Les réflexions en matière pénale au siècle des
lumières (18eme)
On a une interaction de plus en plus forte entre les idées
politiques et le droit pénal. C’est un moment
de tension entre les théories du pouvoir et la notion de liberté individuelle
et cette tension se retrouve dans le droit pénal.
On voit apparaître le mouvement des réformateurs
du droit pénal qui ne consiste pas simplement en une doctrine des
limites du pouvoir mais aussi un nouveau
paradigme. Leur préoccupation sera de mettre en place les conditions d’un pouvoir limité lié par l’obligation de
respecter les libertés individuelles.
Le principe de la douceur des peines apparaît. L’idée est que le pouvoir étatique ne doit
punir que les actions interdites par la loi, les lumières sont nomophiles (amour de la loi), le droit pénal ne doit punir que les
actions interdites par la loi et la loi ne doit punir que les actions pourvues
de certaines caractéristiques, on avance vers le principe de la légalité
des infractions et des peines.
Il faut punir de manière différente : sans cruauté.
Pendant longtemps, on a opposé le bloc des réformateurs aux praticiens. On a
tenté de distinguer la théorie et la pratique. Si on suit cette interprétation
de la justice, il faut opposer les réformateurs aux praticiens. On a fait des réformateurs des gentils et
on a fait des juges des méchants et donc la théorie de la douceur
s’opposerait selon certains historiens à la sévérité de la pratique judiciaire,
on a créé une légende noire. Malgré les idées, c’est le personnel de l’ancien
régime qui fera la justice de la révolution.
Quand on lit les réformateurs, on est frappés par cette indignation qui est la leur. Quand on lit Michel Foucault
(surveiller et punir 1977) on parle du supplice de Damiens.
Face à cette légende noire s’est développé un autre courant
historiographique (l’histoire de l’histoire) qu’on peut appeler révisionniste (différent du négationnisme) qui dit que cette image
de justice barbare est fausse, voir mensongère. Leur idée est que les
praticiens du droit n’ont pas attendu les théories nouvelles des réformateurs
pour faire évoluer la justice et donc le principe de la douceur des peines a
aussi été développé par eux. C’est vrai que tout au long du 18eme siècle, il y a un net adoucissement des peines
prononcées par les magistrats. On assiste à une humanisation sensible de la
justice pénale et là on peut se demander qui
sont les véritables réformateurs : Beccaria ou les magistrats
eux-mêmes ?
Les réformateurs eux-mêmes (Montesquieu, Voltaire, Beccaria
…) ont développé une vision faussée de
la justice de leur temps et donc certains estiment même que les ouvrages
des réformateurs ne contiennent rien de neuf, ils n’inventent pas l’humanisme
pénal, dans le meilleur des cas ils ne font qu’annoncer ce qui est déjà dans la
pratique et dans le pire des cas ils inventent des histoires du fait de leur
ignorance juridique (c’est le cas de Voltaire).
Sur le plan pratique, on applique de plus en plus
fréquemment le principe
de la modération des peines, ce principe relève du principe plus
général de l’arbitraire. Les
magistrats ont la faculté d’interpréter la loi pénale pour l’appliquer aux
circonstances. Ce qui est extraordinaire est que les textes de loi de l’époque (ordonnance de 1570 par exemple)
interdisent aux juges d’interpréter la loi. Ils le font quand même. Ils
recourent à ce droit qui leur est nié par les textes pour adoucir les peines.
Sur le plan théorique (du côté des réformateurs), on assiste
à l’élaboration du principe de la douceur des peines. Ce principe ne s’adresse pas aux
magistrats, mais au législateur. L’idée émerge que la loi pénale même si elle n’est pas appliquée
conditionne en profondeur la liberté des individus. Personne n’est
libre s’il existe la simple possibilité d’appliquer des lois atroces et
cruelles même si de fait ces lois ne seront jamais appliquées. Les réformateurs
vont soutenir que la modération des
peines n’est pas une garantie pour la liberté politique, ce qui compte c’est
l’application du principe de légalité, c’est aussi le principe de
certitude du droit.
Nuyard de Vouglon va
répliquer aux réformateurs que les lois
doivent tendre à la rigueur, par à l’indulgence, selon lui il faut des lois
terribles pour assurer l’ordre. Il dit aussi que c’est aux magistrats seuls qu’il appartient de les appliquer avec
équité.
§1 – La philosophie et le droit pénal
Montesquieu s’intéresse
à la loi, dans « L’esprit des lois » il s’est penché sur les rapports
entre liberté et les lois criminelles. C’est un pré-libéral, les livres 6 et 12 traitent des libertés civiles en
général et plus particulièrement de la proportion convenable entre le crime et
sa punition, c’est le débat sur la proportionnalité. Il semble que Montesquieu
ait combine deux approches, à la fois utilitariste et rétributive. Visiblement
Montesquieu semble convaincu que lorsqu’on inflige une peine on sert la société
et qu’on accomplit aussi des buts orientés vers la justice. Tout cela est mixé
avec une orientation fortement libérale. Il va soutenir que pour être
justifiable, tout système de punition doit permettre la plus grande extension
possible de liberté et c’est possible que si l’on criminalise les actions qui
portent atteinte à la paix civile et à l’ordre public. C’est possible si l’on
protège les droits des accusés. Montesquieu est un admirateur de l’Angleterre tout
en sachant que c’est impossible de le transposer en France. Il va évoquer l’idée très anglaise de jury
qu’on retrouvera à la révolution. Le jury est aussi une manière de garantir les
droits des accusés. On doit aussi modérer
les peines de manière à ce que la peine corresponde à la gravité du crime.
L’échelle des peines dont Montesquieu parle dit qu’il est essentiel
que les peines aient de l’harmonie entre elles. Selon lui, seule une proportion convenable entre les
crimes et les peines signale au malfaiteur éventuelle qu’il s’expose à subir
une peine correspondant à la gravité du crime. Il explique aussi que les
politiques pénales qui aboutirait à appliquer le même niveau de punition à une
large variété de crimes serait une mauvaise politique. Il explique que c’est la
politique qu’on a suivi en France mais aussi en Angleterre, il n’est pas plus tolérant pour le régime
pénal Anglais.
Montesquieu n’est pas abolitionniste, il intègre la peine de mort dans son échelle de
peines. Il estime cependant qu’administrer la peine de mort aux
crimes les plus graves aurait pour effet d’empêcher
certains de commettre les crimes qui menacent la vie des personnes et des biens.
Ça repose sur le postulat du comportement rationnel du criminel et ça voudrait dire que celui
qui veut commettre un crime grave pourrait décider de commettre un crime moins
grave, il explique que « c’est un grand mal parmi nous de faire subir la
même peine à celui qui vole sur un grand chemin et à celui qui vole et
assassine ». D’autres diront que si on condamne trop fortement le vol, le
criminel ne se contentera pas de voler mais assassinera aussi pour éviter
d’être accusé, la lourdeur du châtiment
peut pousser au crime.
Beccaria, un milanais né en 1738
mort en 1794 est vraiment un pénaliste contrairement à Montesquieu. Il a écrit
en 1764 le
traité des délits et des peines et on
assure qu’à l’aide de ce livre, il fonde le droit pénal moderne. Ce traité
développe sans doute la toute première argumentation contre la peine de mort.
C’est un admirateur de Montesquieu mais aussi des encyclopédistes (Diderot…). Il
prend de vieux arguments pour en créer de nouveaux, il dégage le droit pénal de toute influence religieuse. Il va
établir les bases et les limites du droit de punir. Il recommande aussi de proportionner la peine au délit. Il
pose le principe de la séparation des
pouvoirs religieux et judiciaire. Il va dénoncer la cruauté de certaines
peines comparées au crime. Il juge totalement barbare la pratique de la torture et il englobe dans cette condamnation
la peine de mort. Il recommande de prévenir
le crime plutôt que de le réprimer. Il va développer la théorie du
syllogisme : le juge criminel ne doit pas interpréter la loi
pénale mais l’appliquer de manière purement syllogistique et pour chaque crime,
le juge doit réaliser ce syllogisme
parfait qui incarne totalement le principe de la légalité des peines. Ça
fait du juge une sorte d’automate, Beccaria est très hostile à l’arbitraire.
Montesquieu n’est pas très loin de cette conception.
Son ouvrage sera exporté aux USA et inspirera Jefferson,
mais aussi en Suède qui abolira la torture et partout.
Il est à l’origine
d’un adage connu « Nullum crimen, nulla poena sine lege »
(principe de légalité). La formule n’est pas de Beccaria mais d’un philosophe
plus réent et le premier à avoir eu
cette intuition est sans doute Thomas Hobbs qui a écrit le Léviathan.
Autre principe : « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires, nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie, promulguée
antérieurement au délit et légalement appliquée ». C’est Beccaria qui
livre cette idée, mais ce texte est l’article 8 de la DDHC ce
qui montre que les constituants de 1789 ont repris Beccaria. Ça condamne la
rétroactivité de la loi pénale. La rétroactivité de la loi pénale c’est ce
qu’il y a de pire et c’est ce qu’a fait Vichy en 1941.
L’article 7 de la déclaration « Nul homme ne peut être
accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les
formes qu'elle a prescrites » est aussi un principe dégagé par Beccaria.
Article 5 « La Loi n'a le droit de défendre que les actions
nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être
empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas »
c’est de Montesquieu et repris par Beccaria
Article 9 présomption d’innocence : c’est
Beccaria
Tous ces principes sont des piliers de la justice.
Voltaire n’est
pas juriste, si on s’intéresse à l’inventaire de sa bibliothèque, il y a peu de
livres de droit et peu sur la matière pénale. Il ne parle de droit qu’à l’occasion de quelques affaires qu’il a
entrepris de défendre.
Il commence en 1762 à s’intéresser à la justice avec
l’affaire Calas, protestant accusé d’avoir tué son fils (il a 68 ans), il
s’intéressera a-ensuite à l’affaire Sirven (protestant accusé d’avoir tué sa
fille et condamné par contumace) et à l’affaire du chevalier de Navarre en 1766.
Ce qui l’intéresse est de régler ses
comptes avec l’église, il attaque la religion catholique. Mais il va
déboucher sur une critique du fonctionnement de la justice en mettant en avant deux points : l’arbitraire et le
système des preuves.
D’après lui, l’arbitraire des magistrats permet au juge de
décider sans contrôle n’importe quelle sanction, en fonction de leur humeur. Il a pris
arbitraire dans son sens péjoratif, il n’a pas compris le système de l’arbitrium julicis.
Il critique aussi le système de preuves par des moyens « plus clairs que le jour »
comme l’aveu, les témoignages (2 témoins pour faire une preuve complète), des
indices indubitables. Que valent les aveux arrachés sous la torture ? Les
témoins peuvent mentir ou se tromper, les indices peuvent être mal interprétés.
Pourtant, le système de l’ancien régime,
c’est les preuves légales, pourtant il vaudrait mieux d’après lui prendre en
considération des preuves morales qui servent à former
l’intime conviction des juges. L’intime conviction des juges est
prohibée par le droit sous l’Ancien Régime et il critique ça. Il a tort puisque
le système des preuves de l’ancien
régime n’autorise à condamner qu’avec la certitude concrète de sa culpabilité,
il fournit la garantie de l’équité. Le système était faillible, mais l’intime conviction prônée
par Voltaire l’est encore plus.
Les idées de Voltaire ne sont émises qu’à propos d’affaires
extraordinaires. Voltaire prétend que
ces trois affaires sont représentatives de l’activité quotidienne de la justice.
La justice pénale connaît surtout à la même époque des affaires d’une banalité
affligeante, la plupart sont traitées selon la voie civile, quant aux affaires traitées par la voie inquisitoire
(secrète et écrite), ce n’est qu’une
très petite partie du contentieux pénal et le traitement judiciaire de la
majeure partie de ces affaires est interrompue avant l’issue faute de preuves,
même s’ils sont parfois probablement coupables. Voltaire n’est pas pertinent
dans sa manière de présenter la justice pénale de l’Ancien régime même s’il est
très pertinent dans la défense des trois affaires.
§2 – Des affaires scandaleuses
L’affaire Damiens : Damiens est
un domestique qui a servi chez plusieurs magistrats de Paris. A l’époque les
parlements mènent un combat anti absolutiste, tout est sujet à querelle. Il y a
le problème des jésuites, des jansénistes sur lesquels les parlementaires et le
pouvoir royal se heurtent. Les
parlementaires sont dans l’opinion publique les gardiens de la constitution,
les pères de la nation, ils peuvent faire des remontrances et exercent donc une
sorte de contrôle de légalité et peut être de
« constitutionnalité ».
Le 15 janvier 1757,
Damien Frappe Louis 15 avec un canif. Le roi est légèrement blessé, Damiens
est arrêté, il est entraîné dans un corps de gardes, on commence à le torturer.
Normalement, c’est la prévauté de Versailles qui doit s’occuper de lui,
immédiatement le parlement de Paris
insiste contre toutes les règles procédurales pour obtenir la faculté de juger
l’affaire en régicide (le roi n’est pas mort mais il y a l’intention).
Toute cette insistance a nourri chez certains auteurs l’idée d’un complot
mandaté par les parlementaires. On a même des théories un peu fumeuses qui font
de Louis 15 une sorte de pédophile qui aurait séduit la fille de Damiens …
L’instruction de l’affaire est secrète et en cas de complicité
du parlement ça aurait permis de masquer de nombreuses choses. L’affaire est menée par la voie
inquisitoire, la question est utilisée, il est condamné à mort et il est
écartelé le 28 mars 1757. On sait que le
Roi a demandé au parlement que Damien soit étranglé avant d’être coupé en
morceaux et on a refusé au roi d’étrangler Damiens (retentum) avant de l’écarteler. Le
supplice va durer plus de deux heures (il a dit « la journée sera
rude »). Il paraît qu’il n’est mort que lorsque son dernier bras a été
arraché.
L’affaire Calas : 1761 à 1765 à
Toulouse sur fond de conflit religieux. Voltaire a rendu l’affaire célèbre.
Depuis 1585, le protestantisme est interdit en France, ils n’ont pas
d’existence légale (pas d’état civil). Les protestants jouent alors double jeu
et c’est le cas de Calas. C’est un
commerçant aisé dont on sait qu’il est protestant et on a trouvé chez lui son
fils mort et très vite Calas est accusé d’avoir assassiné son fils pour
l’empêcher de se convertir au catholicisme. C’est une affaire entre la religion
et la politique, elle n’est pas révélatrice du fonctionnement des tribunaux
royaux, il est avéré que la procédure est entachée de nombreux abus
notamment au niveau des preuves. Ce sont les juges municipaux qui instruisent
l’affaire même si c’est presque impossible à l’époque qu’un juge municipal
traite du pénal. On va utiliser la
procédure du monitoire : on demande à
l’église de questionner publiquement les fidèles pour qu’ils viennent raconter
à la justice ce qu’ils savent de l’affaire, c’est un appel à la délation. Des rumeurs sont racontées et des morceaux
de preuve sont collectionnés pour condamner à mort Calas. Voltaire a
raison, on a un usage dévoyé du monitoire, il y a des abus dans la procédure.
Il y a un appel automatique devant le parlement de Toulouse qui confirme la
sentence des capitouls et Calas est roué
vif.
Le fils cadet de Calas va convaincre Voltaire d’intervenir.
Voltaire n’aime pas les protestants et pourtant, il va croire à l’innocence de
Jean Calas. En 1762 il va publier un mémoire dans lequel il met en évidence ce
qui d’après lui est scandaleux. En 1763
il publie son traité sur la tolérance qui lui permet de mettre en avant son
idée que la religion ne doit pas interférer dans les affaires publiques, il
faut mettre en place une tolérance civile. C’est un appel à l’opinion publique
qu’on peut mettre en parallèle avec l’affaire Dreyfus. Le tintamarre entretenu par Voltaire va faire que la famille de Calas
est reçu à Versailles par le roi. L’affaire a été évoquée et donc le
conseil du roi va casser l’arrêt du parlement de Toulouse pour vice de
procédure et renvoyer l’affaire pour la rejuger au fond devant le tribunal des
requêtes de Paris. Le 9 mars 1765, le tribunal innocente Calas. C’est
donc la victoire de Voltaire.
Le chevalier de Navarre : c’est
un jeune noble qui fait partie d’une bande de jeunes qui font des conneries. On
a retrouvé un crucifix mutilé, certains crient au crime de lèse religion et on
va reporter l’attention de la justice sur cette bande de jeunes fêtards. Le chevalier de Navarre va être arrêté,
jugé pour blasphème et sacrilège alors qu’on n’a aucune idée de s’il a fait
quoi que ce soit, et on va même lui reprocher d’avoir chanté des chansons
paillardes et d’avoir refusé d’ôter son chapeau au passage d’une procession.
Il est condamné à mort et exécuté à
Abbeville en 1766 et dans le jugement il est prévu qu’on lui arrache la
langue (ce sera simulé et il sera décapité comme c’est un noble).
Voltaire va encore intervenir. Les parlements sont toujours
méfiants vis à vis des philosophes, on a trouvé chez le chevalier de Navarre un
exemplaire du dictionnaire philosophique de Voltaire qui sera brulé avec le
chevalier (c’est peut-être ce qui a retenu l’attention de Voltaire). Le roi lui
refuse la grâce car la lèse-majesté divine ne doit pas être moins punie que la
lèse-majesté humaine et quand Louis 15 utilise cet argument, il fait référence
à l’exécution de Damiens qu’il a en travers de la gorge car il voulait le
gracier. Voltaire va s’adresser à Beccaria qui
donnera encore plus de publicité à cette affaire (lui ce qui l’intéresse c’est ignominie de la peine capitale). Ce
qui intéressait Voltaire c’est de régler ses comptes avec la religion, il avait
écrit « écrasons l’infâme ».
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