SEANCE
N°1 : PATRIMOINE, CLASSIFICATION
1— Patrimoine
Commentaire de l’article 519 du projet de
réforme du Livre II du Code civil :
« Le patrimoine d’une personne est
l’universalité de droit comprenant l’ensemble de ses biens et obligations,
présents et à venir, l’actif répondant du passif.
Toute personne physique ou morale est
titulaire d’un patrimoine et, sauf si la loi en dispose autrement, d’un
seul ».
2— Biens et biens
immeubles par destination, qualification et classification
Commentaires :
Cass. Civ. 3ème, 31 octobre 2012, les quotas laitiers
sont-ils des biens ?
Cons. Constit., 11 octobre 2013, QPC, les autorisations minières sont-elles
des biens ?
Cour de cassation chambre civile 3
Audience publique du mercredi 31 octobre 2012
N° de pourvoi: 10-17851
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME
CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué
(Douai, 8 février 2010), que M. X... a été exploitant agricole, producteur de
lait, sur un ensemble de parcelles dont il était propriétaire ou preneur à bail
; qu'au moment de sa retraite, par deux actes sous seing privé du 15 janvier
2000, M. X... a cédé à François Y... et Valérie Z..., son épouse, tous deux
membres du GAEC Pont du Garin, le cheptel mort et vif et un stock d'ensilage et
de fourrage ; que selon deux factures du même jour, il a cédé à M. Y..., d'une
part, et à Mme Y..., d'autre part, au titre de " fumure et arrière-fumure,
+ quota 340 993 litres " pour la première et " fumure et arrière-
fumure, + quota 185 006 litres " pour la seconde, pour un montant
respectif de 178 596, 03 euros et 113 828, 95 euros ; que les parcelles dont M.
X... était locataire ont été données à bail à M. Y... et Mme Y... ; que deux
projets notariés de baux ruraux à long terme au profit, d'une part, de M. Y...
et, d'autre part, de Mme Y..., portant sur les terres dont M. X... était
propriétaire, ont été établis et que, bien que ces actes n'aient pas été
régularisés, les époux Y... ont pris possession des terres ; que par décision
du 20 avril 2001, le préfet du Nord a transféré au GAEC Pont du Garin des
quantités de référence laitière de 263 409 litres correspondant à la reprise
par M. Y... de 44, 39 hectares et de 182 871 litres, pour la reprise par Mme
Y... de 27, 93 hectares ; qu'en octobre 2006, les époux Y... ont assigné M.
X..., sur le fondement de l'article L. 411-74 du code rural, en répétition des
sommes versées au titre des fumures, arrière-fumures et quotas laitiers ; que
la société civile professionnelle (la SCP) Yvon Perin et Jean-Philippe A...,
mandataire au redressement judiciaire de M. Y... et Mme Y... prononcé par
jugement du 1er mars 2007, est intervenue volontairement à l'instance ;
Sur le moyen unique, pris en
ses quatre premières branches :
Attendu que M. X... fait grief
à l'arrêt d'accueillir la demande et de rejeter sa demande visant à poser une
question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, alors, selon
le moyen :
1°/ que dans la mesure ou aucun
texte en droit communautaire ou en droit interne n'interdit la valorisation de
la quantité de référence laitière que détient un producteur à l'occasion de son
transfert à un autre producteur, et compte tenu du fait non contestable que
cette quantité de référence laitière dispose d'une valeur économique, l'accord
de volonté entre un bailleur et un preneur pour céder de manière onéreuse la quantité
de référence laitière transférée à l'occasion de la conclusion d'un bail ne
peut constituer la remise d'une somme d'argent injustifiée au sens de l'article
L. 411-74 du code rural ; de sorte qu'en retenant que les références de
production laitière qui avaient été attribuées à M. X... en sa qualité de
producteur ne constituaient qu'une autorisation administrative non négociable
et que la cession onéreuse de ces références aux époux Y... dans le cadre de la
cession de son exploitation et de la prise à bail par ces derniers des terrains
qu'il louait ou dont il était propriétaire constituaient dès lors une somme
injustifiée au regard de l'article L. 411-74 du code rural, la cour d'appel a
violé ledit texte, l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 7 du
Règlement (CEE) n° 3950/ 92 modifié du Conseil du 28 décembre 1992 établissant
un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers
;
2°/ qu'en l'état de la
contestation sérieuse relative à l'interprétation qu'il convient de donner au
droit communautaire et aux principes généraux du droit communautaire pour
déterminer si une disposition d'un Etat membre peut interdire par principe la
valorisation d'une quantité de référence laitière à l'occasion d'un changement
d'exploitant, il appartiendra à la Cour de cassation de renvoyer la cause et
les parties devant la juridiction des communautés européennes, dans les
conditions visées au dispositif conformément à l'article 267 du Traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne ;
3°/ qu'à supposer que l'article
L. 411-74 du Code rural puisse être interprété comme interdisant par principe à
un propriétaire de valoriser son quota laitier à l'occasion de la cession de
son exploitation et de la conclusion d'un bail, une telle disposition porterait
une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par
l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme, dès lors que la valeur patrimoniale
indéniable conférée par le quota laitier à l'exploitation agricole ou aux
terres qui en sont le support doit permettre au titulaire de ce quota de le
céder à titre onéreux à l'occasion d'un changement d'exploitant ; si bien qu'en
retenant que l'application, à la cession onéreuse d'un quota laitier à laquelle
a procédé M. X... en sa qualité de bailleur, de la sanction civile prévue par
l'article L. 411-74 du code rural n'était pas de nature à entraîner une
atteinte au principe de la protection de la propriété de ce dernier tel que garanti
par l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme, la cour d'appel a violé ce texte ;
4°/ que la sanction civile
prévue par l'article L. 411-74 du code rural méconnaît le principe d'égalité de
traitement et de non discrimination, tel que garanti par l'article 14 de la
Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 1er du Premier
Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme, dès lors que des exploitants agricoles pourtant placés dans une
situation similaire, ou à tout le moins analogue, en ce qu'ils sont amenés à
céder leur exploitation, pourront, s'ils décident de vendre leurs terrains,
céder leurs parts de société, ou conclure un bail cessible hors du cadre
familial, aisément monnayer la valeur de leur outil de travail, en ce compris
la valeur du quota laitier, alors que l'exploitant qui entend donner à bail son
exploitation conformément aux dispositions des articles L. 411-1 et suivants du
code rural se voit privé d'une telle valorisation en vertu de l'article L.
411-74 du code rural, sans justification objective et raisonnable ; de sorte
qu'en décidant du contraire en se bornant à comparer la situation du bailleur
qui a conclu un bail de droit commun et un bailleur qui a conclu un bail
cessible hors cadre familial, la cour d'appel a violé l'article 14 de la
Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 1er du Premier
Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme ;
Mais attendu qu'ayant relevé
que, selon l'arrêt de la CJCE Queen c/ Ministry of agriculture du 24 mars 1994,
le droit de propriété garanti dans l'ordre juridique communautaire ne
comportait pas le droit à la commercialisation d'un avantage tel que les
quantités de référence allouées dans le cadre d'une organisation commune de
marché, et exactement retenu que les quantités de référence laitière qui
avaient été attribuées à M. X... en sa qualité de producteur ne constituaient
qu'une autorisation administrative non négociable, la cour d'appel en a déduit
à bon droit que les dispositions de l'article L. 411-74 du code rural et de la
pêche maritime, sans créer de discrimination au sens de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et sans porter atteinte au droit
de propriété, devaient s'appliquer et justifiaient la condamnation de M. X... à
la restitution des sommes perçues, sans qu'il y ait lieu de poser une question
préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
D'où il suit que le moyen n'est
pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, pris
en ses cinquième et sixième branches :
Vu l'article 455 du code de
procédure civile ;
Attendu que l'arrêt attaqué
condamne M. X... à restituer certaines sommes à M. Y... d'une part et à Mme
Z... épouse Y... d'autre part, augmentées des intérêts calculés à compter du 18
août 2000 égaux au taux pratiqué par la caisse régionale de crédit agricole
pour les prêts à moyen terme ;
Qu'en statuant ainsi sans
répondre aux conclusions de M. X... invoquant, d'une part, la méconnaissance du
principe d'égalité résultant de ce que les personnes tenues de répéter les
sommes indûment remises étaient soumises à des taux d'intérêt différents selon
la caisse régionale de crédit agricole dont ils dépendaient, d'autre part, la
prescription civile de cinq ans applicable à ces intérêts, la cour d'appel n'a
pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE,
Conseil constitutionnel vendredi 11 octobre 2013 - Décision N° 2013-346
QPC
Le Conseil constitutionnel a
été saisi le 12 juillet 2013 par le Conseil d'État (décision n° 367893 du 12
juillet 2013), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution,
d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société
Schuepbach Energy LLC, relative à la conformité aux droits et libertés que la
Constitution garantit des articles 1er et 3 de la loi n° 2011-835 du 13 juillet
2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines
d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger
les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette
technique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7
novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 2011-835 du 13
juillet 2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines
d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger
les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette
technique ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le règlement du 4 février
2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les
questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu la demande en intervention
produite pour la région Rhône-Alpes par la SELARL Antelis Coïc Romi associés,
avocat au barreau de Lyon, enregistrée le 25 juillet 2013, ensemble la décision
du Conseil constitutionnel de non-admission de cette demande du 2 août 2013, la
demande en intervention produite pour la région Île-de-France et le département
de Seine-et-Marne par la SELARL Huglo Lepage et associés Conseil, avocat au
barreau de Paris, enregistrée le 30 juillet 2013, ensemble la décision du
Conseil constitutionnel de non-admission de cette demande du 2 août 2013, la
demande en intervention produite pour l'association « de défense de
l'environnement et du patrimoine à Doué et aux communes environnantes », le «
mouvement national de lutte pour l'environnement » et M. Jean-François
DIRRINGER par la SELARL Huglo Lepage et associés Conseil, enregistrée le 30
juillet 2013, ensemble la décision du Conseil constitutionnel de non-admission
de cette demande du 2 août 2013, la demande en intervention produite pour M.
José BOVÉ par la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat au Conseil d'État et à la
Cour de cassation, enregistrée le 31 juillet 2013, ensemble la décision du
Conseil constitutionnel de non-admission de cette demande du 2 août 2013, la
demande en intervention produite pour Mmes Sylviane BAUDOIS, Martine DAURES,
Marie CHIORRI et Sonia TORREGROSSA et MM. Nicolas DAURES, Cyril DARNIS,
François FAVRE, Christophe MIGNON et Stéphane LINOU par la SELARL Christophe
Lèguevaques avocat, avocat au barreau de Paris, enregistrée le 31 juillet 2013,
ensemble la décision du Conseil constitutionnel de non-admission de cette
demande du 2 août 2013, la demande en intervention produite pour Mmes Sylviane
BAUDOIS, Martine DAURES, Isabelle LEVY et Sonia TORREGROSSA et MM. André BORG,
Nicolas DAURES, François FAVRE, Christophe MIGNON et Stéphane LINOU et
l'association « Bien vivre dans le Gers » par la SELARL Christophe Lèguevaques
avocat, enregistrée le 5 août 2013, ensemble la décision du Conseil
constitutionnel de non-admission de cette demande du 7 août 2013 et la demande
en intervention produite pour le département de l'Ardèche par Helios avocats,
avocat au barreau de Lyon, enregistrée le 2 septembre 2013 ;
Vu les observations en
intervention produites par l'association « France Nature Environnement »,
enregistrées les 5 et 29 août 2013 ;
Vu les observations en
intervention produites pour l'association « Greenpeace France », par la SCP
Faro et Gozlan, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 5 août 2013 ;
Vu les observations produites
pour la société requérante par Me Marc Fornacciari, avocat au barreau de Paris,
enregistrées le 6 août 2013 ;
Vu les observations produites
par le Premier ministre, enregistrées le 6 août 2013 ;
Vu les pièces produites et
jointes au dossier ;
Me Fornacciari, pour la société
requérante, Me Stéphane Le Briero, avocat au barreau de Paris, pour l'association
« France Nature Environnement », Me Alexandre Faro, avocat au barreau de Paris,
pour l'association « Greenpeace France » et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné
par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 24
septembre 2013 ;
Le rapporteur ayant été entendu
;
- SUR L'ADMISSION DES
INTERVENTIONS :
1. Considérant qu'aux termes du
deuxième alinéa de l'article 6 du règlement du 4 février 2010 susvisé : «
Lorsqu'une personne justifiant d'un intérêt spécial adresse des observations en
intervention relatives à une question prioritaire de constitutionnalité dans un
délai de trois semaines suivant la date de sa transmission au Conseil
constitutionnel, mentionnée sur son site internet, celui-ci décide que
l'ensemble des pièces de la procédure lui est adressé et que ces observations
sont transmises aux parties et autorités mentionnées à l'article 1er. Il leur
est imparti un délai pour y répondre. En cas d'urgence, le président du Conseil
constitutionnel ordonne cette transmission » ;
2. Considérant que les
associations « France Nature Environnement » et « Greenpeace France »
justifient d'un intérêt spécial à intervenir dans la procédure d'examen de la
présente question prioritaire de constitutionnalité ; que ces interventions
sont admises par le Conseil constitutionnel ;
- SUR LE FOND :
3. Considérant qu'aux termes de
l'article 1er de la loi du 13 juillet 2011 susvisée : « En application de la
Charte de l'environnement de 2004 et du principe d'action préventive et de
correction prévu à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, l'exploration
et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages
suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le
territoire national » ;
4. Considérant qu'aux termes de
l'article 3 de la loi du 13 juillet 2011 susvisée : « I. - Dans un délai de
deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de
permis exclusifs de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux
remettent à l'autorité administrative qui a délivré les permis un rapport
précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs
activités de recherches. L'autorité administrative rend ce rapport public.
« II. - Si les titulaires des
permis n'ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le
recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique
de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés.
« III. - Dans un délai de trois
mois à compter de la promulgation de la présente loi, l'autorité administrative
publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés.
« IV. - Le fait de procéder à
un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l'avoir déclaré à
l'autorité administrative dans le rapport prévu au I est puni d'un an
d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende » ;
5. Considérant que, selon la
société requérante, les dispositions de l'article 1er de la loi du 13 juillet
2011 portent atteinte à l'égalité devant la loi ainsi qu'à la liberté
d'entreprendre et méconnaissent le principe de précaution consacré par
l'article 5 de la Charte de l'environnement ; que les dispositions de l'article
3 de la loi du 13 juillet 2011 porteraient atteinte à la garantie des droits et
au droit de propriété ; qu'enfin l'ensemble des dispositions contestées
méconnaîtraient le principe de conciliation des politiques publiques avec la
protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique
et le progrès social consacré par l'article 6 de la Charte de l'environnement ;
. En ce qui concerne le grief
tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
6. Considérant que, selon la
société requérante, en interdisant le recours à tout procédé de fracturation
hydraulique de la roche pour l'exploration et l'exploitation des mines
d'hydrocarbures liquides ou gazeux, alors que ce procédé de fracturation
hydraulique de la roche demeure autorisé pour la géothermie, l'article 1er de
la loi du 13 juillet 2011 méconnaît le principe d'égalité devant la loi ;
7. Considérant que l'article 6
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la
loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse »
; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de
façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité
pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la
différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de
la loi qui l'établit ;
8. Considérant qu'en l'état des
techniques, les procédés de forage suivi de fracturation hydraulique de la
roche appliqués pour la recherche et l'exploitation d'hydrocarbures diffèrent
de ceux appliqués pour stimuler la circulation de l'eau dans les réservoirs
géothermiques tant par le nombre de forages nécessaires que par la nature des
roches soumises à la fracturation hydraulique, ainsi que par les
caractéristiques et les conditions d'utilisation des produits ajoutés à l'eau
sous pression pour la fracturation ; que, par suite, en limitant le champ de
l'interdiction aux seuls forages suivis de fracturation hydraulique de la roche
pour l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou
gazeux, le législateur a traité différemment des procédés distincts de
recherche et d'exploitation de ressources minières ;
9. Considérant qu'en
interdisant tout recours à la fracturation hydraulique de la roche pour
rechercher ou exploiter des hydrocarbures sur le territoire national, le
législateur a entendu prévenir les risques que ce procédé de recherche et
d'exploitation des hydrocarbures est susceptible de faire courir à
l'environnement ; qu'il ressort également des travaux préparatoires que le
législateur a considéré que la fracturation hydraulique de la roche à laquelle
il est recouru pour stimuler la circulation de l'eau dans les réservoirs
géothermiques ne présente pas les mêmes risques pour l'environnement et qu'il a
entendu ne pas faire obstacle au développement de l'exploitation de la
ressource géothermique ; qu'ainsi la différence de traitement entre les deux
procédés de fracturation hydraulique de la roche qui résulte de l'article 1er
est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
. En ce qui concerne le grief
tiré de la méconnaissance de la liberté d'entreprendre :
10. Considérant que la société
requérante conteste l'atteinte à la liberté d'entreprendre résultant de
l'interdiction de recourir à des forages suivis de la fracturation hydraulique
de la roche ;
11. Considérant qu'il est
loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de
l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences
constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il
n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif
poursuivi ;
12. Considérant que
l'interdiction de recourir à des forages suivis de la fracturation hydraulique
de la roche pour rechercher ou exploiter des hydrocarbures sur le territoire
national est générale et absolue ; qu'elle a pour effet de faire obstacle non
seulement au développement de la recherche d'hydrocarbures « non conventionnels
» mais également à la poursuite de l'exploitation d'hydrocarbures «
conventionnels » au moyen de ce procédé ; qu'en interdisant le recours à des
forages suivis de fracturation hydraulique de la roche pour l'ensemble des
recherches et exploitations d'hydrocarbures, lesquelles sont soumises à un
régime d'autorisation administrative, le législateur a poursuivi un but
d'intérêt général de protection de l'environnement ; que la restriction ainsi
apportée tant à la recherche qu'à l'exploitation des hydrocarbures, qui résulte
de l'article 1er de la loi du 13 juillet 2011, ne revêt pas, en l'état des
connaissances et des techniques, un caractère disproportionné au regard de
l'objectif poursuivi ;
. En ce qui concerne les griefs
tirés de la méconnaissance des articles 2, 16 et 17 de la Déclaration de 1789 :
13. Considérant que, selon la
société requérante, en prévoyant l'abrogation de permis exclusifs de recherches
d'hydrocarbures qui avaient été légalement délivrés à leurs titulaires,
l'article 3 de la loi du 13 juillet 2011 porte atteinte au droit au respect des
situations légalement acquises garanti par l'article 16 de la Déclaration de
1789 ainsi qu'au droit de propriété de ces titulaires de permis exclusifs de
recherches ;
14. Considérant qu'aux termes
de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la
garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de Constitution » ; que le législateur méconnaîtrait la
garantie des droits s'il portait aux situations légalement acquises une
atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;
15. Considérant que la
propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2
et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La
propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce
n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment,
et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de
privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de
l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit
doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à
l'objectif poursuivi ;
16. Considérant, en premier
lieu, que le paragraphe I de l'article 3 impose de nouvelles obligations
déclaratives aux titulaires de permis exclusifs de recherches d'hydrocarbures
dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la loi du 13 juillet
2011 ; qu'en outre, l'article 1er de cette même loi interdit à compter de
l'entrée en vigueur de la loi tout recours à la fracturation hydraulique de la
roche pour l'exploration des hydrocarbures liquides ou gazeux ; qu'en prévoyant
que les permis exclusifs de recherches d'hydrocarbures sont abrogés lorsque
leurs titulaires n'ont pas satisfait aux nouvelles obligations déclaratives ou
ont mentionné recourir ou envisagé de recourir à des forages suivis de
fracturation hydraulique de la roche, le paragraphe II de l'article 3 tire les
conséquences des nouvelles règles introduites par le législateur pour
l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux ; que, ce
faisant, le paragraphe II de l'article 3 ne porte pas atteinte à une situation
légalement acquise ;
17. Considérant, en second
lieu, que les autorisations de recherche minière accordées dans des périmètres
définis et pour une durée limitée par l'autorité administrative ne sauraient
être assimilées à des biens objets pour leurs titulaires d'un droit de
propriété ; que, par suite, les dispositions contestées n'entraînent ni une
privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ni une
atteinte contraire à l'article 2 de la Déclaration de 1789 ;
. En ce qui concerne les griefs
tirés de la méconnaissance des articles 5 et 6 de la Charte de l'environnement
:
18. Considérant que, selon la
société requérante, l'interdiction du recours à tout procédé de fracturation
hydraulique de la roche pour l'exploration et l'exploitation des mines
d'hydrocarbures liquides ou gazeux par l'article 1er de la loi du 13 juillet
2011 méconnaît le principe de précaution consacré par l'article 5 de la Charte
de l'environnement ; que tant cette interdiction que l'abrogation des permis
exclusifs de recherche de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux prévue par
l'article 3 de la loi du 13 juillet 2011 méconnaîtraient également l'article 6
de la Charte de l'environnement, qui impose la conciliation des politiques
publiques avec la protection et la mise en valeur de l'environnement, le
développement économique et le progrès social ;
19. Considérant, d'une part,
qu'aux termes de l'article 6 de la Charte de l'environnement : « Les politiques
publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles
concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le
développement économique et le progrès social » ; que cette disposition
n'institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; que sa
méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question
prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la
Constitution ;
20. Considérant, d'autre part,
qu'aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement : « Lorsque la
réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances
scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible
l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe
de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures
d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et
proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » ; qu'est en tout
état de cause inopérant le grief tiré de ce que l'interdiction pérenne du
recours à tout procédé de fracturation hydraulique de la roche pour
l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux
méconnaîtrait le principe de précaution ;
21. Considérant qu'il résulte
de tout ce qui précède que les dispositions des articles 1er et 3 de la loi du
13 juillet 2011, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté garanti par
la Constitution, doivent être déclarées conformes à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Les articles 1er
et 3 de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l'exploration
et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation
hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des
projets ayant recours à cette technique sont conformes à la Constitution.
Article 2.- La présente
décision sera publiée au Journal officiel de la République française et
notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7
novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil
constitutionnel dans sa séance du 10 octobre 2013, où siégeaient : M.
Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE,
Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT
MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.
Rendu public le 11 octobre
2013.
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