TD DROIT DES BIENS SEANCE N°2 : POSSESSION LICENCE 3


  1. SEANCE N°2 : POSSESSION


Possession et éléments constitutifs
Commentaire
Cass. civ. 3ème, 14 janvier 2015, la preuve du corpus
Cass. civ. 3ème, 4 avril 2012, la preuve de l’animus            

Possession et domaine d’application
Lecture et imagination : Quel domaine d’application pour la possession ?

BLANDINE MALLET-BRICOUT, Les éléments constitutifs de la possession, permanence ou renouveau du débat ? Droit et patrimoine, 2013, 230


Cour de cassation chambre civile 3, Audience publique du mercredi 14 janvier 2015
N° de pourvoi: 13-22256
Publié au bulletin Rejet

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Bastia, 5 juin 2013), que les consorts X...ont fait dresser par un notaire, le 22 décembre 2009, un acte de notoriété acquisitive portant sur la propriété du lot d'un immeuble ; que les consorts de Y...ayant manifesté leur opposition auprès du notaire, les consorts X...les ont assignés pour voir déclarer cette opposition non fondée et abusive et ordonner la publication de l'acte à la conservation des hypothèques ;
Attendu que les consorts de Y...font grief à l'arrêt d'accueillir ces demandes, alors, selon le moyen :
1°/ qu'en relevant d'office le moyen selon lequel les consorts de Y...n'étaient pas fondés à soutenir qu'ils étaient propriétaires du bien litigieux, faute pour eux de produire des pièces démontrant que le lot échu à leur grand-père en 1913 était demeuré dans leur actif successoral, sans susciter les observations préalables des parties à ce sujet, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que la possession utile permettant d'usucaper suppose des actes concrets et continus pendant trente ans traduisant l'exercice d'un droit (corpus) et la volonté de se considérer comme titulaire de ce droit (animus) ; que lorsque les actes matériels accomplis par celui qui se prétend propriétaire n'ont pas une importance telle qu'ils traduisent l'exercice factuel d'un droit de propriété, la possession n'est pas établie faute de corpus suffisant ; que le fait d'habiter un appartement ne traduit pas à lui seul l'exercice (corpus) d'un droit de propriété ; que le fait que ledit appartement soit par ailleurs porté au compte cadastral d'un individu et le fait pour ce dernier de payer l'impôt foncier, ne constituent pas des actes matériels traduisant l'exercice (corpus) d'un droit de propriété ; qu'ainsi, en se contentant de relever que des témoins attestaient avoir toujours connu occupant l'appartement du Bastion, M. et Mme Jean-Jacques X...et leurs enfants, qu'après le décès de ses parents, Joseph X...avait continué de jouir des lieux, y hébergeant quelquefois des amis de longue date, que la possession de ce bien par les consorts X...était confortée par le fait qu'il était porté au compte cadastral de Jean-Jacques X..., que les intimés démontraient en acquitter l'impôt foncier depuis l'année 1978 et que de plus M. Jean de Y...avait reconnu dans le cadre d'une précédente instance que l'appartement était la propriété des intimés, la cour d'appel, qui n'a pas de la sorte caractérisé le corpus de la possession alléguée à titre de propriétaire, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2229 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 ;
3°/ qu'en se contentant de relever que des témoins (M. Z..., né en 1941, M. A..., né en 1934, Mme B...et M. C..., tous deux nés en 1932 et M. D..., né en 1928) attestaient avoir « toujours » connu M. et Mme Jean-Jacques X...et leurs enfants occupant l'appartement du Bastion, et que M. Joseph X...avait continué à jouir du bien après le décès de ses parents, y hébergeant quelquefois des amis de longue date, sans préciser la date exacte du début du corpus de la possession prétendument trentenaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 2262 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté que les consorts X...étaient en possession du bien et que les consorts de Y...n'établissaient pas que ce bien, échu à leur grand-père en 1913, était demeuré dans leur actif successoral ni qu'il avait fait l'objet d'un prêt à usage consenti aux auteurs des consorts X..., la cour d'appel qui en a déduit que l'opposition à l'acte de notoriété acquisitive établi le 22 décembre 2009 n'était pas fondée et qui a ordonné sa publication à la conservation des hypothèques, a, par ces seuls motifs, sans violer le principe dela contradiction, légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :REJETTE le pourvoi ;


Cour de cassation chambre civile 3, Audience publique du mercredi 4 avril 2012
N° de pourvoi: 10-23527
Non publié au bulletin Rejet

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le premier moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 15 juin 2010), que Mme X..., déclarant agir en son nom et pour le compte de M. Y..., co-indivisaire, a assigné M. Z... et Mme A... (les consorts Z...-A...) en revendication de la propriété d'une parcelle et démolition du mur qui y est édifié ;
Attendu que les consorts Z...-A... font grief à l'arrêt de déclarer Mme C... seule propriétaire de la parcelle litigieuse, alors, selon le moyen, que le juge ne peut statuer que sur ce qui est demandé, sans pouvoir s'abstraire des termes et de l'objet du litige définis par les conclusions des parties ; que dans ses dernières conclusions d'appel, Mme C... demandait à la cour d'appel de "confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la parcelle cadastrée section AA n° 17 est la propriété de l'indivision existant entre Mme Jacqueline Y... épouse C... et M. Thierry Y..." ; qu'ainsi, en décidant que la parcelle litigieuse était la propriété exclusive de Mme C..., la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
Mais attendu que les consorts Z...-A... ne sont pas recevables, faute d'intérêt, à critiquer l'arrêt en ce qu'il a attribué la propriété de la parcelle litigieuse à la seule Mme C... et non à l'indivision constituée entre elle et son neveu ;

Sur le second moyen :
Attendu que les consorts Z...-A... font grief à l'arrêt de déclarer Mme C... propriétaire de la parcelle litigieuse et d'ordonner la démolition sous astreinte du mur qui y est édifié, alors, selon le moyen :
1°/ que les juges du fond doivent préciser les pièces sur lesquelles ils se fondent et les analyser, au moins sommairement, sans pouvoir se contenter de les viser ; qu'en fondant sa décision sur "plusieurs attestations émanant de personnes nées entre 1919 et 1944, ayant habité ou habitant le village", pièces indéterminées dont elle n'a ni identifié les auteurs, ni précisé le contenu, tout en écartant "les autres attestations" versées aux débats par les consorts Z..., elles aussi non identifiées, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les juges du fond sont tenus par les termes du litige tels qu'il résultent des conclusions des parties ; que Mme C... demandait que les consorts Z... soient condamnés à démolir le mur litigieux sous astreinte de 150 euros par jour de retard ; qu'en condamnant ces derniers sous astreinte de 300 euros par jour de retard, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé qu'il ressortait de plusieurs attestations émanant de personnes nées entre 1919 et 1944 ayant habité ou habitant le village que, depuis 1954 ou 1956 pour deux d'entre elles et depuis 1960 pour les autres, Mme C... avait toujours joui et entretenu comme sa propriété le jardin et le poulailler sis sur la parcelle aujourd'hui cadastrée AA 17 dans la continuité de sa cour jusqu'à l'édification d'un mur par M. Z... en 2004, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer spécialement sur chacune des pièces soumises à son appréciation, a pu en déduire que Mme C... était devenue seule propriétaire de la parcelle actuellement cadastrée AA 17 par l'effet au 4 mai 1992 d'une possession déjà trentenaire depuis 1986 réunissant les conditions exigées par l'article 2229 du code civil ;
Et attendu, d'autre part, que le juge disposant du pouvoir de prononcer d'office une astreinte, il peut, sans statuer ultra petita, retenir un taux supérieur à celui demandé ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE LE POURVOI




BLANDINE MALLET-BRICOUT, Les éléments constitutifs de la possession, permanence ou renouveau du débat ? Droit et patrimoine, 2013, 230
LES DÉBATS SUR LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA POSSESSION SONT ANCIENS, MARQUÉS DE L’EMPREINTE DE JHERING ET SAVIGNY. LA PERMANENCE DE LA DOUBLE EXIGENCE DU CORPUS ET DE L’ANIMUS EST NOTAMMENT TROUBLÉE PAR LA POSSESSION SOLO ANIMO, TANDIS QUE L’AVANT-PROJET DE RÉFORME DU DROIT DES BIENS ADOPTE UNE DÉFINITION RENOUVELÉE DE LA NOTION MÊME DE POSSESSION.


La notion de possession suscite à elle seule un vaste débat. Débat historique et doctrinal, en premier lieu, tant elle a connu une évolution remarquable avant d’être l’objet d’une célèbre controverse entre deux grands juristes allemands, Savigny et Jhering. La notion de possession vient en effet du droit romain, qui eut un apport théorique fondamental en ce domaine : à l’origine tournée vers les choses corporelles et liée à la propriété (« possessio rei »), la possession s’est ensuite élargie à la possession des autres droits réels (« possessio juris »). Le droit romain s’est très vite intéressé à ce que l’on a relevé par la suite comme étant « le corps et l’esprit » (« corpore et alieno ») (1) , ces deux piliers de la possession qui ont traversé discrètement les siècles pour réapparaître de manière claire dans les écrits de Domat au XVIIe siècle, qui soulignait que la possession était une forme de détention « à titre de maître » (2) . Pothier a suivi la même voie dans son Traité de la possession (3) , et c’est ainsi que l’on retrouve, à l’article 2255 du Code civil, l’idée d’une possession entendue comme « la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit », et à l’article 2261 du Code civil, l’idée d’une possession « à titre de propriétaire ».
Les choses auraient sans doute coulé paisiblement si n’était intervenue, au XIXe siècle, la controverse entre Savigny et Jhering, qui est venue troubler la notion de possession en introduisant un débat puissant autour de ses éléments constitutifs. Schématiquement, à Savigny qui défendait une conception jusnaturaliste de la propriété, en mettant au cœur de ses préoccupations la volonté d’être propriétaire (4) , Jhering répondit qu’il fallait plutôt placer la maîtrise de la chose au cœur du mécanisme de la possession, sans particulièrement se soucier de la volonté individuelle (5) . Ainsi, alors que la possession civiliste semblait reposer, en 1804, sur l’association d’une maîtrise matérielle de la chose et d’une intention de se comporter comme le propriétaire de celle-ci (ou comme le titulaire d’un autre droit réel : usufruit, servitude, etc.), voilà que la doctrine allemande venait semer le doute, sur la base d’une pensée philosophique pour le moins remarquable, puisque l’un (Savigny) s’inspirait de Kant, tandis que l’autre (Jhering) s’inspirait de Hegel... Deux titans pour une seule théorie de la possession, il y en avait forcément un de trop.
On l’aura compris, le droit français a exprimé dès 1804, et auparavant dans les écrits de Domat et de Pothier, un net penchant pour la théorie subjective de la possession. La controverse entre Savigny et Jhering est venue raviver les discussions, mais en droit positif, corpus et animus sont restés, en principe, les deux éléments constitutifs de la possession. Cette vision subjective de la possession est exprimée dans le Code civil, également dans l’avant-projet de réforme du droit des biens (6) , ce qui semble attester de l’absence de remise en question de cette approche par la doctrine française contemporaine.
Ce n’est toutefois pas la position unanimement retenue chez nos voisins européens : le droit espagnol rejoint la position française, tandis que les droits allemand et suisse – notamment – ont opté pour une théorie objective de la possession, inspirée de Jhering, afin de privilégier une approche économique de la possession qui ne s’intéresse pas fondamentalement à la volonté du possesseur (7) .
Un débat corrélatif, peut-être moins célèbre mais également important, est celui de l’unité de la possession : « une » possession ou « des » possessions ? La question renvoie à la distinction entre possession pour soi-même et possession pour autrui, connue du droit allemand, qui révèle la problématique sous-jacente de la distinction entre possession et détention (8)
En droit positif, il faut considérer que la possession présente, en droit français, deux éléments constitutifs cumulatifs : le corpus et l’animus. Schématiquement, les actes matériels exercés sur la chose constituent le corpus (9) , tandis que l’animus est l’intention de se comporter comme le propriétaire de la chose ou comme le titulaire d’un autre droit réel sur la chose. La possession n’est donc pas qu’un pouvoir de fait sur une chose, et c’est bien cela qui lui confère tout son intérêt, en l’occurrence ce cumul de conditions, qui se fond en un concept unique et juridique dont on peut tirer des effets juridiques remarquables (10) . L’association corpus-animus permet de créer un lien particulier entre l’homme et la chose, au-delà de la simple appréhension matérielle (11) , en ayant recours à « l’esprit », c’est-à-dire à l’intelligence et à l’intention.
Ainsi, du point de vue de la nécessité de réunir corpus et animus pour reconnaître une situation juridique de possession, il ne semble pas qu’il y ait radicalement – mais peut-être toutefois à la marge – un renouvellement des débats depuis 1804.
Cependant, et en second lieu, un autre débat peut être mis en exergue, révélé par l’avant-projet de réforme du droit des biens, qui adopte une définition renouvelée de la possession, en ne distinguant plus, désormais, la notion de possession de certains caractères de la possession. Dans l’avant-projet, le concept de « possession utile » disparaît, en effet, fondu dans la définition même de la possession. De plus, la possession originellement entendue comme étant principalement un pouvoir de fait exercé sur une chose (12) , voit sa définition évoluer vers « l’exercice d’un droit » (13) , élément clairement mis en exergue dans l’avant-projet. La formule, très large, invite à la réflexion sur la question délicate de la possession des droits.
Finalement, il semble qu’en droit positif et prospectif français, la dichotomie corpus-animus puisse être inscrite dans la permanence (I), alors même que la notion de possession fait, au-delà de cette dichotomie, l’objet d’un renouvellement effectif ou prospectif (II).

I – PERMANENCE DE LA DICHOTOMIE CORPUS-ANIMUS
En droit français, tant dans le Code civil que dans la jurisprudence, le corpus et l’animus sont nécessaires pour fonder la possession et a priori bien distincts. On observe cependant un mouvement d’extension du corpus (A), qui semble s’opposer à l’immutabilité de l’animus (B). Le lien corpus-animus constitue en outre le rempart de la propriété (C).
A – L’EXTENSION DU CORPUS
1º/ Du matériel au juridique (l’extension des actes)
Dans une approche stricte du corpus, seuls les actes matériels devraient être admis comme expression du corpus, par exemple habiter un immeuble, faire des travaux, passer régulièrement sur un chemin. La jurisprudence admet toutefois que des actes juridiques puissent révéler le corpus, mais seulement s’ils sont associés à des actes matériels. Ainsi, l’obtention d’un permis de construire ne peut suffire à elle seule à constituer le corpus, tout comme contracter une assurance sur un bien, ou le louer à un tiers (14) .
Pourquoi une telle sévérité ? L’acte juridique est-il moins révélateur de la mainmise sur la chose par celui qui l’accomplit que l’acte matériel ? À première vue, une telle position semble rétrograde. On souligne en doctrine que les actes matériels sont « plus évidents, plus palpables » (15) , mais d’autres auteurs sont plus sévères à l’égard de cette restriction (16) . Il est vrai que la mainmise matérielle sur la chose est importante, car elle reflète une volonté d’accaparement que des actes juridiques seuls ne peuvent véritablement révéler. Surtout, la possession étant perturbatrice de l’ordre juridique établi lorsqu’elle vise à acquérir la propriété d’un bien, l’indulgence n’est pas de mise, il faut des certitudes que les actes juridiques seuls n’autorisent pas (17) . L’acquisition de la propriété par usucapion, notamment, relève d’une philosophie simple : préférer celui qui tire de la chose une utilité économique plutôt que le propriétaire qui s’en désintéresse depuis longtemps ; cela suppose que le possesseur marque la chose d’une empreinte matérielle évidente.
2º/ Du corporel à l’incorporel (l’extension de l’objet)
L’emprise physique est-elle pour autant de l’essence de la possession ?
On imagine aisément les répercussions d’une telle question sur la propriété, étant donné les liens qui unissent a priori propriété et possession. La problématique étant abordée dans une autre contribution (18) , seules quelques questions seront ici soulevées.
La possession de biens incorporels suppose toujours de réunir corpus et animus, donc d’aménager en quelque sorte le corpus, qui ne peut plus être entendu comme des actes matériels classiques exercés sur une chose. Peut-on imaginer un pouvoir de fait sur des valeurs ? Une expression du corpus par des actes matériels d’exploitation de la chose incorporelle ? Le législateur admet expressément des hypothèses de possession de biens incorporels (fonds de commerce, invention, marque, etc.). Quant à la jurisprudence, elle adopte une position assez nuancée, reconnaissant d’un côté la possession de créations littéraires et artistiques et celle de valeurs mobilières (19) , refusant de l’autre le jeu de l’article 2276 pour permettre l’acquisition d’une licence de débit de boissons (20) . La doctrine est partagée (21) , une position médiane consistant à admettre la possession des biens incorporels pour ceux qui ne seraient pas soumis à une formalité d’enregistrement (22) .
En tout état de cause, l’extension du corpus, depuis 1804, quant aux actes juridiques et quant aux biens incorporels objet de la possession, est suffisamment remarquable pour devoir être soulignée. Cette extension s’oppose à l’immutabilité de l’animus.
B – L’IMMUTABILITÉ DE L’ANIMUS
1º/ Quant à son contenu : volonté et intention
En droit français, l’animus recouvre la volonté « et » l’intention de se comporter comme le titulaire du droit réel. Cette position se situe dans la lignée de celle de Savigny, Jhering se contentant d’accorder quelque effet à la volonté du possesseur, entendue dans le sens du discernement, de la décision. L’article 2261 du Code civil est très net : la simple volonté de détenir ne suffit pas pour fonder la possession. L’avant-projet de réforme du droit des biens reprend l’exigence d’une intention de posséder dans son article 543.
L’animus n’a donc pas varié depuis 1804, son avenir est d’ailleurs sereinement envisagé par la doctrine. Tout juste cherche-t-on à faciliter encore davantage sa preuve. L’article 545 de l’avant-projet de réforme réaffirme ainsi la présomption simple de l’article 2256 du Code civil (23) , mais un nouveau mode de preuve, l’acte de notoriété – déjà connu de la jurisprudence –, est consacré à l’article 546 (24) . Ce mode de preuve vise la possession, donc l’animus, ce qui est en soi remarquable.
Quant à la volatilité de l’intention de celui qui exerce des actes matériels (et éventuellement juridiques) sur la chose, on sait qu’elle est limitée par le procédé de l’interversion de titre, strictement réglementé à l’article 2257 du Code civil.
2º/ Quant à son appréciation : le rejet de l’introspection
L’appréciation de l’animus se fait in abstracto. Certes, il s’agit de rechercher l’intention de celui qui détient le bien, mais on ne va pas jusqu’à effectuer une introspection, en réalisant une recherche in concreto (25) .
Par exemple, l’emprunteur est a priori détenteur, le propriétaire prêteur exerce son droit à travers lui et ne saurait de ce fait souffrir une contrariété à son droit de propriété, à moins que ne survienne une interversion de titre.
C – LE LIEN CORPUS-ANIMUS, REMPART DE LA PROPRIÉTÉ
Qu’en est-il à présent de l’association corpus-animus ? Quelles sont ses vertus ?
Bien souvent, la possession n’est envisagée que par rapport à la propriété, qu’elle soit dévorée par la propriété dans la situation la plus courante (« possesseur-propriétaire »), ou qu’elle contredise la propriété dans des hypothèses plus exceptionnelles (possesseur exerçant l’usucapion ; mise en œuvre de l’article 2276 du Code civil).
1º/ La possession, extériorisation de la propriété ?
La doctrine souligne la proximité de la possession avec la théorie de l’apparence entendue largement (26) : posséder, c’est « apparaître » à l’égard de tous comme le propriétaire de la chose. Le plus souvent, l’apparence rejoint la réalité : le possesseur serait effectivement le propriétaire, la possession ne ferait qu’« extérioriser » le droit de propriété (27) , le rendre visible. Dans ce cas, il faudrait alors considérer que le corpus se confond avec les attributs de la propriété (usus, fructus, abusus) – ou certains d’entre eux. Quant à l’animus, qui postule une intention d’agir « comme si », il s’effacerait alors au profit d’une réalité juridique ferme :le « possesseur-propriétaire » est avant tout propriétaire, animé d’une intention différente de celle exprimée au travers du concept d’animus, l’intention d’exercer un pouvoir juridique sur la chose, exclusif et perpétuel, tiré de sa qualité de propriétaire. En quelque sorte, la qualité de propriétaire dévore celle de possesseur, métamorphosant l’intention de se comporter « comme » le propriétaire de la chose en intention de se comporter « en » propriétaire de la chose.
Ainsi, si l’on considère que la possession n’est qu’une extériorisation de la propriété, il faut admettre que le lien corpus-animus ne subsiste pas, qu’il est à tout le moins transformé. Le corpus n’est plus indispensable (on peut n’effectuer aucun acte matériel sur son bien et en rester le propriétaire), et l’animus n’est plus requis : lorsqu’on est propriétaire d’un bien en vertu d’un titre, ni les actes matériels ni un comportement défini ne sont en principe nécessaires pour maintenir ce droit, sauf exception (28) . La propriété, telle que traditionnellement envisagée en droit positif français, absolue, exclusive, perpétuelle, n’a nullement « besoin » d’une telle extériorisation pour subsister, le titre est auto-suffisant.
En définitive, il n’est pas certain qu’envisager la possession comme la manifestation visible de la propriété soit parfaitement juste.
2º/ La possession confrontée au droit de propriété
On souligne souvent l’autonomie de la possession. Mais l’on est toujours autonome par rapport à quelque chose, et cela est particulièrement sensible lorsqu’on évoque la possession en droit des biens français, tant celle-ci présente des liens étroits avec la propriété (29) , qu’elle n’hésite pas à concurrencer pour mieux se fondre en elle.
Parfois le possesseur n’est qu’en apparence propriétaire, un autre que lui étant titulaire du droit. C’est dans cette situation que la possession révèle bien sûr tout son intérêt, car elle constitue alors une notion juridique utile en elle-même. Un pouvoir de fait peut venir anéantir un droit subjectif, ce qui s’explique par des intérêts supérieurs (sécurité juridique des transactions, utilité économique et sociale de la possession, préservation de la paix publique, etc.), mais on comprend qu’une telle concurrence n’est admissible qu’à de strictes conditions. Même le droit allemand, qui se contente du pouvoir de fait pour définir la possession, admet que son effet acquisitif ne saurait être admis qu’en présence de l’animus domini du possesseur.
Ainsi, on comprend que la possession ne puisse être reconnue de manière trop extensive. On l’a vu, elle doit être distinguée de la détention précaire, qui ne présente pas les mêmes qualités ni les mêmes effets. L’association du corpus et de l’animus est indispensable pour encadrer la possession et n’admettre sa reconnaissance que dans des cas relativement exceptionnels, lorsqu’elle se trouve confrontée à un droit de propriété. Le lien corpus-animus constitue alors le rempart qui permet de protéger la propriété : si ce lien n’existe plus, si l’on perd l’un de ses éléments, on perd la possession « contrariante », seule la propriété « en titre » subsiste. Ainsi, dans l’hypothèse d’une perte matérielle de la chose, et donc d’une perte subséquente du corpus, on admet la perte de la possession (30) ; également, le constitut possessoire, qui maintient le corpus mais fait perdre l’animus, entraîne la perte de la possession (31) .

II – RENOUVELLEMENT DE LA NOTION DE POSSESSION
La permanence de la dichotomie et de l’association corpus-animus n’est pas absolue : le Code civil et la jurisprudence ont assoupli la double exigence et le lien dans certaines hypothèses, ce qui entraîne une forme d’éclatement de la possession en droit positif (A). En outre, dans une vision prospective, l’avant-projet de réforme s’engage dans une voie plus radicale : délaissant la distinction classique entre les éléments constitutifs et les caractères de la possession dite « utile », il redéfinit la possession comme « l’exercice paisible, public et non équivoque d’un droit par celui qui, alors même qu’il n’en serait pas titulaire, se comporte, en fait et en intention, comme s’il l’était » (B).
A – LE LIEN DISTENDU CORPUS-ANIMUS, OU L’ÉCLATEMENT DE LA POSSESSION
1º/ La possession corpore alieno, ou la suprématie de l’animus
La possession corpore alieno est admise dans le Code civil (art. 2255), ce qui se comprend au regard de l’un des attributs classiques du propriétaire qui consiste à conférer l’usage de son bien à un tiers. Si le possesseur agit « tel » un propriétaire, il est dès lors logique que l’on puisse reconnaître la possession dans le fait d’avoir accordé l’usage du bien à un tiers : agir ainsi, c’est effectivement agir comme un propriétaire. La jurisprudence admet ainsi que le propriétaire d’une parcelle puisse invoquer les actes de possession accomplis en son nom par un fermier, ou par le concessionnaire d’une exploitation agricole (32) . Et l’avant-projet de réforme reprend cette règle à l’article 545 : « On peut posséder par soi-même ou par autrui ».
Mais l’on perçoit bien le glissement du corpus vers l’animus : l’exercice de la possession corpore alieno ne fait que traduire l’intention du possesseur de se comporter en propriétaire. Il nous semble dès lors que les actes matériels (corpus) exercés sur la chose par un tiers découlent directement de l’animus exprimé par le possesseur : les deux éléments sont éminemment liés, et en même temps éminemment séparés, puisqu’ils ne se manifestent pas dans la même personne juridique. L’animus domine : c’est l’intention de se comporter en propriétaire de la chose qui autorise les actes matériels exercés par autrui sur cette même chose (33) .
2º/ La possession solo animo, ou la sublimation de l’animus
La jurisprudence, quant à elle, a clairement distendu le lien corpus-animus, en imaginant la possession solo animo. Son domaine est toutefois restreint (aux immeubles) (34) , ce qui favorise un singulier éclatement du concept de possession, puisqu’elle n’est pas envisagée de la même manière selon que l’objet de la possession est un meuble ou un immeuble.
La possession solo animo constitue en quelque sorte le paroxysme de l’apparence : tel un propriétaire, le possesseur qui a matériellement marqué sa possession sur une chose peut ensuite ne plus agir sur celle-ci et conserver la possession tant qu’aucune possession contraire n’est exercée sur le bien, ou tant qu’il n’a pas lui-même exprimé la volonté d’abandonner le bien. On reconnaît ainsi au possesseur le pouvoir d’inaction sur le bien admis à l’égard du propriétaire. L’assimilation est forte, la visibilité faible mais suffisante. La possession solo animo entraîne un éclatement malvenu de la possession, dont l’unité est pourtant primordiale. Ses effets en matière d’usucapion sont remarquables, alors même que le demandeur qui se prétend possesseur n’a accompli des actes matériels sur la chose que durant un temps limité. Un récent arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 2013 (35) est très significatif à ce propos : « la possession légale utile pour prescrire ne peut s’établir à l’origine que par des actes matériels d’occupation réelle et se conserve tant que le cours n’en est pas interrompu ou suspendu ». La doctrine n’a pas manqué de critiquer la solution (36) , qui interroge sur la pérennité de la règle selon laquelle la propriété ne se perd pas par le non-usage, dans la mesure où la Haute cour privilégie le tiers possesseur inactif depuis plusieurs années, plutôt que le propriétaire en titre qui n’agissait pas davantage sur son bien. On assiste, par cette jurisprudence, à un bouleversement du fondement de l’usucapion, puisqu’on n’exige plus que le possesseur rende l’immeuble utile, de manière continue sur une longue durée.
Une telle évolution vers le « tout psychologique » ne convainc pas. Elle s’éloigne d’ailleurs singulièrement des débats anciens autour de la possession, dans la mesure où ni Savigny ni Jhering n’avaient imaginé une possession fondée sur le seul animus... Il faut ajouter à cela les inconvénients pratiques de la solution, tous éléments qui méritent d’être dénoncés en gardant à l’esprit que le possesseur n’est pas un propriétaire, il est seulement susceptible de le devenir (37) .
B – LA POSSESSION, POUVOIR DE FAIT OU EXERCICE D’UN DROIT ?
La nature juridique de la possession a fait couler beaucoup d’encre. La doctrine s’interroge sur ce qu’elle « est », ce qu’elle « exprime », ce qu’elle « représente », sur son objet (possède-t-on une chose ou un droit ?), sur ses rapports à la propriété : est-elle son « ombre » ? ou le « bastion avancé de la propriété » (38) ?
Dans une vision classique de la possession, on y voit un simple pouvoir de fait, mais dans le même temps un fait juridique, ou encore « l’expression de la propriété et des droits réels en action » (39) . L’article 2255 du Code civil envisage clairement la possession « d’une chose ou d’un droit ».
1º/ Possession d’une chose ou d’un droit ?
Comment peut-on posséder un droit tout en admettant que pour posséder, il faut un corpus et un animus ? Cela implique bien de réaliser des « actes matériels » sur une chose, et ce, dans « un certain état d’esprit », qui guide la main en quelque sorte. N’est-ce pas singulièrement compliquer la notion que de considérer que l’on possède le droit réel de propriété, d’usufruit, de servitude, plutôt que la chose sur laquelle porte ce droit ? L’article 2255 du Code civil embrume encore la réflexion par son alternative entre « chose » et « droit », qui s’explique par la notion romaine de « quasi possessio » (40) .
Les discussions, sans fin, reposent en réalité sur diverses idéologies de la possession : selon que l’on y voit un attachement nécessaire à la chose ou une figure plus abstraite du droit des biens, l’on insistera sur le pouvoir de fait du possesseur – qui peut le mener à l’acquisition d’un droit car il l’exerce dans une certaine intention, ou bien l’on rapprochera la possession du droit – en consacrant la possession du droit réel sur une chose (41) . Outre que le débat reste fortement théorique, la condition du corpus en tant qu’élément constitutif de la possession nous semble marquer l’attachement indéfectible de la possession à la re, l’animus présentant quant à lui un lien avec le droit que le possesseur peut prétendre acquérir. Il apparaît donc difficile de considérer que l’objet même de la possession puisse être tel droit réel, d’autant plus que la possession est protégée en elle-même, indépendamment de la situation dans laquelle elle permet d’acquérir un droit par prescription.
La possession des droits amène par ailleurs une partie de la doctrine à admettre la possession de tout type de droit, réel ou personnel, ce qui ouvre la porte à la propriété des créances, droit réel sur un droit personnel (42) . L’approche fait débat, elle tend en tous les cas à favoriser l’abstraction au détriment du lien concret entre l’homme et la chose, qui marque l’histoire de la possession dans les systèmes civilistes et au-delà (43) .
2º/ Exercice d’un droit ?
A minima, la doctrine voit dans la possession « l’expression de la propriété » (44) (ou d’un autre droit réel), donc l’expression d’un droit. Mais on a vu que le propriétaire en titre n’est pas forcément un possesseur au sens où l’on entend classiquement la possession, car il n’a pas besoin de manifester un corpus et un animus ; il reste propriétaire même avec un comportement neutre (45) .
L’avant-projet de réforme du droit des biens (art. 543) retient que la possession est « l’exercice d’un droit ». Mais comment peut-on exercer un droit dont on n’est pas titulaire ? Autant l’on peut aisément imaginer que celui qui est titulaire d’un droit ne l’exerce pas lui-même (46) , autant il est plus difficile de concevoir que l’on puisse exercer un droit dont on n’est pas titulaire (47) . L’exercice est en effet « subordonné » à la titularité.
Il y a là une contradiction intrinsèque qui gêne la compréhension du mécanisme, à moins de considérer que la possession est avant tout fondée sur l’apparence. Ce pourrait être la clé de l’analyse : le possesseur ne serait rien d’autre qu’un propriétaire apparent (ou un usufruitier apparent, etc.). À ceci près que la situation ne correspond pas à la théorie classique de la propriété apparente, fondée sur d’autres critères que ceux de la possession. La consécration de la possession en tant qu’exercice d’un droit perturbe, à notre sens, la notion, qui se ramène avant tout à une situation de fait, un pouvoir de fait exercé sur une chose dans une intention définie, « susceptible » d’entraîner l’acquisition d’un droit (48) . Finalement, la possession est moins l’exercice d’un droit que l’apparence d’exercice d’un droit, la nuance est fondamentale.
3º/ Fusion des caractères aux éléments constitutifs
L’avant-projet de réforme opte par ailleurs pour une fusion des caractères de la possession « utile » aux éléments constitutifs de la possession : la possession est ainsi entendue comme l’exercice « paisible, public et non équivoque » d’un droit. Le caractère « continu » de la possession (v. C. civ., art. 2261) est associé, dans l’avant-projet de réforme, à l’effet acquisitif de la possession (prescription acquisitive, C. civ., art. 549), ce qui est somme toute logique puisqu’il s’applique à une durée.
Il est remarquable d’intégrer ainsi dans la définition même de la possession, trois caractères traditionnels de la possession. Celle-ci ne se contenterait plus, pour être reconnue, du corpus et de l’animus, encore faudrait-il que « l’exercice du droit » révèle ces trois qualités.
D’un certain côté, la proposition est heureuse, car elle confère une certaine cohérence à l’article 543 de l’avant-projet, en permettant de renforcer le fondement tiré de l’apparence déjà évoqué : une possession clandestine, violente ou équivoque détruit en effet l’apparence de propriété (49) , car nul ne pourrait raisonnablement considérer que celui qui détient une chose clandestinement, en exerçant des menaces sur autrui, ou en ne révélant pas clairement son intention de se conduire en propriétaire, puisse être fermement considéré comme agissant « tel un propriétaire ».
D’un autre côté, par cette définition nouvelle de la possession, on peut se demander si l’on ne redéfinit pas indirectement les contours de l’exercice des droits réels. En effet, l’article 543 évoque « l’exercice paisible, public et non équivoque d’un droit (...) par celui qui (...) se comporte, en fait et en intention, comme s’il l’était (titulaire de ce droit) ». Cette disposition, ainsi rédigée, établit un lien net entre l’exercice paisible, public et non équivoque du droit et le comportement attendu du titulaire du droit. L’effet induit présente une certaine originalité, puisqu’il reviendrait à considérer que tout propriétaire, ou tout titulaire d’un autre droit réel, présente a priori un comportement paisible, public et non équivoque. On peine en effet à donner une autre interprétation à ce texte, car il ne dissocie pas le comportement du possesseur de celui du titulaire du droit.
Par exemple, j’effectue des actes matériels sur une chose, avec l’intention d’agir comme un propriétaire, mais de manière clandestine : selon les termes de l’article 543 de l’avant-projet, il ne peut s’agir de possession, je ne deviendrai jamais propriétaire en agissant ainsi. De ce point de vue, il n’y a pas grande différence avec notre actuelle théorie de la possession « utile », car dans une telle situation, je ne peux pas davantage usucaper. En revanche, dans notre théorie actuelle de la possession, je suis considéré comme possesseur, car j’ai le corpus et l’animus. Et si l’on considère que la possession est une forme d’extériorisation de la propriété, cela suffit pour voir dans tout propriétaire en titre, même clandestin, un possesseur.
Dans la perspective de l’article 543 de l’avant-projet, cette conclusion n’est plus admissible : si je n’agis pas ouvertement, sans violence, de manière non équivoque, je ne suis pas possesseur, puisque ces qualités sont désormais attachées à la définition même de la possession. Et alors il faut admettre soit que le lien entre propriété et possession se distend – la possession n’est plus « l’ombre de la propriété » –, soit, au contraire, qu’il se renforce – le propriétaire-modèle exerce forcément son droit de manière paisible, publique et non équivoque. Les deux interprétations renouvellent sans aucun doute les liens classiquement exposés par la doctrine entre possession et propriété, outre qu’elles renouvellent potentiellement les notions mêmes de possession, voire de propriété.
En conclusion, en droit positif, il faut certainement considérer qu’il n’y a pas de véritable renouvellement des débats, sous réserve de l’innovation jurisprudentielle que constitue la possession solo animo, mais elle n’est pas récente. La doctrine, quant à elle, ne s’est pas accordée sur une définition unitaire de la possession. En droit prospectif, en revanche, l’avant-projet de réforme du droit des biens renouvelle assez fortement la notion même de possession, en consacrant clairement le droit et non plus la chose comme objet de la possession, et en intégrant dans la notion de possession ce qui constitue actuellement certains des caractères de la possession utile. Le reflet possession-propriété en sort a priori troublé.

 (1)Paul, Digeste XVI, 2, n. 1.
 (2)J. Domat, Les Loix civiles dans leur ordre naturel (1689-94), v. l’édition publiée à Paris en 1735, Ire partie, Livre III, Titre VII, v. spécialement le passage préliminaire et la section 1.
 (3)L’ouvrage date de 1777 et est repris in Œuvres de Pothier annotées par M. Bugnet, t. 9, Plon, 1861, v. spécialement p. 267 et s.
 (4)Pour Savigny (F. K. von Savigny, Traité de la possession en droit romain, 1803, trad. H. Staedler, Durand et Pedone, 1870), le sujet est au cœur de la notion de possession en tant qu’il fonde sa propre puissance sur la chose.
 (5)Pour Jhering, l’animus n’est en quelque sorte qu’une conséquence du corpus (R. von Jhering, Œuvres choisies. Du fondement de la protection possessoire : du rôle de la volonté dans la possession, trad. O. de Meulenaere, A. Marescq, 1893).
 (6)H. Périnet-Marquet (dir.), Propositions de l’Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens, Litec, 2009, art. 543 : « La possession est l’exercice paisible, public et non équivoque d’un droit par celui qui, alors même qu’il n’en serait pas titulaire, se comporte, en fait et en intention, comme s’il l’était » (nous soulignons).
 (7)V. BGB, § 854 (1) : « La possession d’une chose est acquise par l’obtention du pouvoir de fait sur cette chose » (Code civil allemand. Traduction commentée, Juriscope-Dalloz, 2009, par G. Lardeux, R. Legeais, M. Pédamon et C. Witz).
 (8)Celle-ci étant envisagée par M. Simler, in Possession et détention : pertinence de la distinction ?, v. supra, p. 36, nous n’y reviendrons pas.
 (9)V. cependant W. Dross, Droit civil, Les choses, LGDJ, 2012, nos 235 et s., pour qui le corpus« caractérise l’exercice d’un droit », tandis que l’animus « discrimine le droit exercé ». Cette opinion ne convainc pas, car elle semble mettre au premier plan le seul corpus pour caractériser la possession (définie par l’auteur comme étant « l’exercice d’un droit »), et rend confuse la distinction corpus-animus dans la mesure où exercer un droit nous semble déjà supposer une intention quant au droit effectivement visé.
 (10)Tels l’acquisition d’un droit réel ou encore l’exercice des actions possessoires.
 (11)Possible aussi pour l’animal.
 (12)V. notamment M. Planiol, G. Ripert et J. Boulanger, Traité élémentaire de droit civil de Planiol, t. I, LGDJ, 5e éd., 1950, nº 2760 ; G. Cornu, Droit civil, Les biens, Monchrestien, coll. « Domat », 13e éd., 2007, nº 42 ; J.-L. Bergel, M. Bruschi et M. Cimamonti, Traité de droit civil, Les biens, LGDJ, 2e éd., 2010, nº 121.
 (13)V. H. Périnet-Marquet (dir.), Propositions de l’Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens : art. 543 : « La possession est l’exercice paisible, public et non équivoque d’un droit (...) ». Comp. C. civ., art. 2255 : « La possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit (...) ».
 (14)Pour des exemples, v. Cass. 3e civ., 30 juin 1999, nº 97-11.388 ; Cass. 3e civ., 23 mai 2002, nº 00-20.861, D. 2003, p. 2043, obs. N.R.-M.
 (15)J.-L. Bergel, M. Bruschi et M. Cimamonti, Traité de droit civil, Les biens, précité, nº 133 ; v. aussi l’opinion du doyen Carbonnier, Droit civil, t. 3, Les biens, PUF, 19e éd. refondue, 2000, nº 119.
 (16)Ph. Malaurie et L. Aynès, Les biens, Defrénois, 5e éd., 2013, nº 489 ; plus nuancés, v. F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, Dalloz, 8e éd., 2010, nº 155.
 (17)Ils peuvent en effet caractériser un autre comportement que celui de possesseur : par exemple, louer le bien à un tiers peut révéler une sous-location, solliciter un permis de construire peut résulter d’un accord entre propriétaire et détenteur.
 (18)V. A. Pélissier-Montagné, La possession à l’épreuve de l’immatériel, v. infra, p. 48.
 (19)V. notamment Cass. 1re civ., 24 mars 1993, nº 91-16.543, JCP G 1993, II, 22085, note F. Greffe ; Cass. com., 5 mai 2009, nº 08-18.165, Bull. Joly Sociétés 2009, p. 1065, note R. Libchaber, D. 2010, p. 123, note L. d’Avout.
 (20)Cass. com., 7 mars 2006, nº 04-13.569, JCP G 2006, II, 10143, note G. Loiseau, D. 2006, Pan. Droit des biens, p. 2363, obs. B. M.-B. V. aussi, Cass. civ., 26 févr. 1919, S. 1920, 1, p. 203. Adde, J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, PUF, coll. « Thémis », 2011, nos 5-25 et 5-40.
 (21)Pour : A. Pélissier, Possession et meubles incorporels, préf. M. Cabrillac, Dalloz, 2001, nos 5 et 19 ; B. Parance, La possession des biens incorporels, préf. L. Aynès, LGDJ-Lextenso, 2008 (qui limite toutefois ses effets selon les biens concernés) ; F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, précité, nº 154 ; W. Dross, Droit civil, Les choses, précité, nº 238-1 ; Contre : G. Cornu, Droit civil, Les biens, précité, nº 43 (qui admet toutefois l’idée de « substituts spéciaux adaptés » à tel ou tel bien incorporel) ; F. Macrez, Créations informatiques : bouleversement des droits de propriété intellectuelle, thèse Montpellier, 2007, qui réfute l’existence d’une théorie générale de la possession des biens incorporels ; Réservés : J.-L. Bergel, M. Bruschi et S. Cimamonti, Traité de droit civil, Les biens, précité, nº 133-1 (qui perçoivent une métamorphose de l’élément matériel de la possession par rapport à ses expressions traditionnelles).
 (22)G. Loiseau, note précitée sous Cass. com., 7 mars 2006, nº 04-13.569.
 (23)H. Périnet-Marquet (dir.), Propositions de l’Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens, précité, art. 2256 : « On est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre ».
 (24)H. Périnet-Marquet (dir.), Propositions de l’Association Henri Capitant pour une réforme du droit des biens, art. 546 : « La possession se prouve par tout moyen. Elle peut être constatée par un acte de notoriété contenant des témoignages et, le cas échéant, des indices attestant de son existence, de ses qualités et de sa durée. L’acte de notoriété ne fait foi de la possession que jusqu’à preuve contraire ».
 (25)J.-L. Bergel, M. Bruschi et S. Cimamonti, Traité de droit civil, Les biens, précité, nº 137 ; v. également, C. Larroumet, Les biens, Droits réels principaux, Economica, 5e éd., 2006, nº 88.
 (26)J.-L. Bergel, M. Bruschi et S. Cimamonti, Traité de droit civil, Les biens, précité, nº 128.
 (27)Ibid., nos 121 et 128 ; adde, F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, précité, nº 173 ; comp. M. Planiol, G. Ripert et J. Boulanger, Traité élémentaire de droit civil de Planiol, t. I, précité, nº 2760 ; J. Carbonnier, Droit civil, t. 3, Les biens, précité, nº 118, pour qui la possession est « l’ombre de la propriété ». Et surtout la belle citation du doyen Cornu (G. Cornu, Droit civil, Les biens, précité, nº 43) : « la possession est (...) l’imitation parfaite de la propriété, “Corps et âme” de la propriété, c’est la propriété vécue en action et en intention, en acte et en pensée, fût-ce par qui sait bien ne pas être propriétaire (...) ».
 (28)On pense en particulier à l’hypothèse de l’immeuble laissé vacant, qui peut faire l’objet d’une réquisition.
 (29)V. les développements de F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, précité, nº 173.
 (30)Sous réserve de distinguer la perte du fait du possesseur de celle du fait d’un tiers.
 (31)L’hypothèse est celle où le propriétaire vend sa chose, mais la conserve entre ses mains avant la livraison.
 (32)V. Cass. 3e civ., 24 janv. 1990, nº 87-18.747 ; Cass. 3e civ., 15 mai 2008, nº 04-18.932, Dr. et patr. 2009, nº 178, p. 135, obs. Th. Revet et J.-B. Seube.
 (33)Comp., pour une contestation de l’idée même de possession corpore alieno, W. Dross, Droit civil, Les choses, précité, nº 237.
 (34)V. G. Cornu, Droit civil, Les biens, précité, nº 44 ; J.-L. Bergel, M. Bruschi et S. Cimamonti, Traité de droit civil, Les biens, précité, nº 138. On peut se demander pourquoi la règle ne vaut pas pour les meubles ; peut-être en raison de l’article 2276 du Code civil, qui exclut d’envisager la possession mobilière dans la durée et, dès lors, d’imaginer des actes matériels « à l’origine » dont l’animus seul prendrait le relais.
 (35)Cass. 3e civ., 20 févr. 2013, nº 11-25.398, Dr. & patr. 2013, nº 226, p. 78, obs. J.-B. Seube, JCP G 2013, chr. 429, obs. H. Périnet-Marquet, D. 2013, p. 1531 note A. Tadros, et Pan. Droit des biens, p. 2125 nos obs., RLDC 2013/105, p. 79 obs. B. Parance, RTD civ. 2013, p. 412, obs. W. Dross. La jurisprudence consacrant la possession solo animo est ancienne et constante.
 (36)V. les commentaires précités de H. Périnet-Marquet, A. Tadros et W. Dross sous Cass. 3e civ., 20 févr. 2013, nº 11-25.398, ainsi que nos obs. au Panorama ; comp. F. Danos, Propriété, possession et opposabilité, préf. L. Aynès, Economica, 2007, nº 94.
 (37)V. nos obs. (Panorama Droit des biens).
 (38)L’expression, bien connue, a été empruntée par Jhering au juriste français E. de Parieu.
 (39)J.-L. Bergel, M. Bruschi et S. Cimamonti, Traité de droit civil, Les biens, précité, nº 129.
 (40)Sur laquelle, v. notamment F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, précité, nº 153.
 (41)V. par exemple, F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, op. et loc. cit.
(42)V. notamment F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, nº 441 ; F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, précité, nº 154 ; Y. Emerich, La propriété des créances : approche comparative, préf. F. Zenati-Castaing, LGDJ, 2007, t. 469, nos 606 s. ; J. Laurent, La propriété des droits, préf. Th. Revet, LGDJ, 2012, t. 537, nos 405 et s.
 (43)V. notamment le rôle important attaché à la possession en droit musulman.
 (44)J. Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, précité, nº 5-10.
 (45)Vertu du caractère « perpétuel » de la propriété, sous réserve de la possession contrariante d’un tiers.
 (46)V. le régime de la protection des majeurs.
 (47)Contra, W. Dross, Droit civil, Les choses, précité, nº 234, pour qui « la possession est l’exercice d’un droit indépendamment de la question de sa titularité » ; comp. Ph. Malaurie et L. Aynès, Les biens, précité, nº 482 : « la possession est l’exercice de fait d’un droit, qu’on en soit ou non titulaire ».
 (48)Comp. C. Larroumet, Les biens, Droits réels principaux, précité, nº 78 ; J.-L. Bergel, M. Bruschi et S. Cimamonti, Traité de droit civil, Les biens, précité, nº 129 in fine ; F. Zenati-Castaing et Th. Revet, Les biens, précité, nos 441 et 448-b) ; G. Cornu, Droit civil, Les biens, précité, nº 42 ; Y. Strickler, Les biens, PUF, 2006, nº 188. Adde, L. Leveneur, Situations de fait et droit privé, LGDJ, 1990, t. 212.
 (49)Le raisonnement vaut pour tout autre droit réel.

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