L’IDENTIFICATION DE L’ETAT


 CHAPITRE 2 : L’IDENTIFICATION DE L’ETAT



Il faut préciser les critères, les caractères distinctifs, de telle sorte qu’on puisse proposer une définition fiable afin de permettre de le distinguer d’autres régimes de droits.

Section 1 : position du problème
Section 2 : les différentes acceptions de l’Etat
Section 3 : les éléments constitutifs de l’Etat

Section 1 : position du problème

§1 Plusieurs dénominations, un seul et même concept
L’Etat prend plusieurs dénominations selon les pays. « Bunt » signifie l’Etat fédéral en Allemagne. La République est souvent, en France, assimilée à l’Etat. Dans tous les cas, on a bien à faire à un Etat, même si en Allemagne ou aux Etats-Unis, il s’agit d’Etats fédéraux, alors que la France est un Etat unitaire. Au-delà des dénominations, il y a un seul et même concept. La France, au même titre que la principauté d’Andorre, est un Etat. Qu’est ce qui fait alors que la principauté d’Andorre, la France, l’Etat du Vatican soient des Etats ? A l’intérieur des Etats, il existe des entités qu’on appelle Etats. Ces Etats font parties d’un ensemble plus vaste. Tout Etat fédéral est en quelque sorte une addition d’Etats, on les appelle Etats fédérés (« States » aux Etats-Unis, « Provinces » au Canada, « Cantons » en Suisse). Au-delà de la manière de nommer, ce peut être la même chose qu’on désigne. Est-ce que, par exemple, la Californie, qui est un Etat fédéré, est comparable d’un point de vue juridique à l’Etat fédéral que constitue les Etats-Unis ? La réponse est négative. Autre exemple, la France, il existe des cantons, qui sont des divisions administratives du territoires. Tandis qu’en Suisse les cantons désignent des Etats fédérés, que composent l’Etat fédéral. Officiellement, on l’appelle confédération. La réponse à toutes ces questions va dépendre des critères de distinction.

§2 L’Etat et les autres sujets de droit
L’Etat est un sujet de droit, mais un sujet de droit à part. Il se distingue de tous les autres sujets de droit existants. Le droit international comme le droit interne ont, l’un et l’autre, affirmé cette particularité.
En droit international, on rencontre une pluralité de sujets de droits, parmi lesquels l’Etat, mais aussi d’autres sujets de droit, comme l’ONU, l’Union Européenne, l’OMC…
Seul l’Etat présente une originalité par rapport aux autres organisations internationales. C’est la souveraineté.
Selon le droit constitutionnel, ou encore le droit administratif, il existe une multitude d’entités qui reçoivent la qualification de personne morale de droit public. Les départements, les régions… On les appelle comme cela puisque leur régime juridique relève d’un droit particulier, d’un droit dérogatoire au droit privé, qu’on appelle droit public.
Aucune de ces entités ne peut rivaliser avec l’Etat, d’un point de vue du droit, puisque l’Etat les domine toutes. Si bien que dans le cadre du droit interne, tous les autres sujets du droits, toutes les collectivités qui existent dans l’Etat lui sont subordonnés, parce que lui seul disposent de qualités que les autres n’ont pas.

Section 2 : les différentes acceptions du concept de l’Etat

Le terme est polysémique.

Il y a d’abord une approche géographique du concept d’Etat. Selon cette conception, l’Etat est une entité abstraite qui se superpose à des régions naturelles. Il correspond à la localisation dans l’espace terrestre d’une population déterminée. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il existe des cas où il y a des référents, principalement religieux, comme l’Iran. Ou même des référents historiques, comme le Burkina-Faso.

L’approche sociologique s’appuie sur l’idée que c’est une collectivité humaine stabilisée, dans laquelle la contrainte est monopolisée.

Enfin, selon la vision actuelle, le terme Etat va désigner soit le système juridique dans son ensemble, soit une collectivité territoriale globale. Dans le premier cas, l’Etat se confond avec l’ordre juridique interne. Dans le second cas, l’Etat est une entité qui englobe tout l’espace territorial, maritime et atmosphérique.

§1 L’Etat en tant qu’ordre juridique global
L’Etat va désigner ici un système juridique comme l’ensemble des règles de droit applicable sur tout le territoire déterminé par des frontières. En France par exemple, les lois de la République s’appliquent sur l’ensemble du territoire de la Métropole et sur les territoires dits ultra-marins. La loi doit ainsi s’appliquer de la même manière partout en France : dans les régions, les départements, et les communes de métropoles. La loi s’applique aussi dans l’ensemble des collectivités d’outre-mer qui sont les régions d’outre-mer, les départements d’outre-mer, les communes d’outre-mer, et des TAAF.
Si certaines collectivités territoriales de la République bénéficient d’un statut juridique particulier, qui va tenir compte de leur statut particulier, les règles spéciales qui les concernent sont néanmoins des règles imputables à l’ordre juridique dans son ensemble. Par exemple, c’est la loi qui prévoit un statut juridique particulier pour la collectivité territorial de Corse. C’est la Constitution du 4 octobre 1958 qui prévoit des règles pré rogatoires sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.

§2 L’Etat comme collectivité territoriale
On désigne l’Etat comme une entité qui couvre un territoire, dans sa totalité, qui va comporter elle-même des composantes, qui vont constituer autant de collectivités assises sur une partie du territoire. Un exemple de cette définition est donnée par l’article 114 alinéa 1er de la Constitution italienne « la République se compose des communes, des provinces, des villes métropolitaines, et de l’Etat ». Ce qui signifie que si c’est l’Etat qui distribue les compétences, qui répartie les pouvoirs entre lui-même et les autres collectivités territoriales, et éventuellement entre ces dernières, l’Etat lui-même ne va se réserver l’exercice de certaines compétences. L’Etat fédéral est une collectivité territoriale globale, qui englobe tout le territoire, y compris celui des Etats fédérés.

Section 3 : Les éléments constitutifs de l’Etat

Si tous les Etats, quel qu’ils soient, peuvent être déterminés, comme une collectivité territoriale globale, il n’y a pas de différence entre les Etats-Unis et la France.
tous n’ont pas la même structure territoriale. Certains sont des Etats unitaires, d’autres sont des Etats composés (comme les Etats fédéraux).  Cependant, tous les territoires ont en commun de comporter 3 éléments sans lesquels il n’y a pas d’Etat possible, qui doivent simultanément exister. Ce sont des critères cumulatifs. Ils sont :
-          Le territoire ;
-          La population ;
-          La souveraineté.

§1 Le territoire
Le territoire va correspondre à l’assise géographique de l’Etat. Le principe est simple, et il est affirmé à l’identique par le droit constitutionnel et le droit international. Pas d’Etat sans territoire, à telle enseigne que l’Etat disparait s’il est privé en totalité de son territoire. Le territoire de l’Etat est délimité par des frontières, à l’intérieur desquelles l’Etat va pouvoir exercer sa souveraineté. Considérons qu’un peuple ou une nation peut exister en tant que telle, mais il ne peut se constituer en Etat que s’il dispose d’un territoire. C’est toute la difficulté que rencontre certains peuples comme les Kurdes ou les Palestiniens. Les Palestiniens sont représentés par l’autorité palestinienne qui a été reconnue par l’ONU.
Le territoire de l’Etat peut être plus ou moins étendu. Il faut bien prendre en considération que le territoire de l’Etat, sur le plan du droit, va au-delà des emprises terrestres, et comprend également les territoires maritimes aériens. Le territoire français en fait un des plus étendu au monde. Ainsi, au territoire métropolitain, s’ajoute la superficie la DOM ROM, plus les collectivités à statut particulier. Soit au total, plus de 670 000 km2. Ce qui est intéressant, 16 000 km de côtes. Cet espace maritime comporte 3 éléments :
-          La mer territoriale ;
-          La zone contiguë ;
-          La zone maritime.

L’Etat est délimité par des frontières.

ð  24/01/2019
Le plus important du point de vue juridique est que l’Etat est délimité par des frontières. Des frontières terrestres, maritimes et aériennes. Ces frontières sont fixées par le droit international, souvent après des négociations. Le plus souvent, aujourd’hui, ce sont des négociations bilatérales, c’est-à-dire d’Etat à Etat. Mais ce n’est pas toujours le cas dans certaines hypothèses. Il y a la conférence de Berlin (1885) a vu les puissances européennes, qui ont dépecé l’empire ottoman. La conférence de Berlin a vu les puissances européennes, quelques Etats, se partager le continent africain. Les frontières vont définir le cadre juridique dans lequel l’Etat exerce les compétences exclusives, c’est-à-dire des pouvoirs qu’il est le seul à mettre en œuvre, sans ingérence d’autres Etats, ou sujets de droit. En ce sens, le territoire de l’Etat constitue à la fois un titre juridique qui fonde l’exercice des compétences des autorités qui agissent au nom de l’Etat, et, en même temps, la limite physique, matérielle et juridique à l’exercice des compétences des autorités de l’Etat. 2 principes essentiels du droit international :
-          Le principe de souveraineté de l’Etat
-          Le principe de non-ingérence dans les affaires étrangères.
Cette compétence a une double dimension : compétence territoriale et compétence personnelle. C’est le droit romain qui nous a légué cette distinction. La compétence rationnée loci ou compétence personnelle. La compétence territoriale signifie que l’Etat a le pouvoir en vertu de la compétence territoriale afin de régir le statut juridique de son propre territoire, et de décider de toutes les conséquences juridiques de tous les faits juridiques qui s’y déroulent. L’Etat a compétence pour réprimer cette infraction et punir les auteurs de l’infraction, même s’ils ont la nationalité d’un autre Etat. Autre exemple, la France est compétente en vertu de sa compétence territoriale pour décider du sort des migrants qui se situent dans un bateau naviguant dans ses eaux territoriales. C’est la raison pour laquelle certains Etats ont pu refuser d’accueillir l’Aquarius. Ces Etats ont fait prévaloir leur souveraineté territoriale contre leurs obligations humanitaires prévues par le droit internationale. La question qui se pose est celle de savoir si l’Etat a le droit de refuser d’accueillir un bateau de migrants. En vertu des conventions qui s’appliquent dans ces domaines, l’Etat a l’obligation de porter secours à ceux qui se trouvent dans son espace maritime. Search and risk you (convention). Si le refus de porter secours à des personnes qui ont lancer un appel de détresse en mer sont contraire au droit international. Même si ces textes révèlent une certaine ambiguïté. Mais tout dépend de la localisation du bateau. Selon que le bateau se trouve dans les eaux territoriales ou les eaux internationales, des règles différentes s’appliquent. Dans les eaux internationales, un principe coutumier veut que les navires les plus proches portent immédiatement secours aux victimes en cas de danger. C’est quand le bateau se trouve dans les eaux territoriales que le droit est un peu plus mouvant. Quand un bateau rentre dans les eaux territoriales d’un Etat, c’est sa position qui va déterminer quel pays va intervenir. En vertu des conventions internationales, chaque pays a une zone de recherche. Cependant, il y a des zones communes de recherches, et les pays se renvoient la balle. Selon la convention de 1982 sur le droit de la mer, les navires de tous les Etats jouissent du droit de passage inoffensif dans la mer territoriale. Le passage est inoffensif tant qu’il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’Etat côtier. Toute la question est alors de savoir quels sont les faits qui constituent l’atteinte à la paix, à l’ordre ou à la sécurité de l’Etat. Ces atteintes peuvent concerner la menace de son intégrité territoriale. La convention termine enfin que on entend par passage, se rendre dans les eaux intérieures ou les quitter, le mouillage dans un corps peut être rendu nécessaire dans un cas de détresse ou dans un cas de force majeure. On voit bien que l’assistance en mer des passagers pourrait être, sur ce fondement, refuser, si la situation d’urgence n’est pas avérée. Dans ce contexte, le haut-commissariat des nations unies pour les réfugies (HCR) a assimilé le manque de nourriture à un impératif humanitaire urgent. Force est de constater est qu’ici, et que dans bien des cas, 2 principes vont se heurter : le principe de souveraineté d’un Etat d’un côté, et de l’autre, le respect de ses engagements internationaux en vertu du droit international.
Il y a la compétence personnelle de l’Etat. La compétence personnelle, comme son nom l’indique, est celle qui s’exerce à l’égard des personnes physiques ou morales. Par exemple, l’Etat a le pouvoir de régir la situation de ses nationaux, c’est-à-dire de fixer leur statut juridique, où qu’ils se trouvent, même lorsqu’ils se trouvent à l’étranger, à condition que l’Etat respect la compétence territoriale des autres Etats. Mais la compétence personnelle est tout de même très importante. Par exemple, la question du mariage de 2 français à l’étranger est régie sur le fond par la loi française. Il faut néanmoins souligner que le développement d’internet a quelque peu modifié cette perception du territoire. On dit que le territoire de l’Etat est inviolable. Il est protégé par un principe dit de l’intégrité territoriale, en vertu duquel le territoire de l’Etat est, dans ses frontières, sont protégées de toute forme d’intrusion venant de l’extérieur. C’est ce que rappelle avec force l’article 2 paragraphe 2 des Nations Unies « les membres de l’organisation s’abstiennent dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l’emploi de la force soit contre l’intégrité territoriale ou à l’indépendance politique de tout Etat ». De son côté, ce principe est repris par la Constitution de 1958 rappelle dans son article 5 « le Président de la République est le garant de l’intégrité de son territoire ». Ces principes sont mis à mal par l’utilisation débridée d’Internet, qu’on a vu apparaitre dans le cadre d’apparition du principe de cyber frontières. C’est le cas par exemple des attaques régulières de sites à partir d’Etats, comme la Chine ou la Russie.

§2 La population
Un Etat ne peut exister sans population. Là encore, on va voir que les termes choisis sont importants. Il faut préciser ce qu’on entend par population.

A)     La notion de population
On peut dire que là où le territoire est la substance matérielle ou physique de l’Etat, la population est en quelque sorte sa substance humaine. L’Etat va se définir parce qu’il est une collectivité humaine, pas seulement une collectivité territoriale. C’est une institution un groupe plus ou moins nombreux d’individus, sédentarisés dans un territoire, solidaire entre eux. L’existence d’une population est une donnée consubstantielle à l’Etat, mais c’est une donnée relative. On a vu que des Etats peuvent exister sur un très petit territoire. On parle à ce propos de la principauté d’Andorre, de Monaco… C’est la même chose pour la population. Une population très faible ou très mouvante n’est pas un obstacle à la construction d’un Etat. Si un Etat disparait complétement, comme en cas de génocide, ou si elle émigre en totalité (diaspora du peuple juif), l’existence d’un Etat devient impossible. Ou alors il cesse d’exister s’il n’a plus de population. A contrario aussi, le fait que les juifs soient plus nombreux en dehors qu’à l’intérieur d’Israël n’empêche pas celui-ci d’exister en tant qu’Etat. L’existence d’une population palestinienne, même disséminée entre plusieurs pays, mais néanmoins implantée dans les territoires, notamment de Kazha, est un élément suffisant pour lui permettre de revendiquer l’existence d’un Etat, alors même qu’il n’y a pas encore d’Etat palestinien. A partir de ces prémices, le concept de population peut s’aborder de plusieurs manières.
Dans un sens large, le concept d’Etat comprend la totalité des habitants vivant et travaillant sur le territoire de l’Etat. Elle ne peut pas inclure les étrangers séjournant en France. Le critère de solidarité, d’homogénéité qui doit caractériser la population. La preuve inverse est apportée par le cas des nationaux de l’Etat considéré, lorsque ceux-ci ont émigrés dans un pays étrangers. Ils sont bien pris en compte de la population de l’Etat. Ainsi, les français établis hors de France font partis de la population de l’Etat français, et, à ce titre, ils participent à la vie politique française en votant.
Au sens étroit, la population s’entend comme l’ensemble des individus rattachés de façon stable à un Etat donné par un lien juridique. Ce lien juridique, c’est ce qu’on appelle le lien de nationalité. Suite de quoi, la population comme élément constitutif de l’Etat doit se comprendre comme l’ensemble des nationaux de l’Etat ou encore comme l’ensemble des ressortissants de cet Etat, entendus comme tous ceux qui possèdent sa nationalité. On parlera ainsi de ressortissants français, espagnols… C’est ce lien de nationalité qui va fonder la compétence personnelle de l’Etat, et qui va l’autoriser à exercer certains pouvoirs sur ses nationaux, quelque soient le lieu où ils se trouvent.

B)     Population et peuple
La population, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui habitent dans un territoire donné. La définition de peuple est plus restreinte. Le droit fasse parfois appel au concept de population, mais en lui donnant une signification qui correspondre à une certaine réalité. Le droit lui donne une signification qui correspond à une réalité précise. Ainsi, la Constitution de 1958 évoque « les populations d’outre-mer » pour désigner les habitants notamment des départements d’outre-mer comme la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Mayotte. La Constitution va conférer à ce concept de population des conséquences juridiques précises. Lorsqu’un territoire appartenant à la République veut se séparer de la France, la Constitution autorise cela, mais exige « que les populations intéressées soient consultées par référendum et donnent leur accord pour quitter la République ». En 2009, on a consulté la population de Mayotte par référendum pour savoir si elle était d’accord si le département de Mayotte devienne indépendant.
En revanche le peuple fait appel à une notion plus précise. Par exemple lorsqu’on parle du peuple français, cela a une signification plus précise. Le concept de peuple français est inscrit dans la population, et c’est une notion juridique et politique. Cela a des conséquences importants sur le plan constitutionnel. Pour préciser les choses, on dira que le concept politique et juridique de peuple, et en particulier de peuple français, est utilisé par rapport au concept de citoyen ou de citoyenneté. Et dans ce sens précis, il désigne un ensemble d’individus, les citoyens qui disposent de cet attribut qui est la citoyenneté. Il faut donc partir de la définition de citoyenneté pour comprendre celle de peuple.

C)     Peuple et citoyenneté
La Constitution de 1958, la citoyenneté se définit par un double critère :
-          La nationalité
-          Le droit de vote
Sont des citoyens français sont ceux qui ont la nationalité française. La citoyenneté se confond ici avec la nationalité. Mais si la citoyenneté et la nationalité sont deux notions interchangeables, pour autant, elles ne se confondent pas. D’abord, parce que la théorie politique, et le droit positif, vont attribuer au concept de citoyenneté un sens plus étroit que le concept de nationalité. On peut dire, que pour être citoyen il faut être français. Mais un français n’est pas forcément citoyen.
Le citoyen c’est celui qui est titulaire et dispose de ce qu’on appelle la jouissance et l’exercice des droits civils et politiques. Sont par conséquent exclus de la catégorie des citoyens ainsi définie, certains personnes de la nationalité française, comme les mineurs, parce qu’ils ne peuvent pas voter. De même, sont privés de leurs droits de vote des personnes à la suite d’une condamnation. Le cas des personnes condamnées pénalement relève des questions nombreuses, comme celle de savoir si on peut empêcher à un détenu de voter ? Jusqu’au milieu du XIXème siècle, le détenu n’avait aucun statut juridique. Aujourd’hui, sous l’influence de la montée en puissance des droits fondamentaux constitutionnels et proclamés au niveau international et européen, toute personne détenue en prison, à condition d’avoir la nationalité française, peut se prévaloir de droits fondamentaux, comme le droit à une vie familiale, le droit à la santé, le droit à la liberté de religion, et le droit de vote. Donc aujourd’hui en France, les détenus, comme l’ensemble des citoyens, peuvent normalement voter où l’on voit que le statut de détenu se limite grosso modo à une privation de la liberté d’aller et venir. La condamnation pénale et la prison, c’est la privation de liberté. On ne saurait admettre, qu’au nom de la privation de liberté, d’autres droits soient mis en cause. Depuis 1994, ce droit de vote des détenus est reconnu, depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code Pénal. Auparavant, la privation des droits privés et politiques était automatiquement attachée à la condamnation pénale. Chaque peine doit être adaptée à la situation personnelle de l’individu. Entre la jouissance et l’exercice, il y a souvent un décalage. C’est le cas du droit de vote aujourd’hui. Le droit de vote n’est quasiment pas exercé par les intéressés. En 2014, lors des élections municipales, un peu plus de 500 détenus ont pu voter par procuration, et 54 ont pu voter par délégation de sortie. On a essayé de résoudre cette difficulté, parce qu’il faut la résoudre, parce que le droit de vote n’est pas seulement un droit fondamental constitutionnel, c’est aussi un droit fondamental protégé par les textes constitutionnels internationaux. Le défaut de conditions d’exercice, si elles sont défaillantes, peut mener à une condamnation de la CrEDH. Dans ce sens plus restreint, on reconnaitra comme citoyen tous ceux qui ont le droit de désigner par un vote, ou dans le cadre d’un référendum, ou dans le cadre d’une élection, ceux qui vont être chargés de gouverner. Par extension, on dira que le citoyen c’est aussi celui qui a le droit de se présenter à une élection, c’est-à-dire d’être élu par les autres citoyens. Voter et participer à une élection d’une part, être élu d’autre part.
-          Le droit de vote
-          L’éligibilité
L’électorat, c’est le citoyen actif, celui qui participe à l’élection ou au vote. L’éligibilité vise le citoyen passif, celui qui se présente à l’élection pour être élu par les autres citoyens. On dispose, en droit, d’une définition du citoyen plus précise. Le citoyen, en droit constitutionnel plus précisément, c’est celui qui dispose de l’électorat et de l’éligibilité.

D)     La nation
Partons de cette idée simple pour comprendre le concept de nation. L’Etat est, comme nous l’avons souligné, une collectivité humaine. Elle n’est pas un agrégat, une addition d’individus indifférenciés, pour faire Etat, pour constituer un Etat. Il faut encore que ces individus présentent entre eux des liens de solidarité qui font une communauté singulière, une communauté distincte par rapport à d’autres communautés. Il faut, en d’autres termes, qu’ils constituent une nation. Si bien qu’on entendra par nation un groupement humain dans lequel les individus sont unis par un certain nombre de liens matériels et spirituels, une langue commune par exemple, des traditions, une même religion, une histoire… Bref, une destinée commune. Une nation est distincte d’autres groupements nationaux. Cependant, cette définition ne nous dit pas les facteurs qui résident à l’apparition d’une nation. Ils sont complexes. Plusieurs définitions se sont opposées à cette idée. Il existe, comme on va le voir, une association de principes très étroite entre Etat et nation, ce que traduit le concept Etat-nation.
Plusieurs conceptions se sont fait jour par rapport à l’idée de nation. 2 grandes conceptions continuent de s’opposer. La première conception est la conception allemande, fondée sur ce qu’on appelle le déterminisme. Une nation est le résultat d’une conjonction d’éléments objectifs : la langue, la religion, l’idéologie, la race. La conception française est beaucoup plus ouverte, plus universaliste, elle est défendue par Renand de Coulange. Elle est fondée sur le volontarisme. Une nation, c’est une mentalité. Renand dira « c’est un vouloir vivre collectif ». 3 éléments se combiner :
-          Evènements historiques, qu’ils soient heureux, ou qu’ils soient malheureux (guerres, attentats), qui contribuent à ce qu’un auteur appelle à constituer à forger une « âme nationale »
-          La communauté d’intérêts, de niveau de vie, de protection sociale.
-          Le fait que malgré les différences de croyances, les différences de choix politiques, les différences de niveaux sociales, ou intellectuels, on va réagir de la même manière face à certains évènements.
La conception objective a conduit dans l’histoire à des déviations majeures, notamment par l’avènement d’un racisme d’Etat, tel fut le cas de l’Allemagne nazie. Les éléments objectifs peuvent conduire à des résultats inverses. Il en va de même pour cette autre conception objective, qu’est le critère linguistique. Et pourtant, si cette idée de nation est présente à travers le concept d’Etat-nation, la nation fait l’objet de contestation. Elle fait l’objet d’une remise en cause, sous l’influence de facteurs d’origine extérieurs, plutôt qu’à cause de facteurs intérieurs. Dans un sens plus technique, mais tout aussi révélateur, on assiste dans la période récente à une confrontation de la nation au terrorisme, qui conduit le législateur à renforcer les dispositions du Code Civil relatives à la déchéance de la nationalité française.
Le lien entre Etat et nation, deux termes qui sont de nouveaux fréquemment associés, pour un concept d’Etat nation.

Le terme nation traduit le fait que toute nation a pour vocation à se constituer un Etat. Dans l’histoire de l’apparition de l’Etat, la nation a précédé l’Etat et son apparition. Dans ces conditions, l’Etat n’est que l’aboutissement d’un processus politique et juridique de centralisation de la nation. L’Etat c’est la nation politiquement et juridiquement constituée. Est-ce que toute nation constituée, selon les critères qu’on a identifié, a pour vocation par nature de devenir un Etat ? Dans les faits, ce n’est pas toujours le cas. Il peut y avoir dissociation entre l’Etat et la Nation. L’association des 2 termes s’appuie, en droit, sur la conjonction de 2 principes qui sont à la fois dégagés par le droit international et par le droit constitutionnel :
-          Le principe de nationalité
-          Le principe des peuples à l’autodétermination
C’est en particulier ce dernier qui trouve dans le droit constitutionnel de la Vème République sa manifestation. Son principe est très intéressant.
Le principe de nationalité puise ses racines dans la Révolution de 1789, avec l’affirmation pour la première fois du principe de la souveraineté nationale. Article 3 de la DDHC qui dispose « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». L’idée est que la source du pouvoir dans l’Etat réside dans la nation et non plus dans la personne du Roi, et que la nation ne fait que déléguer l’exercice du pouvoir à ses représentants. Les représentants représentent la nation. Ils incarnent la nation. Dans l’Etat démocratique, la souveraineté (c’est-à-dire le pouvoir, la puissance politique) appartient à la nation, et finalement les 2 termes ne vont faire qu’un. A l’unité de l’Etat correspond l’unité de la Nation. L’Etat est indivisible, parce que la souveraineté est indivisible, tout comme la Nation est indivisible. Le concept d’Etat-Nation est née de cette conjonction. Il exprime au fond la fusion entre Etat et Nation. L’Etat est mis au service de la Nation dont il est en charge de réaliser les aspirations et les besoins. Le principe des nationalités qui nait ainsi va ensuite être transposé, repris par le droit international. Le droit international, par sa portée, va lui donner une ampleur universelle. Le principe des nationalités va procéder, dans le prolongement de la Révolution, d’une association très étroite entre souveraineté et Etat. Cette association exige que pour que la souveraineté devienne effective, chaque Nation ou peuple a le droit de se constituer en un Etat indépendant. L’Etat-Nation, en droit international, est donc un Etat souverain, et un Etat souverain est un Etat indépendant, c’est-à-dire un Etat égal en droit aux autres Etats. 2 conséquences en découlent :
-          Il doit, en principe, y avoir autant d’Etat que de Nations. Dans le prolongement de ce premier principe, les frontières d’un Etat doivent logiquement correspondre à celles d’une Nation. Il en résulte aussi que si un Etat comprend plusieurs Nations, un démembrement de l’Etat.
-          Tandis qu’inversement, si une Nation est éparpillée entre plusieurs Etats, elle doit posséder, en vertu du principe des nationalités, le droit de refaire son unité nationale au sein d’un seul et même Etat. Pourtant, l’évolution contemporaine, le droit international et constitutionnel ne vont pas jusqu’à imposer qu’à un seul Etat corresponde une seule Nation. A minima, c’est-à-dire selon un principe basique, mais très réducteur, là où un Etat comporte des Nations, le droit international et constitutionnel exigent que mes minorités nationales soient protégées. De fait, les exemples d’Etats multinationaux sont légions : la Russie, la Chine, de nombreux Etats africains. S’agissant de ces derniers, le concept de Nation n’est le plus souvent qu’une fiction, parce que les Etats surgissent de la décolonisations ne sont que des agrégats d’ethnies incluses par les colonisateurs. Et là, l’Etat a précédé la Nation. C’est tout à fait paradoxal, parce que les africains développement un nationalisme exacerbé, mais ce sont des Etats sans nations.
Le XIXème siècle a été qualifié à juste titre du Nationalisme européen, et c’est à Napoléon 1er que l’on doit sa promotion dans toute l’Europe. La Grèce, libérée du jour ottoman en 1828 – 1830, l’héritage napoléonien encore qu’est celui de l’Allemagne et de l’Italie dans le deuxième moitié du XIXème siècle. Ce principe des nationalités a donné lieu à de nouvelles revendications au XIXème siècle.

Le droit des peuples à l’autodétermination. Comme son prolongement, le principe est tellement important que l’on a pu voir en lui un principe indérogeable en droit international. Rappelons-le, c’est sur ce fondement du droit des peuples à l’autodétermination, au XIXème siècle a vu la délivrance de certains Etats. Le principe trouve aussi son prolongement dans la Constitution de 1958. La Constitution de 1958 reconnait, sous certaines conditions, un droit constitutionnel à la sécession. Le préambule de 1958, qui formule le principe de libre détermination des peuples. C’est la même norme qui est énoncée. Le droit à l’autodétermination des peuples s’infère dans sa décision du conseil Constitutionnel du 30 décembre 1975, relative à l’indépendance des iles des Comores (article 53 alinéa 3 de la Constitution de 1958 dispose « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées »). Le Conseil Constitutionnel a considéré que le terme cession pouvait être considérée comme couvrant les cas de sécession, c’est-à-dire la cessation de l’appartenance d’un territoire déterminé à la République. C’est sur cette base juridique qu’à partir de 1960 la plupart des colonies d’Afrique ont pu accéder à l’indépendance et devenir des Etats-Nation. Le droit de sécession n’a pas pour autant disparu. Il ne s’est pas achevé avec le processus de décolonisation. Néanmoins, le principe de libre détermination des peuples rencontre certaines limites, non seulement dans le cadre de la Constitution de 1958, mais aussi dans le cadre du droit international. Il se déduit en effet de la décision du 9 mai 1991 rendue par le Conseil Constitutionnel relative à la Corse que ce droit est reconnu par la Constitution aux seules populations des territoires d’outre-mer. Cela exclu les collectivités territoriales dites métropolitaines. En réalité, le droit international va distinguer 2 situations :
-          Celle de la décolonisation d’un territoire distinct géographiquement du territoire national
-          La sécession proprement dite dans le cadre d’un territoire qui est contiguë

ð  31/01/2019

Parfois, la pratique montre que les deux termes sont dissociés. Il peut y avoir une discordance entre la nation et l’Etat. Cela se vérifie dans 2 hypothèses :
-          L’Etat existe mais la nation ne peut pas exister. Ça se vérifie dans les pays issus de la décolonisation, notamment en Afrique, où l’Etat a précédé la nation, parce que c’est finalement le colonisateur qui a plaqué la colonisation Etat sur des entités et des populations qui ne constituaient pas encore une nation. Dans ce cas-là, on peut parler d’un Etat clé en mains, c’est-à-dire un Etat qui est repris des sociétés existantes.
-          La nation dissociée, ou la nation éclatée. Cela est dû à des vicissitudes historiques, des guerres. Des situations dans lesquelles où la nation peut être dissociée par des frontières. On peut encore citer le cas de la nation macédonienne. Cette nation macédonienne est éclatée entre la Grèce, la Bulgarie, et l’ex-Yougoslavie.
-          La nation ou les nations fédérées, ou autrement dit, les nations regroupées dans un Etat multinational. Comme la Russie.

Le droit international ou le droit constitutionnel ne se désintéressent pas à ces situations. Le droit international ne regarde pas d’un bon œil le phénomène de la sécession. Ils agissent, l’un et l’autre, d’une manière indirecte, en essayant de protéger les minorités nationales. Ca va être une protection sous forme de reconnaissance de droits. Ce sont des droits collectifs. Ces droits peuvent être de plusieurs natures. Il existe ainsi, dans le cadre européen, une convention qui protège, qui reconnait les droits des populations utilisant des langues régionales minoritaires. La France n’a pas ratifié cette convention, parce que dans sa tradition historique, elle est hostile, en droit, compte tenu de l’exigence de l’unité du peuple, à la reconnaissance des droits des minorités dans son ordre juridique.

§3 La souveraineté
Il n’y a d’Etat possible, sous réserve que les 2 autres éléments réunis, que celui s’incarne dans un pouvoir politique durablement établi, c’est-à-dire un pouvoir capable d’assurer la continuité de la vie de la nation, et d’imposer ses décisions prises par les gouvernants à tous sur l’ensemble du territoire. En droit, ce pouvoir politique organisé est celui qui jouie de l’exclusivité des compétences, c’est-à-dire du pouvoir de prendre des décisions dans un certain nombre de secteurs clés de la vie sociale, de la vie de la nation (économie, finances, relations internationales, défense, justice, etc…), sans lesquels l’indépendance de l’Etat, et donc son existence-même, seraient compromises. C’est à l’ensemble de ces prérogatives que correspond la souveraineté de l’Etat, qui est à distinguer de la souveraineté dans l’Etat.

A)     La souveraineté de l’Etat

La souveraineté est le trait distinctif de l’Etat. C’est ce qui fait son identité propre. C’est une qualité est une qualité qui lui appartient en propre et qui le distingue de toutes les autres personnes physiques ou morales, soit en droit interne, soit en droit international. Cette théorie de la souveraineté est ancienne, elle est typiquement française, elle a été élaborée au XVIème siècle. Cette théorie a été élaborée par un penseur par Jean BODIN, dans un ouvrage demeuré célèbre Les Six Livres de la République (1576). Il s’agit à l’époque d’affirmer l’indépendance de l’Etat français qui est en train de naitre, vis-à-vis à la fois à l’extérieur de l’Eglise, qui est à l’époque très puissante et qui défaisait les monarchies en Europe, et à l’intérieur à l’égard des seigneurs féodaux. Si bien que dans ces premiers linéairement historiques, la souveraineté est apparue comme un mot synonyme d’indépendance, de liberté pour l’Etat, signifiant que l’Etat à l’intérieur de ses frontières comme en-dehors de ses frontières, n’est assujetti ou contraint en droit par personne, aucune autre entité. L’Etat ne souffre d’aucune concurrence, ni à l’intérieur, où il domine tous les sujets, ni à l’extérieur, qui n’est assujetti de personne. L’indépendance veut dire encore que l’Etat est libre de décider comme il l’entend à l’intérieur de ses frontières d’entreprendre. Il jouit, en droit, à ce titre d’une puissance de commandement, c’est-à-dire d’un pouvoir de décision sans égal. Ce pouvoir de décider, qui s’exécute par le biais des gouvernants, et vont agir au nom de l’Etat, est un pouvoir à la fois de droit initial et inconditionnel. Un pouvoir de droit, c’est un pouvoir qui est fondé sur la règle de droit. Un pouvoir également initial, en ce sens que l’Etat est à l’origine de l’ordre juridique en vigueur à l’intérieur de ces frontières, au point que l’on a vu précédemment que l’Etat est un ordre juridique. C’est de l’Etat procède toutes les règles de droit qui constituent, qui structurent l’ordre juridique interne. L’Etat en vient à se confondre avec cet ordre juridique. Enfin, c’est un pouvoir inconditionné, parce qu’il ne dépend d’aucun ordre pouvoir quant à son existence et quant à l’exercice de ses compétences qui sont les siennes. En effet, en ce sens, on dit que l’Etat est le maitre de ses compétences, c’est-à-dire qu’il va définir lui-même quels sont ses pouvoirs, et étant libre et indépendant, ça veut dire qu’il peut librement augmenter ou restreindre ses compétences. Un auteur allemand, qui est le professeur JELLIENK, a résumé la situation en affirmant « l’Etat a la compétence de la compétence », ce qui signifie, parce qu’il est souverain, l’Etat peut augmenter ses compétences ou les réduire. Il peut décider, concrètement, de réguler telle ou telle matière, et de laisser le soin de le faire à d’autres. Par exemple, l’Etat peut librement décider de déléguer ses compétences à une autre entité, c’est-à-dire de transférer l’exercice de ses pouvoirs à un autre sujet de droit. Cette situation-là, très fréquente dans le monde actuel, n’est pas incompatible avec la souveraineté de l’Etat, parce que c’est l’Etat qui décide de le faire, et personne d’autre ne peut l’y obliger. Une telle possibilité de délégation ou de transfert de compétences, de pouvoir se constate aussi bien dans l’Etat qu’à l’extérieur de l’Etat. Par exemple, à l’intérieur du cadre étatique, l’Etat va pouvoir déléguer l’exercice de certaines compétences à des collectivités infraétatiques. Ce phénomène de délégation, de transfert de compétences, prend le nom de décentralisation. Par exemple, en matière d’enseignement, l’Etat a délégué aux communes la compétence de s’occuper des écoles primaires. Tandis qu’il a délégué aux départements la compétence de s’occuper de l’enseignement secondaire. Ces compétences leur ont été déléguées, transférées par l’Etat. Dans ce domaine de l’enseignement, l’Etat n’a pas tout « abandonné » aux collectivités locales. C’est par exemple lui et lui-seul qui va s’occuper des programmes scolaires et universitaires, et qui va par exemple aussi gérer la carrière des fonctionnaires de l’Education Nationale, et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qui va s’occuper des professeurs d’université.
A l’extérieur du cadre étatique, cela se vérifie. Un constat de départ est essentiel : l’Etat est contraint de respecter le droit international. Ce sont des normes qui s’imposent à l’Etat. L’Etat qui doit s’obliger de se contraindre aux normes internationales est souverain. S’agissant des normes internationales, de la coutume, des traités internationaux, l’Etat est à l’origine de ces sources. L’Etat peut librement décider de se lier ou non par un traité international. Conclusion : un Etat n’est jamais obligé de ratifier un traité international. Et lorsqu’il a ratifié le traité international, il doit respecter le droit international et donc les traités auxquels il est parti. Il peut dénoncer les traités internationaux. Ce cas de l’Union européenne est assez intéressant, car on sait que la France a accepté, par la voie de traités qu’elle a signé, de transférer à l’Union européenne certaines de ses compétences. L’Union européenne, par l’intermédiaire de ses organes, de ses institutions, va pouvoir prendre certaines décisions à la place des Etats qui la composent. Ces décisions vont s’appliquer de plein droit en France, c’est-à-dire qu’elles vont être automatiquement intégrées dans les sources de droit interne, et constituer par conséquent des règles invocables et applicables devant les tribunaux français par exemple, même si la France a voté contre l’adoption de ces instances au niveau de l’Union européenne. Il faut donc relativiser l’expression « c’est la faute de Bruxelles ! ». Pourquoi cette situation de transfert de compétences avec les pouvoirs de compétences n’est pas contraire à la France ? Tous les mécanismes européens ont été institués en vertu de traités internationaux, que les Etats ont librement accepté de signer, comme ils auraient pu ne pas le faire. Ainsi, le projet de Constitution européenne adoptée par les chefs d’Etats et Gouvernements, en 2004, a été rejetée par la France en 2005, et plus particulièrement parce que le peuple français consulté par référendum ont dit « non ». Le résultat a été que ce traité international n’a pas pu entré en vigueur. Il a suffit que 2 pays rejettent le traité pour qu’il n’entre pas en vigueur. Le Brexit qui est en cours à l’heure actuelle est la preuve que le Royaume-Uni est un Etat souverain, puisque lié jusqu’ici par les normes européennes depuis 1972, il décide de quitter l’Union européenne par référendum en 2017. Ce qui montre, en définitive, que dans le cadre de l’Union européenne, la France comme d’autres Etats est un Etat souverain. C’est comme cette participation de la République à l’Union européenne, et transfert de compétences qu’elle a accepté, sont prévues par la Constitution française. C’est ce que prévoit l’article 88 – 1 de la Constitution du 4 octobre 1958.
La conclusion qui s’impose est la suivante : que ce soit dans le cadre du droit international ou de l’Union européenne, la République peut transférer des compétences, et ceci est compatible avec la Constitution française qui a prévu cette possibilité. Mais la République reste un Etat souverain, la Constitution n’autorise pas n’importe quel transfert, ce qui veut dire que la Constitution pose des limites qu’il faut respecter, et donc si un traité européen ou international franchit ces limites, alors il peut être déclaré contraire à la Constitution parce que contraire à l’exercice de la souveraineté nationale, et pour qu’il entre en vigueur, ce qui est toujours possible, il faudra d’abord réviser la Constitution. Ce qui veut dire que le dernier mot appartient à l’Etat, parce qu’il est souverain.

La souveraineté est synonyme pour l’Etat de liberté, d’indépendance, dans le respect du droit existant. Elle ne se limite pas qu’à cet aspect. On peut en effet voir aussi la souveraineté comme, non pas la qualité d’une puissance, mais comme la somme des compétences qui appartiennent à un Etat. Il s’agit d’un qualificatif de puissance, et une substance, c’est-à-dire un ensemble de compétences exercé par l’Etat. On pourrait que cette souveraineté substance va compléter la précédente. Et donc on dira que la souveraineté c’est à la fois une puissance suprême, c’est-à-dire libre et indépendante à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières, et la souveraineté est, en outre, toutes les compétences exercées par l’Etat. De ce second point de vue, la souveraineté se verra considérée comme l’ensemble des compétences les plus importantes exercées par l’Etat : faire la loi, rendre la justice, maintenir l’ordre et la sécurité sur le territoire, établir des relations diplomatiques avec les autres Etats, conclure avec eux des traités internationaux, prévoir pour financer le budget de l’Etat des prélèvements fiscaux… l’une des plus importantes, qui est la plus symbolique, est celle qui consiste d’user de la force pour défendre le citoyen et le territoire. L’énumération n’est pas exhaustive. Quelque soit les matières qui relèvent de la compétence de l’Etat, on s’aperçoit que l’Etat est d’abord un sujet qui prend des décisions dans un certain nombre de domaines de la vie sociale. Si on ferait le poids de ces différentes décisions, il est incontestable que faire la loi, rendre la justice, maintenir l’ordre et la sécurité sur le territoire, sont beaucoup plus importantes. Ces compétences seront tellement importantes qu’on parle de droits régaliens. On considère, à juste titre, qu’un Etat qui en serait privé, un Etat qui transférerait à un autre sujet des compétences dans ces domaines, se priverait d’un attribut essentiel de sa souveraineté. C’est la raison pour laquelle le Conseil Constitutionnel a jugé que l’abandon du franc français au profit de l’euro était contraire à la Constitution, parce que, précisément, le transfert à l’Union européenne (à la Banque Centrale Européenne) de la compétence en matière monétaire était contraire, était attentatoire à la souveraineté de l’Etat. Par conséquent, la Constitution ne permet pas cela. Elle permet le transfert de compétences qui ne sont pas régaliens, mais dès qu’on touche à un domaine régalien, la souveraineté est affectée. Avant de s’engager dans cette voie, il faut d’abord réviser la Constitution. C’est ce qui a été fait, ce qui a permis à la France de s’engager après révision de sa Constitution dans l’Union économique et monétaire. Par conséquent, si on veut, dans ce domaine-là, récupérer nos billes, dénoncer les traités et sortir de l’Union européenne.

B)     La souveraineté dans l’Etat

On peut, pour comprendre l’articulation entre les deux concepts, se demander comment est-ce qu’on passe de la souveraineté de l’Etat à la souveraineté dans l’Etat. Ce sont les 2 faces d’une même pièce, donc indissociables. La réponse est, ce n’est pas la même chose. Donc comment les distingue-t-on ?
On sait que le pouvoir politique, donc la faculté de prendre des décisions au nom des gouvernés, s’incarne dans une institution qui est l’Etat. L’Etat, c’est le pouvoir politique institutionnalisé. Les décisions, qui vont être prises par les gouvernants, vont être imputées à l’Etat. On peut attaquer l’Etat. C’est le fait que toutes les entités de l’Etat agissent en son nom. On sait aussi que cette institution est dotée d’un attribut, d’une qualité incomparable : la souveraineté. D’où l’expression de souveraineté de l’Etat.
Changeons de point d’observation. Au lieu de regarder l’Etat de l’extérieur, regardons-le de l’intérieur, pour voir s’exerce le pouvoir politique, avec le cadre étatique. D’où provient le pouvoir politique ? Quelle est la source du pouvoir dans l’Etat ?
La question est de savoir d’où provient le pouvoir des gouvernants. De la réponse à cette question découlera la réponse à la précédente qui est proche mais différente. Qui confère le pouvoir politique aux gouvernants ? Autrement dit, quel est l’organe ou le corps politique qui est le souverain dans l’Etat ? C’est-à-dire quel est celui qui confère le pouvoir aux gouvernants ? C’est le souverain dans l’Etat. C’est donc bien une question différente de la première. On se demande donc ici qui détient au fond le pouvoir suprême dans l’Etat et confère aux organes institués par la Constitution pour les gouvernés. Il n’y a qu’une réponse possible.
On peut apporter plusieurs réponses sur le plan théorique. Tout dépend d’abord de ce qu’on appelle la nature du régime politique, c’est-à-dire ses caractères essentiels. Si on a à faire à un régime autoritaire, comme une dictature, dans lequel le pouvoir appartient à un seul qui va gouverner par la force qui est à la fois la source et l’incarnation du pouvoir. On peut aussi dire que le pouvoir vient de Dieu. Le Roi était le représentant de Dieu sur la Terre.
En revanche, si on se place dans un Etat démocratique, il n’y a qu’une réponse possible. Le pouvoir vient du peuple, au sens défini plus haut, c’est-à-dire que le pouvoir vient des citoyens eux-mêmes. Dans un Etat démocratique, le souverain, c’est le peuple. Le peuple est le souverain dans un Etat démocratique. Lui-seul est la source du pouvoir qu’il va attribuer aux gouvernants. On peut résumer avec une formule « le pouvoir vient d’en bas, et pas d’en haut ». 2 conceptions se sont néanmoins opposées, la première a donné lieu à la théorie de la souveraineté nationale théorisée par Sieyès par un ouvrage paru en 1789 Qu’est-ce que le tiers-état ? L’autre conception était défendue par Rousseau dans son Contrat Social, c’est la théorie populaire.

La théorie de la souveraineté nationale. La souveraineté n’appartient pas au peuple, mais à la nation. C’est un corps politique collectif, indivisible, distinct des individus qui composent ce corps politique. L’article 3 de la DDHC, et l’article 3 de la Constitution de 1958 sont le reflet de cette conception. L’objectif que poursuit cette théorie est double :
-          Il faut d’abord retirer le pouvoir au Roi, sans pour autant le confier à la masse indivisible des citoyens. Mais ne l’oublions pas, c’est la bourgeoisie qui a fait la Révolution à l’époque, elle est minoritaire. La bourgeoisie se méfie du peuple, car on ne sait pas comment ce dernier peut décider. On se méfie donc du Roi et du peuple. La bourgeoisie invente la théorie nationale pour éviter que la Révolution lui échappe. Il faut trouver un juste milieu. Pour atteindre cet objectif, on va dire que le pouvoir appartient à la nation, qui est une pure fiction juridique, une invention abstraite. On sait qu’une personne morale ne peut pas vouloir par elle-même, il faut qu’elle agisse par des représentants. Elle ne peut pas par elle-même décider. Il faut que la nation soit représentée, c’est-à-dire que la nation désigne des députés, des représentants, qui vont gouverner au nom de la nation. Et donc, le point d’aboutissement du raisonnement, c’est que la souveraineté nationale va conduire à l’aboutissement d’un système particulier, qui a traversé les siècles. Un système politique particulier, qu’on appelle le régime représentatif. Et comme on est en démocratie, on va parler de démocratie représentative. Et on va le mesurer à travers les conséquences juridiques. les conséquences juridiques sont les suivantes : pour exercer sa souveraineté, la nation doit en déléguer l’exercice à des députés à une assemblée représentative qu’on appellera un Parlement ; selon cette conception, ceux qui votent, les citoyens électeurs qui vont élire leurs représentants, mais ils n’exercent pas un droit individuel, mais une fonction publique, qui est, par conséquent, un fonction publique qui peut être réservée au plus qualifié, au plus méritant ; le suffrage, c’est-à-dire le vote peut être confié à une partie des citoyens seulement. Le suffrage n’est pas forcément universel, il peut être restreint. On parlera de suffrage restreint ou censitaire, parce qu’il est fondé sur une unité de cens, qui sert à calculer l’impôt, et on en réservera en conséquence l’attribut aux plus fortunés. Les plus fortunés sous la Révolution sont l’aristocratie et la bourgeoisie. Dans la théorie de la souveraineté nationale, les élus représentent non pas un électeur qui les ont désigné. Dans la théorie de la souveraineté nationale, les élus représentent l’ensemble de la nation. Le mandat électif sera, pour cette raison, de mandat représentatif, par opposition au mandat impératif. L’article 27 de la Constitution de 1958 le prohibe de manière absolue, le mandat est essentiellement représentatif. Le député est libre vis-à-vis des électeurs, durant tout le temps que s’exerce son mandat. Il ne peut recevoir aucune directive, aucune injonction de la part de ceux qui les ont élu. Il les rencontre qu’à la fin de son mandat. Ce n’est pas usurper le sens des mots que de dire aujourd’hui que la crise des gilets jaunes traduit une crise de la souveraineté, qui s’appuie sur la théorie de la souveraineté nationale.

Rousseau défend dans son Contrat Social que la souveraineté appartient à tout le peuple, et plus précisément, à chaque individu qui le compose. Pour faire simple, chaque citoyen est détenteur d’une part de la souveraineté. La souveraineté appartient à chacun. Supposons que l’Etat soit composé de 10 000 citoyens. Chaque membre de l’Etat aura pour sa part la 10 000ème partie du pouvoir. Si on se situe sur le plan des conséquences, la souveraineté populaire a des conséquences opposées à celles de la souveraineté nationale : 1) chaque citoyen, lorsqu’il vote, exerce un droit individuel qui lui est propre et exclusif, dont il ne peut être, sauf pour raison grave, être dépossédé. Si c’est un droit, le citoyen est libre de l’exercer ou non. Par conséquent, la question du vote obligatoire soulève des problèmes. La souveraineté postule le suffrage universel, c’est-à-dire le droit de vote, sinon à tous, au plus grand nombre de citoyens. 2) la souveraineté populaire appelle, ou à tout le moins, autorise le mandat impératif, c’est-à-dire que l’élu est sous étroite surveillance de ceux qui l’ont fait élire. Les électeurs pourront lui adresser des injonctions. Ils auront un droit de surveillance. La logique du mandat impératif, c’est, dans la théorie de la souveraineté populaire, la révocation de l’élu. C’est le droit de mettre fin avant terme à l’exercice du mandat si les citoyens, si les électeurs ne sont pas satisfaits des décisions de leurs députés. 3) la souveraineté postule un type de régime politique particulier, qu’on appelle la démocratie directe. Le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Ce qui est la devise de la République actuelle. On voit bien que cette forme de gouvernement est tout de même difficile à mettre en œuvre. On débouche sur quelque chose d’impraticable. Et qu’on doive au final, et malgré tout, s’accommoder d’une certaine forme de représentation.

C)     Les formes d’exercice de la souveraineté

Les 2 conceptions sont opposées, non seulement dans leurs principes, mais également dans leur réalisation concrète. Si on s’appuie sur la théorie de la souveraineté nationale, on va mettre en place une démocratie dite représentative. Si on prône la souveraineté populaire, alors on va adopter la démocratie directe. En réalité, ni l’une ni l’autre ne se sont pleinement appliquée dans toutes leurs conséquences. C’est une forme intermédiaire de régime politique, qui mélange un peu les 2 régimes politiques, et dont la démocratie semi-représentative est la plus répandue.  



ð  07/02/2019

Dans la réalité, c’est la démocratie représentative qui l’a emporté. Certains régimes politiques, comme par exemple celui de la IIIème République en France (1870 – 1940), qui a été qualifié de régime ultra représentatif. Un régime ultra représentatif, dans le monde contemporain, comme peut l’être le Royaume-Uni.
On les appelle ainsi car ils concentrent tous les pouvoirs, toutes les décisions dans les mains des représentants sans que le peuple ne soit consulté. Cette dérive se vérifie aussi en partie sous la Vème République, régime politique ambigu dans lequel le pouvoir est concentré est concentré entre les mains du Président de la République. C’est une cause de la crise actuelle.
Depuis longtemps déjà, on a donc essayé, notamment en France, de faire la synthèse entre la démocratie représentative et la démocratie directe, en mettant en place une sorte de régime intermédiaire entre la démocratie représentative et démocratie directe qu’on appelle démocratie semi-représentative ou démocratie semi-directe

Reprenons les différents termes. Prenons la démocratie représentative. La démocratie représentative part du postulat que le peuple ne peut pas décider tout à tout moment. Le peuple ne peut pas décider seul, parce qu’on considère qu’il n’est pas apte à le faire, parce que, dans les sociétés modernes, dans les Etats modernes, certaines questions, certains problèmes, sont trop complexes pour être décidés par le peuple, et qu’il n’a pas les connaissances suffisantes, éclairées pour régler ces problèmes. Il faut donc que le peuple désigne des représentants compétents pour cela, d’où le régime représentatif et la démocratie représentative. Les citoyens vont participer au pouvoir politique en désignant des représentants, et en même temps, permettre aux élus de décider de prendre les décisions nécessaires au nom du peuple. D’où l’association démocratie représentative.

La démocratie directe. Elle est à l’opposé. Dans ce système, le peuple doit prendre lui-même les décisions, de prendre toutes les décisions. Il discute et il vote les lois, sans déléguer ce droit à des représentants, il prononce des décrets, il prend des actes réglementaires… Bref, il décide de tout à tout instant. La démocratie directe est, selon la formule bien connue, le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. L’idée séduisante, séduit les représentants français, qu’elle est inscrite dans la Constitution de 1958. Alors que le régime de la Vème République n’est pas fondée sur la démocratie directe. C’est une vision utopiste, parce qu’on ne peut mettre en œuvre que dans des pays où la population est très peu nombreuse. Elle est impraticable dans un pays très peuplé. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne peut pas être pratiquée, mais elle sera appliquée à l’échelon local, là où la population est plus restreinte, par exemple dans les communes. Rousseau faisait ce constat un peu amer dans une phrase qui est très connue « s’il y avait un peuple de Dieux, alors il se gouvernerait démocratiquement ». Pourtant, historiquement, on a connu des systèmes de démocratie directe, comme en Grèce. C’est la raison pour laquelle la Grèce est qualifiée de berceau de la démocratie. Les assemblées de citoyens se rassemblaient pour prendre des décisions, voter des lois… Pourtant le système avait ses limites : seuls les citoyens d’Athènes avaient le droit de siéger et de voter. Les autres non. Plus proche de nous dans le temps, la Suisse a pratiqué le système des assemblées populaires, mais dans des cantons de montagnes très peu peuplés, mais cela est tombé progressivement en désuétude. Il reste que la Suisse a une pratique assidue du référendum. Il y a chaque année en Suisse des référendums. Le développement récent des moyens de technologies et de communication a remis au goût du jour l’idée de e-démocratie. En Suisse par exemple, on pratique le vote par Internet. Chez nous, on a expérimenté Internet pour le recours aux contributions. Evidemment, parmi ces contributions, la fiscalité revient très souvent. Assez loin derrière aussi le référendum d’initiative populaire.

Le compromis. C’est la démocratie semi-directe. C’est la forme de gouvernement intermédiaire entre démocratie directe et démocratie représentative. Comme son nom l’indique, ce type de gouvernement s’appuie sur un recours plus fréquent au peuple sur les décisions à prendre. Les risques de ce système sont connus. Les élus constituent très vite une élite qui va s’ériger en classe dominante, et finit par constituer une classe de citoyens minoritaires, coupés du peuple, qui décide de tout, sans l’accord du peuple. La démocratie semi-directe va s’efforcer de corriger cela, en mettant en place un certain nombre de techniques empruntées à la démocratie directe. Il demeure représentatif, mais on y introduit des mécanismes qui vont faire directement appel au peuple. Le référendum est la technique la plus connue, mais encore faudrait-il voir assez clair, et il faut distinguer 4 types de référendum :
-          Le référendum constituant. Le référendum constituant permet soit d’adopter une nouvelle Constitution, soit de réviser une Constitution existante. Le peuple est donc le pouvoir constituant.
-          Le référendum « véto ». Il va donner aux électeurs un droit de véto, c’est-à-dire un droit de s’opposer à certains textes que le Parlement vient d’adopter.
-          Le référendum abrogatif. Dans le prolongement du deuxième, le référendum abrogatif va permettre aux citoyens de demander l’abrogation de lois en vigueur, c’est-à-dire la perte de validité pour l’avenir d’un texte de lois adopté par le Parlement et qui est appliqué.
-          Le référendum législatif, qui permet à une fraction du corps électoral de demander l’adoption d’un texte législatif. Il va permettre au peuple de demander l’adoption d’un texte. Le peuple est donc le législateur.
Dans un référendum, le résultat va donc conditionner l’adoption d’un texte ou la suite à donner à un processus. Par exemple, le peuple va pouvoir adopter directement une loi comme cela était le cas lorsqu’en 1962, le général de Gaulle a fait voter par le peuple une loi constitutionnelle, modifiant le mode d’élection du Président de la République, afin de le faire élire au suffrage universel direct. Dans le cadre de l’article 11 de la Constitution de 1958, les citoyens peuvent également être consultés par référendum pour autoriser le Président de la République à ratifier un traité international. Dans les 2 cas cités à titre d’exemple, les citoyens doivent répondre par « oui » ou par « non ». On dit que pour cette raison-là, le référendum impose un choix strictement binaire. On voit que la faille du référendum. Il peut y avoir détournement du choix du peuple. De fait, la pratique du référendum sous la Vème République est faible. Depuis 1958, 9 consultations référendaires ont eu lieu. La dernière a eu lieu en 2005, et le peuple s’est prononcé contre la ratification établissant un traité pour l’Europe. C’est là qu’on voit que le choix binaire est radical dans ses applications. Le peuple ayant dit « non » au traité européen, celui-ci n’a jamais pu entrer en vigueur. En pratique, sous la Vème République, finalement, le recours au référendum n’est possible que dans 2 situations :
-          Soit pour réviser la Constitution ou pour en adopter une nouvelle
-          Soit pour faire adopter un texte de lois
Dans le premier cas on parlera de référendum constituant, et dans l’autre cas on parlera de référendum législatif. Le Président de la République soumet au peuple un projet de loi d’autorisation de modification du traité, donc c’est toujours une loi. On sait que les sujets sur lesquels porte le référendum en France est très encadré. Cela peut concerner l’organisation des pouvoirs publics, et les réformes dans les domaines de la politique, économique, social ou environnemental, et l’adoption de traités internationaux.
On sait également qu’a été introduit en 2008 un nouveau type de référendum, un référendum d’initiative partagé, qu’il ne faut pas confondre avec le référendum d’initiative citoyen. Ce qui nous intéresse ici, c’est que la pratique du référendum sous la Vème République fait de cet instrument un mécanisme très délicat à utiliser. En France, on n’a pas la culture du référendum comme en Suisse. Ces difficultés sont de plusieurs ordres :
-          Tout d’abord, on s’aperçoit que dans la pratique que les réponses données par le peuple sont souvent inattendues. Réponses souvent à contrecourant de ce qui ont posé la réponse. Il y a un premier risque, c’est de mettre en porte à faux le pouvoir politique en place.
-          Le référendum peut être dangereux s’il n’est pas encadré, parce que les électeurs peuvent laisser s’exprimer dans les urnes des réactions parfois violentes, des réactions parfois irrationnelles qui peuvent aller à l’encontre de l’idée de progrès, voire mettre en danger la démocratie.
-          Une autre difficulté vient du risque de manipulation de l’opinion des électeurs lors du référendum. Dans la pratique actuelle, notamment en France, parce que les personnes qui posent la question sont le plus souvent à l’origine du référendum. En clair, ce sont celles qui sont au pouvoir qui posent la question. Le risque, c’est qu’elles s’efforcent, selon la question, d’orienter la question. L’idée qu’il y a derrière, c’est que tout dépend de la manière dont la question est posée. En 1981, les citoyens de la province du Québec au Canada ont dû répondre par « oui » ou par « non » à la question suivante « voulez-vous que le Québec devienne un Etat indépendant ? » (en résumé). Le Québec a formulé la question en ces termes, car l’une des stratégies est de formuler la question pour orienter vers l’une des deux réponses. C’est effectivement ce que révélait la question posée de façon subliminale. L’accent est mis sur l’égalité des peuples. Ensuite, l’accent est mis sur l’idée de souveraineté du Québec, c’est-à-dire la souveraineté internationale, donc l’indépendance du Québec par rapport au Canada. Très clairement, l’indépendance c’est donc la cessation du Québec vis-à-vis du Canada. De l’autre, on ne voulait pas effrayer les Québécois sur les conséquences de cette indépendance. En somme, la question tel qu’elle était libellée, débouchait sur une proposition équilibrée, susceptible d’entrainer un vote favorable, ménageant à la fois l’association avec le Canada tout en étant indépendant. Une autre stratégie est le vote bloquée. L’idée consiste à forcer l’adhésion à une mesure qui n’est pas très populaire en l’associant à une idée qui, elle, est populaire. Par exemple « êtes-vous pour ou contre les choux de Bruxelles tous les jours à la cantine ? » ou bien « êtes-vous pour ou contre les choux de Bruxelles et le steak/frites ? ». Le cas s’est illustré en 1998 au Portugal. Le gouvernement portugais qui est à l’origine d’un référendum a voulu organiser celui-ci pour demander au peuple de se prononcer sur la ratification d’un traité européen (traité d’Amsterdam). La question posée est la suivante « êtes-vous d’accord pour que le Portugal continue à participer à la construction de l’Union européenne dans le cadre du traité d’Amsterdam ? ». Très simplement, le traité d’Amsterdam modifie le traité de Maastricht qui lui-même avait modifié les traités de 1957. En associant 2 éléments complétement distincts, le gouvernement donne ou accrédite le sentiment qu’il n’y a qu’en ratifiant le Traité d’Amsterdam qu’on puisse rester dans l’Union européenne. Autre exemple, celui du général de Gaulle en 1969, où, c’est une première, le référendum avec vote bloqué est en réalité triple. Un référendum, 3 sujets, 3 réponses possibles, mais 1 seul résultat. Voici la question « approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le Président de la République, relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat ? ». Il y a la question des régions, il y a la réforme du Sénat, et le maintien ou non du général de Gaulle. Comment éviter les manipulations ? Plusieurs pays comme la Suisse ou les Etats-Unis ont mis au point, depuis plusieurs décennies d’ailleurs, des règles pour que les questions soient plus précises et plus objectives. L’une de ces règles est fondée sur le principe dit d’unité de matière. L’unité de matière, d’où la difficulté du référendum à réponses multiples. L’unité de matière, c’est-à-dire l’idée que si plusieurs propositions sont soumises à un vote lors d’un même référendum, il faut qu’elles aient entre elles un lien direct. C’est-à-dire que les sujets traités soient en réalité proches ou connexes. En matière de référendum, surtout si on s’adresse au peuple, il ne faut pas mélanger les sujets, donc pas de cavaliers législatifs. Contrairement aux Etats-Unis et à la Suisse, il n’existe aucun texte, aucune loi pour encadrer la question référendaire. Autrement dit, le gouvernement, en réalité le Président de la République, fait un peu ce qu’il veut à travers la question posée. S’il existe, en nombre très limité, des décisions du Conseil Constitutionnel sur ce point, force est de constater que sa jurisprudence est floue, une fois n’est pas coutume, parce que c’est souvent le cas, puisqu’il se contente d’exiger que la question soit claire et loyale. Dernière solution pour éviter les manipulations, il consiste à faire que la question ne soit pas posée écrite par les partisans du « oui » ou les partisans du « non », mais par les 2. C’est ce qu’il s’est passé en 2014 en Ecosse, lorsque s’est tenu un référendum. Un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse pose une double difficulté. La difficulté était double, parce que pour qu’un référendum existe, se tienne en Ecosse, il faut, parce que l’Ecosse fait partie du Royaume-Uni, un accord de l’Ecosse et du Royaume-Uni. Seconde difficulté, l’Ecosse est gouvernée par les partis nationalistes, c’est-à-dire les partis qui veulent que l’Ecosse soit indépendante. Le référendum que réclame la Première ministre écossaise ne s’est pas encore tenu. Alors qu’au Royaume-Uni, conservateur, est plutôt unioniste. Donc ils sont contre l’idée que l’Ecosse devienne un Etat indépendant. Pour mettre d’accord les 2 camps, une commission électorale mixte paritaire a été chargée de rédiger la question, composée d’indépendantistes ou de nationalistes d’un côté, et d’unionistes de l’autre. La question est devenue « l’Ecosse doit-elle être un pays indépendant ? ».
-          Le risque de confusion entre référendum et plébiscite. Le risque est d’autant plus fort que le plébiscite est un moyen très prisé par les régimes autoritaires ou populistes, voire par les dictatures. Pour distinguer les 2 notions, chose qui n’est pas facile, on fait appel à une notion qui est simple. Dans le référendum, la réponse doit ou devrait uniquement dépendre de la question posée, et exclusivement de celle-là. Mais on voit le problème, le problème c’est que la question posée est souvent posée par les gouvernants en place, et c’est là où le glissement peut s’opérer. Au contraire, dans le plébiscite, la réponse est donnée d’abord en fonction de l’auteur de la question. C’est souvent ce qui s’est passé sous la Vème République. C’est la raison pour laquelle l’une des voies qui a été expérimentée, ce serait justement de dissocier la pratique du référendum des gouvernants en place, c’est-à-dire en permettant aux citoyens de prendre l’initiative, indépendamment des gouvernants.



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