le Droit en tant que phénomène social et politique


Section 1 : le Droit en tant que phénomène social et politique

L’approche phénoménologique, qui considère le Droit comme un phénomène, repose scientifiquement sur une option intellectuelle, qui consiste non pas à s’intéresser à l’ensemble des règles qui considèrent que le Droit c’est que ça, mais à considérer ce qu’est le Droit d’un point de vue social, politique, et en partant de ce constant, en faire une approche fondamentale. C’est une approche sociologique du Droit, mais qui peut aussi être qualifiée d’approche anthropologique du Droit. Herlich, c’est le 1er à penser qu’il faut penser en-dehors du Droit, qui a été suivi par un sociologue et philosophe français (Emile DURKHEIM, 1858-1917) et un juriste français (Léon DUGUIS, 1859-1928, théoricien du service public). Dans ce cadre phénoménologique du Droit (l’ensemble des règles régissant une société), on constate que c’est un phénomène exclusivement social, c’est-à-dire à l’existence de sociétés, c’est-à-dire de groupes humains organisés. Il y a 2 groupes d’organisations collectives chez les mammifères :

-          Communautés, dans lesquelles il n’y a pas de Droit, mais une organisation ;
-          Les sociétés, où il y a du Droit.

Nous avons un fait qui nous oblige à vivre ensemble, c’est le fait que nos enfants, nos bébés, sont très fragiles. On a le besoin de vivre ensemble, dont le premier est d’être en couple, ensuite on a la famille, puis le village, etc… On a une capacité à vivre dans une société de plus en plus grande, car il nous faut du Droit. C’est quelque chose qui remplace la guerre. Pour étudier le Droit en tant que phénomène social et politique, il nous faudra nous étudier aux éléments fondamentaux du Droit (§1), et nous étudierons les débats politiques, anthropologiques (§2).

§1 Les éléments fondamentaux du Droit en tant que phénomène social et politique
Le Droit repose sur 2 préalables indispensables à son existence, et qui constitue les éléments qui fait qu’il y ait droit :
-          L’existence de l’humain, c’est-à-dire l’intérêt de vivre avec des individus, pour créer une société humaine ;
-          Le Droit suppose un consensus au non-recours à la violence pour résoudre les conflits.

A)     En tant que phénomène socio-politique, le Droit suppose l’existence d’une société humaine

Là où il y a société, il y a Droit « Ubi societas, ibi Jus » (adage juridique romain), qui veut dire que lorsque les Hommes entendus comme des mammifères ont constaté qu’il y avait société, il y avait Droit. Mais toujours le même Droit (Droit Egyptien, Droit franc, quelquefois il était écrit, quelquefois il était oral…) qui relevait de ce qui était interdit, de ce qui était autorisé, et qui organisait ainsi leur collectif et la résolution d’intérêts possiblement divergents. Un Homme seul ne peut pas produire de Droit, mais dès lors qu’il est dans un groupe, il peut créer du Droit, avec la sanction associée, pour ce qui est interdit de faire est faire. Le Droit suppose une société pour fonctionner, et a pour but de maintenir cette société, pour éviter que les uns et les autres s’entretuent, que les uns et les autres ne se supportent plus, dans quel cas il n’y aurait plus de société.
Il a une deuxième fonction, c’est la protection du groupe de la société. Le Droit va au-delà des intérêts de la société qu’il organise, il va aussi protéger les sociétés dont il est issu.
Premier processus : le Droit élit un chef issu d’un des membres du groupe, c’est organique. La société est nécessairement gouvernée.
Deuxième processus : c’est la désignation d’un arbitre, d’un juge, d’un sage, pour voir si la volonté du chef est bien conforme à l’intérêt du groupe. C’est une fonction très liée au Droit, qui est très liée à l’existence des sociétés.
Enfin, il faut des gardiens du groupes, des individus qui ont des fonctions de protection du groupe (gendarmes, policiers, des systèmes de contrôle des frontières aux groupes, etc…).
Au-delà de ces fonctions, il y a toujours un inspecteur des impôts, pour payer le gendarme, nourrir le groupe, et faire honneur au chef. Mais il ne produit pas de richesse, il en est gardien. Tout le fait que le Droit soit lié à la société. Ceci dit, le Droit ne se limite pas à l’existence d’une société, il est également nécessaire que ce groupe social accepte de ne pas recourir à la violence spontanée en principe de résolution des conflits.


B)     En tant que phénomène socio-politique, le Droit repose sur le consensus du non-recours à la violence spontanée

En effet, quand on étudie l’histoire des sociétés, lorsque les personnes ont un recours à la violence, c’est un Droit qui n’existe pas vraiment, mais si en tant que tel, il existe une société. La vendetta est un degré de violence assez avancé.
Les sociétés refusent le recours à la violence pour régler leurs différends.
Quand dans un système social, on en est à une situation où il y a du Droit.

Pour exister, le Droit doit avoir une acceptation collective d’une part, du principe du Droit et de ses règles, et le fait d’accepter le Droit devienne le principe d’organisation du collectif, ceci implique les individus renoncent à se faire justice soi-même. S’il y a quand même violence spontanée dans le Droit, ce ne sont pas tous les membres de la société.
Le Droit implique une création d’instances pour passer au non recours à la violence spontanée : le juge ; et au-delà du juge, il faut un exécuteur, un acteur qui va exécuter la sanction décidée par le juge (huissier de justice, commissaire de police, etc…)

Pour qu’il y ait Droit, il faut que les personnes concernées dans les sociétés acceptent de ne plus recourir à la violence spontanée. A partir du moment où on fait intervenir un juge etc… c’est de la violence organisée, institutionnalisée…
Ce n’est pas la peine que les personnes trouvent que la loi soit efficace, etc… ce qui importe, c’est que la sentence de la loi soit acceptée par l’ensemble du corps juridique. C’est le système de valeurs qui doit être sociologiquement intégrée.

Par exemple en Russie, dans des cas, comme dans les tzars, les sanctions sont extrêmement dures (torture…), qu’en France on n’a pas. Collectivement, la Russie trouve cela acceptable, alors qu’en France, ça n’irait pas du tout.
Le corps social fabrique des normes, des valeurs qu’il accepte.

C’est extrêmement rare que des personnes ayant connu des crimes dans leur famille (comme leur enfant), déplace des montagnes pour assassiner le meurtrier de leur enfant. Il faut que la violence soit régulée. C’est une forme d’acceptation au non-recours à la violence spontanée. Si le système juridique fonctionne à peu près, on s’en tient à cela.

« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit » Jean-Baptiste-Henri Dominique Lacordaire
C’est la concorde entre le groupe
La majorité violentée vient à se rebeller

Ce qui a de particulier, dans ce concept d’abandon de la violence spontanée, fini par façonner la société.
C’est pour ça que le Droit est un phénomène politique, au sens de l’organisation collective, au sens de la cité. Il est à la fois la structure de la cité, et produit par la cité. En assurant la propriété privée, en assurant la police des échanges, en assurant les rapports de famille, le Droit finit par conformer la société. C’est un processus dialectique.


§2 Les débats sur l’origine, l’être et les finalités du Droit en tant que phénomène social et politique

Il est d’usage de distinguer 2 grands courants de pensée :
-          Les doctrines naturalistes
-          Les doctrines positivistes
Ces doctrines sont toujours opératives.

A)     Les doctrines naturalistes

Elles sont tournées vers la nature et plurielles.
La conception de nature est variable selon la définition que l’on s’en fait.
Leur point commun, c’est que le Droit trouve sa source naturellement. Il y a cependant différentes doctrines :
1)      Le Naturalisme antique (grec) : la loi qui s’impose aux autres (l’eau ça mouille, l’homme meure, etc…)
2)      Naturalisme mystique : qui infère l’existence de Dieu.
3)      Naturalisme humaniste : c’est du droit qui s’applique à nous.


I/ Le jus naturalisme antique

Le premier à s’y être intéressé, c’est Sophocle.

La Nature comme fondement du Droit
Aristote (384 – 322 av. J.-C.)

Aristote considère que le principe même qui explique que le système des hommes qui acceptent d’abandonner la violence, par l’existence de la nature, entendu comme de l’ordre de l’univers, dans l’ordre naturel des choses que l’homme produisent le phénomène juridique. Il infère 2 niveaux de droits : le droit naturel (le juste milieu, qui vise un équilibre dans des prétentions) et le droit positif.
En conséquence, pour Aristote, le droit naturel est un phénomène supérieur à l’existence de l’humanité, il découle de l’ordre de l’univers, et il faut donc que les lois des hommes se conformes à ses lois de la nature, pour permettre aux hommes de vivre conformément aux lois de la nature. Par le fait qu’Aristote va également démontrer, par l’observation de la nature, qu’il est aussi possible de dire ce qui est juste de ce qui ne l’est pas. C’est un des premiers philosophes à avoir associé l’idée de nature et de Droit. Chez Aristote, ce qui est juste, c’est ce qui est équilibré. Ça a un rapport avec les rapports, avec les équilibres.
Pour les tenants de cette vision, l’ordre naturel, c’est-à-dire l’espace du Droit naturel, doit être la référence, c’est-à-dire le point de convergence, de conformité, du droit positif.
C’est ça qui permet de vivre dans une société juste.


II/ Le jus naturalisme mystique

Dieu comme fondement du Droit
Saint Thomas d’Aquin (1225 – 1274)

C’est un moine chrétien qui est un très grand philosophe. C’est l’un des principaux à s’être intéressés au Droit.

Pour Saint Thomas d’Aquin, il démontre l’existence de Dieu en Droit.
Son raisonnement repose sur la démonstration de l’existence de 3 types de lois :
-          La loi éternelle
-          Les lex naturalis
-          Les lex humana (droit positif, le droit des hommes)

Saint Thomas d’Aquin part du principe que Dieu est producteur de normes. Par exemple, il est interdit de tuer son prochain. Cette loi, en tant que telle, c’est une loi éternelle, qui ne peut finalement pas être comprise dans ses causes, dans ses finalités, car elle émane de Dieu, et ce que nous devons faire, c’est de simplement de la loi et de ne pas en discuter.
Ceci dit, on a quand même des écrits avec la volonté de Dieu : l’Ancien Testament et le Nouveau Testament.

Chez Saint Thomas d’Aquin, les Hommes doivent déduire de ses lois les règles, les normes, pour vivre en société.
La sanction que l’on peut inférer à une personne est à la hauteur de ce qu’il a fait.
Il y a une certaine hiérarchie dans les lex naturalis, mais ont pour fondement que Dieu est à la source de ces lex naturalis.

III/ Le jus naturalisme humaniste

L’Homme comme fondement du Droit
Thomas Hobbes (1588 – 1679)

Ici, les principaux sont tenants sont Hobbes & Grotius (1583 – 1645), qui ont apporté des pensées novatrices, qui vont très largement irriguer le Droit occidental, et le Droit français de façon substantielle.
Tous les 2 considèrent que l’origine du droit, la finalité du Droit, la substance du Droit, est la volonté naturelle des Hommes.

Ce sont ces penseurs qui ont fait que nous pensons en-dehors de la volonté des choses.

Du point de vue la pensée de Hobbes, il considère que la volonté des Hommes est en réalité une volonté violente, destructrice, dévastatrice « l’homme est un loup pour l’homme ».

Les hommes se dotent de Droit pour les empêcher dans leurs penchants naturels. Pour conserver l’existence du groupe, le groupe se dote de lois et de sanctions pour le non-respect de ces lois. C’est à partir de là que va être créer le pacte social, le contrat collectif. C’est la volonté des Hommes de dépasser leur nature.

Chez Grotius, lui, part du principe que l’Homme est naturellement bon, mais pas naturellement prédateur. Il a besoin de se constituer en famille. En conséquence de quoi, il a naturellement vocation à faire société. Et c’est à cette fin-là que par sa raison et sa volonté, l’Homme fabrique du Droit. Si chez Hobbes, le Droit est un outil pour éviter le pire, chez Grotius, le Droit est un outil pour réaliser le meilleur. La volonté des Hommes est à l’origine des phénomènes. Il y a une sorte de laïcisation des lois. Le Droit ne découle ni de la nature ni de Dieu mais des hommes, qui cherchent la concorde entre les groupes. Et c’est à cause de cette nature que ce courant relève au courant naturaliste.


Chez les 3, on retrouve une supériorité des lois aux Hommes, chercher ce qu’il peut faire, ce qu’il ne peut pas faire. Au-delà des livres, des codes, c’est la recherche d’une matrice supérieure, d’une énergie supérieure.
Le Droit, pour ceux qui pensent comme Grotius, ou Aristote, ou un peu Hobbes, il existe au-delà des textes juridiques, des énergies qui leur sont supérieurs.

Ex : Préambule de la DDHC
       Article 2 de la DDHC

B)     La doctrine positiviste

Elles sont également au nombre de 3.

I/ Le positivisme juridique

L’Etat comme origine et légitimité du droit
Rudolf von Ihering (1818 – 1892)
Hans Kelsen (1881 – 1973)

Pour ces 2 penseurs, C’est l’Etat qui est l’origine du droit.

Selon Ihering, le droit est le résultat de la lutte qu’il a fallu mener pour imposer l’Etat, devient l’espace et le principe d’action de l’Etat généré par le droit.

Selon Kelsen, le droit est constitué de normes (des lois, des décrets, des arrêtés, des traités) qui doivent, pour être des normes juridiques, être conformes à la Constitution (qui est la norme des normes). Et comme la Constitution est la norme qui établit l’Etat, si les règles doivent être conformes à la Constitution, alors les règles doivent être conformes à l’Etat.
Les règles sont hiérarchisées entre elles.  C’est ainsi que chez Kelsen que se construit une pyramide des lois. C’est la conformité de ces normes à la Constitution qui fait que ces règles sont des normes conformes.

II/ Le positivisme sociologique

La conscience collective comme origine et légitimité du Droit
Frédéric-Charles Savigny (1779 – 1861)
Auguste Comte (1798 – 1856)

Chez ces positivistes sociologiques, le Droit n’est qu’un fait associé au phénomène social. C’est une relation de cause à effet. Le Droit est le produit de la conscience collective du groupe.

Ainsi, pour Savigny, c’est la résultante de l’évolution historique de la conscience collective produite le peuple entendu comme un groupe d’humains, un vivre collectif, portés par une culture fortement partagée. Le droit exprime l’âme du peuple.

Chez Comte, on n’a pas ce romantisme politique. C’est plus français, comme conception des choses. C’est bien la conscience collective d’un groupe d’humains donné à un instant donné qui est à l’origine du droit, mais c’est la loi de la vie, qui est cette nécessité qui fait société, et c’est cette société qui fait le droit de cette société.

III/ Le positivisme marxiste

Le mode de production comme origine du Droit
Karl Marx (1818 – 1883) / Friedrich Engels (1820 – 1895)

Pour eux, le droit n’est que le reflet d’un mode de production qui est à l’origine du Droit dans une société donnée à un moment donné.
Le Droit constitue l’une des superstructures des sociétés (idéologie / droit / politique / religion).
C’est sur ces superstructures que se construisent les rapports de force de production, entre le patron et l’ouvrier.
Ainsi, le droit, dans la pensée marxiste, est une superstructure qui va participer au maintien des modes de production.
En conséquence de quoi, le droit est en vérité le vecteur permettant à la classe dominante de maintenir sa domination sur la classe dominée.

Ceci dit, le Droit peut également être pensé comme un système.


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