis promulguée en 397 avant JC qui peut étendre la répression aux enfants du coupable, dans certains cas on tue ou punit les enfants. La peine de mort est très rare.

La peine la plus prononcée est le bannissement, ça permet de retrancher le criminel de la société, on ne connaît pas la prison sauf dans les Cours ecclésiastiques. Jeanne d’Arc est condamnée en 1431 à la prison pour femme, c’est une peine de prison pénitentiaire. Comme en prison elle a été surprise à remettre ses vêtements d’homme, elle a été brulée. C’est un cas exemplaire d’une condamnation à une peine de prison pénitentiaire.

Il y a aussi des mutilations qui sont soit des peines principales quand le crime n’est pas trop grave, soit des peines accessoires quand le crime est grave (on vous mutile puis on vous exécute). La mutilation peut servir aussi à marquer l’individu, c’est à dire à la désigner à la société comme ayant commis un crime.

On a aussi des peines infâmantes qui ont pour but d’atteindre le condamné dans sa réputation et sa dignité. Par exemple le fouet, l’exposition au pilori, on abat la maison, pour les nobles on coupe les bois. Il y a aussi la mort civile qui peut être une peine accessoire, on la prononce contre les contumaces, ça concerne aussi les bannis, ça veut dire qu’ils n’existent plus civilement. Les châtiments vont être très variés et très spectaculaires.


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