SEANCE
N°3 : POSSESSION ET USUCAPION
Usucapion et conformité à la CEDH
Commentaire
CEDH,
30 août 2007, affaire PYE c/ RU
Usucapion et QPC
Commentaire
Cass.
civ. 3ème, 12 octobre 2011, refus de transmettre la QPC
Cass.
civ. 3ème, 6 avril 2012, nouveau refus de transmettre la QPC
ARRÊT
J.A. PYE (OXFORD) LTD 1 ET J.A. PYE (OXFORD) LAND LTD c. ROYAUME-UNI
En
l’affaire J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni,
La
Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre
composée de (…) :
Rend
l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1. A
l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44302/02) dirigée contre le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont J.A. Pye (Oxford)
Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd, sociétés de droit britannique (« les
sociétés requérantes »), ont saisi la Cour le 17 décembre 2002 en vertu de
l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »).
2.
Les sociétés requérantes sont représentées par M. P. Lowe, membre du
cabinet de solicitors Darbys, à Oxford. Le gouvernement britannique (« le
Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme K. Jones, du ministère des
Affaires étrangères et du Commonwealth.
3.
Les sociétés requérantes alléguaient que le droit britannique de la
prescription acquisitive, en vertu duquel elles avaient perdu leur terrain –
qui offrait un potentiel de mise en valeur – au profit d’un propriétaire
voisin, leur avait été appliqué au mépris de l’article 1 du Protocole no 1.
4.
La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52
§ 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner
l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément
à l’article 26 § 1 du règlement.
5.
Par une décision du 8 juin 2004, la chambre, après une audience consacrée à
la recevabilité et au fond (article 54 § 3 du règlement), a déclaré la
requête recevable.
Le
15 novembre 2005, une chambre de cette section composée de Matti Pellonpää,
président, Nicolas Bratza, Viera Strážnická, Rait Maruste, Stanislav
Pavlovschi, Lech Garlicki et Javier Borrego Borrego, juges, et de Michael O’Boyle,
greffier de section, a rendu un arrêt dans lequel elle dit, par quatre voix
contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 et, à
l’unanimité, que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas
en état. Une opinion dissidente commune aux juges Maruste, Garlicki et Borrego
Borrego est jointe à cet arrêt.
6.
Le 2 février 2006, le Gouvernement a demandé le renvoi de l’affaire à la
Grande Chambre (article 43 de la Convention). Le 12 avril 2006, un collège de
la Grande Chambre a accueilli cette demande.
7.
La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux
articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Le 19 janvier 2007,
Luzius Wildhaber est parvenu au terme de son mandat de président de la Cour.
Jean-Paul Costa lui a succédé en cette qualité et a assumé la présidence
de la Grande Chambre dans la présente affaire (article 9 § 2 du règlement).
8.
Le gouvernement irlandais a présenté des observations sur l’affaire, ainsi
que le président de la Grande Chambre l’y avait autorisé en vertu de
l’article 44 § 2 du règlement.
9.
Tant les sociétés requérantes que le Gouvernement ont déposé des mémoires
sur le fond (article 59 § 1 du règlement). Une audience s’est déroulée en
public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 8 novembre 2006
(article 59 § 3 du règlement). Erik Fribergh, greffier de la Cour, a pris part
à l’audience du 8 novembre 2006. Ultérieurement, Michael O’Boyle, greffier
adjoint, l’a remplacé en qualité de greffier dans l’affaire.
Ont
comparu :pour le Gouvernement Mme K.JONES, pour les sociétés requérantes M.
D. PANNICK QC, M. et Mme G. PYE,
EN
FAIT
I.
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10.
La seconde société requérante est la propriétaire inscrite au registre
foncier d’un terrain agricole de vingt-trois hectares situé dans le Berkshire.
La première société requérante avait acquis ce terrain moyennant plusieurs
transactions qui eurent lieu entre 1975 et 1977 et elle en fut propriétaire
jusqu’en avril 1986 ; elle le transmit alors à la seconde société
requérante, avec option de rachat. Les propriétaires d’un fonds voisin, M. et
Mme Graham («les Graham») occupèrent le terrain en vertu d’un bail de
pâturage jusqu’au 31 décembre 1983. Le 30 décembre 1983, un expert-
géomètre agissant au nom des sociétés requérantes écrivit aux Graham pour
leur indiquer que, l’accord de pâturage étant sur le point d’expirer, ils
devaient libérer le terrain. En janvier 1984, les sociétés requérantes
refusèrent de reconduire le bail de pâturage pour l’année parce qu’elles
comptaient demander un permis en vue de l’aménagement de l’ensemble ou d’une
partie du terrain, et pensaient que la poursuite du pâturage pourrait
compromettre leurs chances d’obtenir une telle autorisation.
11.
Bien que dans l’obligation de libérer le terrain à l’expiration du contrat
signé pour 1983, les Graham continuèrent à l’occuper sans interruption, pour
le pâturage. Les sociétés requérantes ne les invitèrent pas à évacuer le
terrain ou à les payer pour ce pâturage. Il ressort des éléments de preuve
que, si elles le leur avaient demandé, les Graham auraient volontiers payé.
12.
En juin 1984, les sociétés requérantes et les Graham parvinrent à un accord
par lequel les premières acceptèrent de vendre au couple les foins se
trouvant sur le terrain pour la somme de 1 100 livres sterling (GBP). La
fenaison fut achevée le 31 août 1984. En décembre 1984, les Graham
s’enquirent auprès des sociétés requérantes de savoir s’ils pouvaient à
nouveau couper du foin ou bénéficier d’un autre bail de pâturage. Les
sociétés requérantes ne répondirent ni à cette lettre ni à celles qui
leur furent envoyées en mai 1985. Par la suite, les Graham ne tentèrent plus
de communiquer avec elles. De septembre 1984 à 1999, ils continuèrent à
utiliser l’ensemble du terrain litigieux à des fins agricoles, sans
l’autorisation des intéressées.
13.
En 1997, M. Graham fit consigner au registre foncier des actes d’opposition
(cautions) au droit de propriété des sociétés requérantes au motif que la
propriété du terrain lui revenait par le jeu de la prescription acquisitive
(ou usucapion).
14.
Le 30 avril 1998, les sociétés requérantes saisirent la High Court d’une
demande d’annulation de ces actes. Le 20 janvier 1999, elles engagèrent une
action en revendication du terrain litigieux.
15.
Les Graham contestèrent les demandes des requérantes en se fondant sur la loi
de 1980 sur la prescription (Limitation Act 1980, « la loi de 1980 »), selon
laquelle il n’est plus possible d’engager une action en revendication d’un
terrain lorsqu’un tiers en a eu la possession de fait pendant douze ans. Ils
invoquaient également la loi de 1925 sur l’enregistrement de la propriété
foncière (Land Registration Act 1925), qui s’appliquait à l’époque et
disposait que passé cette période de douze ans le propriétaire inscrit
était réputé détenir le terrain en fiducie au bénéfice de l’occupant.
16.
Le 4 février 2000, le juge Neuberger statua en faveur des Graham ([2000] Ch
676) : attendu que ces derniers avaient la possession de fait du terrain depuis
janvier 1984 et que le délai de la prescription acquisitive avait commencé à
courir en septembre 1984, les sociétés requérantes avaient perdu leur droit
de propriété en application de la loi de 1980, et les Graham étaient en
droit de se voir inscrire comme propriétaires du terrain. A la fin de son
jugement de trente pages, le juge Neuberger observait que le résultat auquel
il était parvenu n’était pas juste et ne pouvait se justifier par des
considérations pratiques : l’argument avancé en faveur du droit d’obtenir la
propriété d’un terrain par le jeu de la prescription acquisitive – à savoir
éviter les situations incertaines – n’avait selon lui que peu de poids quand
il s’agissait de l’usage de terrains enregistrés dont le propriétaire était
facilement identifiable sur consultation du registre foncier. Qu’un
propriétaire qui s’était endormi sur ses droits pendant douze ans fût privé
de son terrain était selon lui « illogique et disproportionné ».
17.
Les sociétés requérantes interjetèrent appel et, le 6 février 2001, la
Cour d’appel infirma la décision de la High Court au motif que les Graham
n’avaient pas l’intention requise de posséder la terre, dont les appelantes
n’étaient par conséquent pas « dépossédées » au sens de la loi de 1980
([2001] EWCA Civ 117, [2001] Ch 804). Même si ce constat suffisait pour
statuer sur le recours, deux membres de la Cour d’appel examinèrent la
question de savoir si la perte par les sociétés requérantes de la
propriété du terrain avait aussi pu donner lieu à une violation de l’article
1 du Protocole no 1, tel qu’incorporé au droit interne par la loi de 1998 sur
les droits de l’homme.
18.
Le Lord Justice Mummery, qui rendit l’arrêt de la Cour d’appel, estima que
l’article 1 n’avait aucune répercussion sur les dispositions pertinentes de la
loi de 1980, lesquelles n’avaient pas pour effet de priver un individu de ses
biens ou de porter atteinte à son droit au respect de ceux-ci, mais ne le
privait que de son droit d’accès à un tribunal pour revendiquer ledit bien
dans le cas où il aurait repoussé l’introduction d’une procédure douze ans
ou plus après s’être vu ôter la possession du bien par un tiers.
L’extinction du titre des sociétés requérantes n’était, selon lui, ni une
privation de bien ni une mesure de confiscation devant donner lieu au versement
d’une compensation, mais simplement une conséquence pratique et logique de la
forclusion à introduire une action une fois le délai de prescription
écoulé. Le Lord Justice Mummery ajouta à titre subsidiaire que toute
privation était justifiée dans l’intérêt général, les conditions
énoncées dans la loi de 1980 étant requises avec raison pour éviter le
risque d’injustice qui découlerait de l’examen de plaintes tardives et pour
fournir une certitude quant à l’identité du propriétaire : ces conditions
n’étaient pas disproportionnées, la période de douze ans étant raisonnable
et n’imposant pas de fardeau excessif au propriétaire.
19.
Le Lord Justice Keene partit de l’idée que les délais de prescription
n’étaient en principe pas contraires à la Convention et que le processus
empêchant une personne de revendiquer ses droits en raison de l’écoulement du
temps était clairement admis par la Convention. C’était selon lui cette
situation qui prévalait même si les délais de prescription limitaient le droit
d’accès à un tribunal et avaient aussi parfois pour effet de priver des
personnes de leur droit de propriété, qu’il porte sur des biens réels ou
personnels, ou d’une compensation: il n’y avait donc rien de fondamentalement
incompatible entre la loi de 1980 et l’article 1 du Protocole no 1.
20.
Les Graham se pourvurent devant la Chambre des lords qui, le 4 juillet 2002,
accueillit leur recours en confirmant le jugement de la High Court ([2002] UKHL
30, [2002] 3 All ER 865). Lord Browne-Wilkinson, rejoint par Lord Mackay of
Clashfern et Lord Hutton, expliqua que les Graham avaient la « possession » de
la terre selon l’acception ordinaire du terme et que, partant, les sociétés
requérantes en avaient été « dépossédées » au sens de la loi de 1980. Il
n’y avait pas de contradiction entre le fait que l’occupant fût prêt à payer
le propriétaire inscrit au registre dans le cas où celui-ci le lui
demanderait et le fait qu’il eût eu la possession du bien entre- temps. Lord
Browne-Wilkinson conclut en ces termes :
«
(...) Bien que Pye les eût avertis qu’ils devraient quitter le terrain en
décembre 1983, qu’elle leur eût refusé de manière catégorique un autre
bail de pâturage en 1984 et qu’elle eût totalement ignoré leurs demandes
ultérieures de pareil bail, les Graham ont continué au-delà du 31 décembre
1983 à occuper le terrain litigieux, qu’ils ont utilisé comme bon leur
semblait. Certains usages (le pâturage) auraient relevé d’un accord de
pâturage hypothétique. Mais le reste confirme simplement l’intention,
attestée par M. Michael Graham, d’utiliser le terrain à leur guise. Ils ont
adopté cette attitude d’emblée. A mon avis, lorsque les Graham ont continué
à exercer la possession de fait du terrain entièrement clos après expiration
de l’accord de fenaison, ils avaient manifestement l’intention d’affirmer leur
possession à l’encontre de Pye.
(...)
Devant la Chambre des lords, il a été admis que la loi de 1998 [qui intègre
la Convention européenne des droits de l’homme] n’avait pas d’effet
rétroactif. Mais Pye a soutenu que, même en vertu des principes
d’interprétation en common law applicables avant l’entrée en vigueur de la
loi de 1998, le tribunal devait s’employer à appliquer la loi de façon
qu’elle se concilie avec la [Convention]. Tel ou tel vieux principe
d’interprétation ne s’appliquait que lorsque les termes d’une loi étaient
ambigus. Il n’a pas été démontré devant la Chambre des lords que la loi de
1980 renfermât quelque ambiguïté de ce genre. »
21.
Lord Bingham of Cornhill, faisant siennes les vues de Lord Browne- Wilkinson,
indiqua dans son arrêt :
«
Les Graham ont constamment agi de manière honorable. Ils tentèrent d’obtenir
le droit de faire paître leur bétail ou de couper les foins après l’été
1984 ; ils étaient prêts à payer. Pye ne leur répondant pas, ils firent ce
qu’aurait fait tout agriculteur à leur place : ils continuèrent à utiliser
la terre. Ils n’étaient pas en faute. Mais l’inaction de Pye a eu pour
résultat que les Graham ont pu jouir pleinement du terrain pendant douze ans
sans payer. Comme si cela ne suffisait pas, ils sont maintenant récompensés
en obtenant le droit de propriété sur cette étendue considérable de terre
de grande valeur sans aucune obligation d’indemniser l’ancien propriétaire de
quelque façon que ce soit. Dans le cas de terrains non enregistrés, et avant
qu’un tel enregistrement ne devienne la norme, un tel résultat pouvait sans
aucun doute se justifier par le souci d’éviter une incertitude prolongée
quant à l’identité du propriétaire. Mais lorsque la terre est enregistrée,
il est difficile de trouver une justification à une règle de droit qui
aboutit à un résultat aussi injuste en apparence et encore plus difficile de
voir pourquoi la partie qui acquiert le droit de propriété ne serait pas pour
le moins tenue de verser une compensation à la partie qui le perd. Il est
rassurant de savoir que la loi de 2002 sur l’enregistrement de la propriété
foncière traite du risque, pour un propriétaire inscrit au registre, de
perdre son droit de propriété par inadvertance. Cependant, les dispositions
principales de cette loi ne sont pas encore entrées en vigueur et, même si
elles l’étaient, elles ne seraient d’aucun secours pour Pye, qui a perdu son
droit de propriété avant l’adoption de la loi. Si je suis convaincu que le
pourvoi doit être accueilli pour les raisons exposées par mon éminent
collègue, c’est une conclusion à laquelle j’aboutis (comme le juge
[Neuberger] (...)) «sans enthousiasme ». » (JA Pye (Oxford) Ltd and Others v.
Graham and Another [2002] 3 All ER 865-867)
22.
Comme il est relevé plus haut, la question de savoir si le résultat était
contraire aux droits que les sociétés requérantes tenaient de l’article 1 du
Protocole no 1 n’a pas été reprise devant la Chambre des lords. Toutefois,
Lord Hope of Craighead, qui partageait également le point de vue de Lord
Browne-Wilkinson sur le raisonnement devant aboutir au rejet du recours,
observa dans son arrêt que la question, au regard de la Convention,
«
(...) n’[était] pas facile, car on se serait attendu à ce que la loi, dans le
contexte d’un régime juridique ne prévoyant aucune compensation, choisît de
protéger un propriétaire inscrit contre les actes de personnes ne pouvant se
prévaloir d’un droit concurrent figurant au registre. Heureusement (...) un
régime beaucoup plus strict a été mis en place par l’annexe 6 à la loi de
2002. Avec ce texte, un occupant ayant la possession d’un terrain enregistré
aura beaucoup plus de mal à obtenir le droit de propriété si le
propriétaire s’y oppose. L’injustice de l’ancien régime juridique que cette
affaire a fait ressortir réside non pas dans l’absence de compensation – même
si c’est là un facteur important – mais dans l’absence de garanties contre la
mégarde ou l’inadvertance du propriétaire inscrit. »
23.
La valeur du terrain litigieux fait l’objet d’une controverse entre les
parties. Les sociétés requérantes situent leur perte à plus de 10 millions
de GBP. Le Gouvernement estime que le terrain valait 785 000 GBP en 1996
(année où expira le délai de prescription de douze ans) et 2,5 millions de
GBP en juillet 2002 (époque de l’arrêt de la Chambre des lords).
II.
LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
24.
A l’époque des faits, l’article 15 de la loi de 1980 sur la prescription, qui
avait refondu des lois antérieures, énonçait :
« 1.
Nul ne peut introduire une action en revendication d’un terrain passé un
délai de douze ans à compter de la date à laquelle le droit d’agir est né
ou, si le droit d’agir est d’abord né au bénéfice d’une personne dont il
tient le droit d’agir [(son auteur)], passé un délai de douze ans à compter
de la date à laquelle le droit d’agir est né au bénéfice de son auteur
(...)
(...)
6.
La première partie de l’annexe 1 à la présente loi expose comment
déterminer, dans les cas qui y sont mentionnés, la date à laquelle naissent
les droits d’agir en revendication de terrains. »
25.
Aux termes du paragraphe 1 de l’annexe 1 :
« Si
celui qui introduit une action en revendication d’un terrain ou la personne
dont il tient le droit d’agir a été en possession dudit terrain et, alors
qu’il pouvait prétendre à ce terrain, en a été dépossédé ou a interrompu
sa possession, le droit d’agir est réputé né à la date de la dépossession
ou de l’interruption de la possession. »
26.
C’étaient donc les mêmes dispositions en matière de prescription qui
s’appliquaient aux terrains enregistrés comme aux terrains non enregistrés.
Dans le cas de terrains non enregistrés, l’article 17 de la loi de 1980
prévoyait qu’à l’expiration du délai de prescription applicable à la
revendication de terrains, le droit du propriétaire inscrit au registre
s’éteignait. Pour ce qui était des terrains enregistrés, l’article 75 § 1 de
la loi de 1925 sur l’enregistrement de la propriété foncière disposait qu’à
l’expiration du délai de prescription le droit ne s’éteignait pas mais le
propriétaire inscrit était à partir de ce moment-là réputé détenir le
terrain en fiducie au bénéfice de son occupant.
27.
Les Halsbury’s Laws of England (quatrième édition, réimprimée en 1998)
exposent la loi en ces termes :
«
258. Lorsque le propriétaire d’un terrain n’exerce pas la possession, mais
qu’un tiers l’exerce, pendant une période suffisante pour faire obstacle au
droit du propriétaire de reprendre la possession ou d’engager une action en
revendication de son bien, le titre réel du propriétaire s’éteint, et le
tiers acquiert un droit opposable à tous, y compris à l’ancien propriétaire.
La
loi de 1980 sur la prescription opère au détriment du droit du véritable
propriétaire dont elle éteint le titre réel, et n’opère pas un transfert du
bien au tiers ; le nouveau droit de propriété tient au principe selon lequel
la possession vaut titre, qui s’accompagne de l’extinction des droits de
l’ancien propriétaire, et demeure assujettie à toute servitude [etc. (...)]
non éteinte. »
28.
Le comité de réforme du droit (Law Reform Committee) a examiné le droit
régissant les délais de prescription dans son rapport de 1977 (Cmnd 6923). Il
a critiqué la pratique des tribunaux consistant à reconnaître que celui qui
prétendait avoir la possession de fait avait l’autorisation tacite d’occuper
le terrain, ce qui avait pour effet d’interrompre le délai de prescription qui
courait en défaveur du propriétaire ; il n’a proposé aucune modification des
délais de prescription existants, et a admis que l’expiration du délai de
prescription devait entraîner l’extinction du droit du plaignant.
29.
Dans un document consultatif sur la prescription des actions (document
consultatif no 151) qu’elle a établi en 1998, la Commission du droit (Law
Commission) a expliqué les objectifs de politique générale que remplissait
le droit de la prescription. Elle précisait que les défendeurs avaient un
intérêt légitime à ce que les affaires fussent portées en justice dans un
délai raisonnable, étant donné que les éléments de preuve ne seraient
peut-être pas indéfiniment disponibles et que les défendeurs devaient
pouvoir se prévaloir de leur faculté présumée de jouir d’un droit
incontesté. L’Etat, garant de la sécurité juridique, avait lui aussi
intérêt à veiller à ce que les demandes fussent présentées et tranchées
dans un délai raisonnable pour que le procès fût équitable. Enfin, selon ce
document, les délais de prescription avaient vocation à encourager les
plaignants à introduire leurs actions en revendication dans un délai
raisonnable.
30.
En 1998, dans un autre document consultatif relatif à l’enregistrement de la
propriété foncière et établi en coopération avec le registre foncier (Law
Com no 254), la Commission du droit a relevé que bien que le but initial du
système d’enregistrement des terrains fût d’appliquer les principes
régissant les terrains non enregistrés aux terrains enregistrés, cela
n’était pas entièrement valable dans certains domaines – comme le montrait
par exemple le statut des droits des occupants sans titre réel de propriété
(le document renvoyait à l’article 75 § 1 de la loi de 1925 sur
l’enregistrement de la propriété foncière). Le document consultatif exposait
et commentait quatre raisons particulièrement pertinentes souvent invoquées
en faveur du droit de la prescription acquisitive, à savoir que :
i.
il fait partie du droit relatif à la prescription des actions. Il était noté
dans le document que :
«
(...) parce que la prescription acquisitive constitue un aspect du droit de la
prescription, il est bien sûr courant de l’expliquer, du moins en partie, par
la politique des lois sur la prescription en général, qui vise notamment à
mettre les défendeurs à l’abri de revendications tardives et à encourager
les plaignants à ne pas s’endormir sur leurs droits. Toutefois, la
prescription acquisitive ne fait pas qu’empêcher les revendications. Elle a un
effet positif : « l’occupant obtient en fin de compte le droit de propriété
par la possession qu’il exerce et le jeu indirect de la loi sur la prescription
(...) » Ce qui ne peut se justifier que par des éléments qui viennent
s’ajouter à ceux expliquant le droit de la prescription. Il faut noter à ce
propos qu’un propriétaire foncier peut se trouver dans l’impossibilité d’agir
même s’il n’a absolument rien à se reprocher. Comme nous l’avons expliqué
plus haut, la prescription acquisitive peut s’opérer sans même que l’on s’en
aperçoive. Quoi qu’il en soit, cette justification particulière prend un
poids bien plus grand en ce qui concerne les terres non enregistrées que pour
celles dont la propriété est inscrite au registre foncier. Les droits de
propriété non enregistrés dépendent en fin de compte de la possession. Il
appartient donc à un propriétaire de veiller à protéger cette possession et
à ne pas s’endormir sur ses droits. (...) lorsque la propriété est
enregistrée (...) c’est avant tout cette inscription, plutôt que la
possession, qui fonde le droit de propriété. L’inscription confère le droit
parce que l’inscription d’une personne en tant que propriétaire d’un terrain
attribue par elle-même à cette personne le droit de propriété pertinent
(...) »
ii.
Si sa situation ne coïncide pas avec sa propriété, le terrain peut perdre
toute valeur sur le marché. Lorsque le propriétaire inscrit a disparu, ne
peut être retrouvé, et qu’un occupant prend possession de la terre, le
principe de la prescription acquisitive « a au moins pour effet de garantir que
dans de tels cas la terre restera sur le marché et ne deviendra pas stérile
». Lorsque des arrangements ont lieu qui ne font pas l’objet d’un
enregistrement, par exemple si un exploitant agricole accepte un échange de
terres avec un voisin dans le cadre d’un « gentleman’s agreement » mais ne fait
pas enregistrer le changement de situation, « la prescription acquisitive
remplit une fonction utile ».
iii.
En cas d’erreur, l’occupant qui s’est trompé mais est de bonne foi peut avoir
exposé des frais. La prescription acquisitive peut alors se justifier par les
vicissitudes que l’occupant a subies, et on peut établir un parallèle avec
les principes de la forclusion en matière de propriété (proprietary
estoppel).
iv.
Le droit de la prescription acquisitive facilite les recherches faites pour
découvrir le propriétaire et en amoindrit le coût. La Commission du droit a
reconnu que cette dernière explication avait énormément de sens en ce qui
concerne les terrains non enregistrés mais estimé qu’elle ne valait pas pour
les terrains enregistrés, pour lesquels le droit dépend du contenu du
registre foncier et non de la possession.
31.
La Commission du droit proposa à titre provisoire de remanier le régime de la
prescription acquisitive tel qu’il s’appliquait aux terrains enregistrés de
façon à tenir compte des principes de l’enregistrement des droits de
propriété et de le limiter à un très petit nombre de cas exceptionnels.
32.
Deux rapports, l’un sur la prescription des actions (Law Com no 270) et l’autre
sur les terrains enregistrés (Law Com no 271), furent établis à la suite des
documents consultatifs et publiés en juillet 2001.
33.
Dans son rapport sur la prescription des actions, la Commission du droit
recommandait de fixer à dix ans le délai général de prescription pour les
actions concernant des terrains. Elle précisait que dans le cas où les
propositions relatives aux terrains enregistrés faites dans le document Law
Com no 254 seraient acceptées, cette recommandation ne concernerait que les
actifs dans les terrains non enregistrés (ainsi que les actifs non
enregistrables dans les terrains enregistrés1).
34.
A la suite des diverses critiques exprimées notamment par plusieurs magistrats
dans la présente affaire et du rapport sur les terrains enregistrés (Law Com
no 271), la loi de 2002 sur l’enregistrement de la propriété foncière (Land
Registration Act 2002) est venue apporter plusieurs modifications à la loi
pour autant qu’elle concernait les terrains enregistrés. Elle prévoit que la
possession sans titre, quelle qu’en soit la durée, n’emportera pas à elle
seule prescription du droit du propriétaire sur un bien-fonds enregistré. Un
occupant peut demander son inscription comme propriétaire au bout de dix ans,
et sa demande sera accueillie si elle n’a pas fait l’objet d’une opposition.
S’il y a opposition, la demande est rejetée. Si la demande est rejetée mais
qu’aucune mesure n’est prise pour évincer l’occupant ou pour régler la
situation autrement, l’occupant peut solliciter à nouveau son inscription
comme propriétaire et il aura gain de cause que sa demande fasse ou non
l’objet d’une opposition. La loi de 2002 est entrée en vigueur le 13 octobre
2002.
35.
Le 23 mars 2005, le juge suppléant Strauss, de la Chancery Division, statua en
l’affaire Beaulane Properties Ltd v. Palmer (Times Law Reports, 13 avril 2005).
L’affaire concernait un concessionnaire qui était resté en possession d’un
terrain enregistré pendant plus de douze ans après l’expiration de sa concession.
Conformément à l’arrêt rendu par la Chambre des lords dans la présente
affaire, le juge dit qu’en l’état du droit anglais avant l’entrée en vigueur
de la loi de 1998 sur les droits de l’homme, le propriétaire inscrit d’un
terrain perdait tout droit sur celui-ci. Néanmoins, en analysant les faits sur
la base de la Convention, il considéra que le droit de la prescription
acquisitive ne servait aucun intérêt public ou général véritable dans le
cas de terrains enregistrés, et que le préjudice subi par le propriétaire
était disproportionné. En réinterprétant la législation pertinente au
regard de l’article 3 de la loi sur les droits de l’homme, il conclut que la
revendication exprimée par l’ancien concessionnaire, qui estimait avoir acquis
le terrain litigieux, était dépourvue de fondement.
1.
Les actifs futurs, comme le retour d’un bien mis à bail, pour lesquels le
délai de prescription ne commençait à courir que lorsque l’actif futur
devenait effectif.
SUR
LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
36.
Les sociétés requérantes allèguent que le fait d’avoir perdu la propriété
de leur terrain par le jeu de la prescription acquisitive de douze ans au
profit d’un tiers a rompu le juste équilibre voulu par l’article 1 du
Protocole no 1 et représente une atteinte disproportionnée à leurs droits
patrimoniaux. Elles y voient une violation de cet article, qui énonce :
«
Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut
être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les
conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit
international.
Les
dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les
Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour
réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour
assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A.
L’arrêt de la chambre
37.
La chambre a estimé que, comme les sociétés requérantes avaient perdu leur
droit de propriété sur le terrain par application de la loi de 1925 sur
l’enregistrement de la propriété foncière (« la loi de 1925 ») et de la loi
de 1980 sur la prescription (« la loi de 1980 »), l’article 1 du Protocole no 1
s’appliquait. En particulier, les dispositions préexistantes sur la
prescription acquisitive ne pouvaient être considérées comme un incident du
droit de propriété des sociétés requérantes au moment de l’acquisition de
sorte que l’article 1 aurait cessé de se trouver en jeu lorsque les
dispositions en question prirent effet et que le droit de propriété aurait
été perdu après douze ans de possession de fait par autrui. Par ailleurs, la
simple circonstance que les délais de prescription fussent en général
envisagés sous l’angle de l’article 6 de la Convention n’empêchait pas la
Cour d’examiner une affaire sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. La
chambre a dit que l’article 1 du Protocole no 1 entrait en jeu et que
l’application des dispositions pertinentes des lois de 1925 et de 1980 avait
donné lieu à une ingérence de l’Etat dans les droits des sociétés
requérantes au titre de cet article.
38.
Rappelant l’arrêt de la Cour dans l’affaire James et autres c. Royaume-Uni (21
février 1986, série A no 98), la chambre a considéré que les sociétés
requérantes avaient été privées de leur bien par application de la
législation contestée, et que l’affaire devait être examinée sous l’angle de
la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1. Tout en admettant que dans
le cas des terrains non enregistrés, le droit de la prescription acquisitive
servait deux intérêts généraux importants – prévenir l’insécurité
juridique et l’injustice qui naîtraient de requêtes tardives ; garantir que
la réalité d’une occupation non contestée d’un terrain et la propriété
légale de celui-ci coïncident – la chambre a dit que l’importance de ces
objectifs était plus discutable lorsqu’on se trouvait en présence de terrains
enregistrés puisqu’alors il était aisé d’identifier le propriétaire du
terrain en consultant l’inscription du titre de propriété en question au
registre. La chambre a noté cependant qu’en dépit des changements profonds
apportés au droit de la prescription acquisitive par la loi de 2002 sur
l’enregistrement de la propriété foncière (« la loi de 2002 »), ce droit
n’avait pas en soi été abrogé pour les terrains enregistrés ; elle a donc
rejeté l’argument des sociétés requérantes selon lequel le droit de la
prescription acquisitive ne servait plus aucun intérêt général pour ce qui
était des terrains enregistrés. Le Gouvernement avait aussi invoqué le droit
et la pratique d’autres Etats.
39.
Quant à la proportionnalité des dispositions litigieuses, la chambre a
reconnu qu’une durée de prescription de douze ans était relativement longue,
que le droit de la prescription acquisitive était bien ancré et n’avait pas
changé pendant la période où les sociétés requérantes avaient été
propriétaires du fonds et qu’il aurait suffi à celles-ci de prendre des
mesures minimes pour éviter de perdre leur droit de propriété. La chambre a
observé que les juridictions internes et la Commission du droit critiquaient
l’état de la législation, et encore que les conséquences subies par les
sociétés requérantes étaient d’une sévérité exceptionnelle puisque non
seulement celles-ci avaient été privées de leur propriété mais en outre
elles n’avaient perçu aucune compensation pour cette perte. L’absence de
compensation devait être considérée à la lumière de l’absence d’une
protection procédurale du droit de propriété dans le cadre du régime
juridique en vigueur à l’époque des faits. A ce propos, la chambre a accordé
du poids à la circonstance que, depuis la présente affaire, la législation
avait été modifiée de sorte qu’il fallait désormais avertir un
propriétaire inscrit que son titre de propriété allait être transféré, ce
qui lui donnait la possibilité d’interrompre le cours du délai de
prescription. Elle a vu dans les modifications apportées à la loi un signe
que le Parlement avait reconnu les carences que la situation procédurale des
propriétaires inscrits présentait avant la loi de 2002. Elle a conclu que le
juste équilibre entre l’intérêt général et le droit des sociétés
requérantes au respect de leur bien avait été rompu, et qu’il y avait donc
eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
B.
Thèses défendues par les parties
1.
Les sociétés requérantes
40.
Les sociétés requérantes marquent leur accord avec l’arrêt de la chambre.
Pour elles, la perte de leur terrain, qu’elles détenaient alors en fiducie
pour les occupants, a méconnu le principe du juste équilibre et donc enfreint
l’article 1 du Protocole no 1 pour trois raisons liées entre elles.
Premièrement, les sociétés requérantes ne voient aucun motif pour qu’elles,
propriétaires du terrain, perdent leur droit de propriété de ce terrain
enregistré. Deuxièmement, elles ne voient aucun motif pour qu’on les prive de
ce terrain sans leur verser de compensation. Le résultat est disproportionné
à tout but légitime quel qu’il soit parce qu’il fait peser sur elles un
fardeau excessif et représente une importante aubaine pour les occupants.
Aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait la perte de leur bien sans
compensation. Troisièmement, il n’y avait aucun motif de leur enlever leur
terrain en l’absence de toute protection procédurale qui aurait fait
obligation à l’occupant sans titre, pour pouvoir acquérir le droit de
propriété, de déposer d’abord une demande à laquelle le propriétaire
inscrit aurait eu la faculté de répondre.
41.
Les sociétés requérantes soulignent les nombreuses critiques de l’état du
droit à l’époque qu’ont formulées, en l’espèce, le juge de première
instance puis deux membres de la Chambre des lords, ainsi que les
recommandations de la Commission du droit et du registre foncier, le changement
apporté par le Parlement à la loi, et enfin les critiques du juge de la High
Court dans l’affaire Beaulane Properties Ltd v. Palmer (paragraphe 35
ci-dessus). Elles ne voient aucun motif de transférer un terrain enregistré
au terme du délai de prescription sans compensation et sans protection
procédurale adéquate.
42.
Les sociétés requérantes ont produit un résumé du droit de la prescription
acquisitive ou de principes équivalents dans d’autres ordres juridiques. Ce
résumé montre selon elles que, dans la plupart des Etats étudiés, le droit
de propriété ne s’acquiert par la prescription acquisitive qu’au bout de
délais nettement supérieurs à douze ans, et que dans la plupart des pays où
la propriété peut s’acquérir par la prescription acquisitive, la condition
sine qua non est que l’occupant ait agi de bonne foi, c’est-à-dire qu’il ait
sincèrement cru avoir acquis le droit réel sur le terrain, par exemple après
transfert du titre entaché d’un vice.
2.
Le Gouvernement
43.
Le Gouvernement conteste l’arrêt de la chambre. Il estime en premier lieu que
l’affaire doit être examinée sous l’angle de l’article 6 de la Convention et
non de l’article 1 du Protocole no 1. Contrairement à ce qui était le cas
dans de précédentes affaires, en l’espèce l’Etat ne s’est pas approprié un
bien pour son propre usage, et il n’a pas introduit une législation en vue du
transfert d’un bien privé d’une personne contre le gré de celle-ci à une
autre personne dans la poursuite d’une politique sociale. La seule ingérence
qu’il y ait eue dans le terrain des sociétés requérantes est due aux actes
de particuliers, les occupants, qui ont obtenu la possession de fait en
1983-1984. L’issue de la procédure tient à l’inaction des sociétés
requérantes elles-mêmes. Selon le Gouvernement, l’application aux faits de la
présente cause de la jurisprudence issue de la Convention quant à la
nécessité, en principe, d’octroyer une compensation en cas de privation de
propriété confirme qu’il est logique d’analyser l’affaire par rapport à
l’article 6 : le délai de prescription a pour finalité de priver un
plaignant, au terme du délai de prescription pertinent, de toute possibilité
de revendiquer ses droits en justice. Cet objectif serait réduit à néant si
un délai de prescription ne se conciliait avec la Convention que dans
l’hypothèse où le plaignant se verrait octroyer une compensation dont serait
redevable la personne même à l’encontre de laquelle sa revendication est
forclose.
44.
Selon le Gouvernement, la chambre a versé dans l’erreur également lorsqu’elle
a évoqué la nécessité de garanties procédurales. Dans le cas où une
disposition sur la prescription s’applique à un litige mettant en jeu des
intérêts privés entre particuliers, il n’y a pas « d’autorités compétentes
» auxquelles un plaignant pourrait raisonnablement présenter des observations
«contest[ant] (...)les mesures portant atteinte [à ses] droits» (Jokela c.
Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002-IV), puisqu’aucune autorité publique ne
cherchait à acquérir le bien en question.
45.
Pour ce qui est de l’article 1 du Protocole no 1, le Gouvernement estime qu’il
n’entre pas en jeu parce que les sociétés requérantes ont acquis le terrain
litigieux en courant le risque de le perdre en application des dispositions des
lois de 1925 et de 1980. Ce risque doit passer pour un incident de la
propriété. Le Gouvernement souligne que la seconde société requérante
avait acquis le terrain de la première société requérante en avril 1986,
époque à laquelle les Graham en avaient la possession de fait depuis un an et
demi environ. Elle a donc pris le terrain alors qu’il existait un risque
qu’elle le perdît au profit des Graham.
46.
Le Gouvernement soutient que la chambre n’a pas pris en considération son
argument selon lequel les obligations découlant pour l’Etat de l’article 1 du
Protocole no 1 ne se trouvaient pas en cause. Il n’y avait aucun motif de faire
peser sur l’Etat l’obligation positive de mettre les sociétés requérantes à
l’abri des conséquences de leur propre manque de vigilance.
47.
Aux objectifs de la législation dont la chambre reconnaît la légitimité, le
Gouvernement ajoute un troisième : le terrain représente une ressource
limitée, et l’intérêt général commande qu’il soit utilisé, entretenu et
bonifié. La fixation d’un délai bien déterminé pour recouvrer la possession
encourage les propriétaires à utiliser leurs terres.
48.
En ce qui concerne la proportionnalité, c’est à tort, selon le Gouvernement,
que la chambre a tenu compte de l’absence de compensation et des questions de
protection procédurale, et elle n’aurait pas suffisamment pris en
considération de nombreux éléments démontrant que si ingérence il y a eu,
elle était proportionnée : la durée du délai de prescription, le fait que
les sociétés requérantes avaient tout loisir d’engager une action en
revendication à tout moment pendant cette période de douze ans, l’existence d’une
voie de recours judiciaire qui aurait permis de déterminer si l’action était
prescrite, et la négligence imputable aux sociétés requérantes.
49.
Quant à l’état du droit dans d’autres pays, le Gouvernement se réfère aux
recherches dont il est rendu compte dans le document consultatif no 151 de 1998
de la Commission du droit, ainsi qu’à d’autres études demandées par lui. Les
résultats de ces recherches font apparaître des différences sensibles entre
les structures des divers régimes juridiques, en particulier entre les pays de
common law et les pays de droit civil, et aussi entre les durées des divers
délais de prescription. Le Gouvernement en conclut qu’il n’y a pas de « norme
» européenne : les délais de prescription varient énormément d’un pays à
l’autre, dans certains ordres juridiques la bonne foi n’entre pas en ligne de
compte et, parfois, d’autres facteurs, tels que le lieu de résidence, sont
envisagés.
3.
Le tiers intervenant
50.
Le gouvernement irlandais a exposé le droit de la prescription acquisitive tel
qu’il s’applique en Irlande, et a distingué cinq objectifs d’intérêt
général servis par cette institution : assurer la jouissance paisible des
droits de propriété, c’est-à-dire bien définir qui est le propriétaire
lorsque le terrain, qu’il soit enregistré ou non, est abandonné et est
occupé par un tiers ; régler les cas où des successions ab intestat ne sont
pas administrées ; appliquer une politique d’utilisation des sols pour
favoriser le développement économique ; clarifier la propriété pour les
biens non enregistrés, et résoudre les litiges en matière de bornage.
51.
Le gouvernement irlandais soutient que la propriété foncière comporte des
devoirs aussi bien que des droits, et l’obligation d’agir pour affirmer sa
possession n’est pas déraisonnable. La Cour ne doit pas se laisser influencer
par des modifications législatives apportées a posteriori qui assurent un
degré plus élevé de protection des droits de l’homme. Le gouvernement
irlandais invoque aussi l’ample marge d’appréciation reconnue aux Etats
lorsqu’il s’agit de réglementer l’usage et la propriété des terres
conformément à une politique sociale, ainsi que l’existence ancestrale du
principe de la prescription, familier aux acquéreurs et aux propriétaires de terres,
et il conclut que ce principe ne rompt pas le juste équilibre à ménager
entre l’intérêt général et le droit au respect des biens.
C.
Appréciation de la Cour
1.
Considérations générales
52.
L’article 1 du Protocole no 1, qui garantit le droit au respect des biens,
contient trois normes distinctes : « la première, qui s’exprime dans la
première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce
le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde
phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à
certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second
alinéa, elle reconnaît aux Etats le pouvoir, entre autres, de réglementer
l’usage des biens conformément à l’intérêt général (...) Il ne s’agit pas
pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la
troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de
propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du
principe consacré par la première » (voir le précédent récent
Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 62, CEDH 2007-I, avec
d’autres références).
53.
Pour se concilier avec la règle générale énoncée à la première phrase du
premier alinéa de l’article 1, une atteinte au droit au respect des biens doit
ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général
de la collectivité et celles de la protection des droits fondamentaux de
l’individu (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000-I).
54.
Sans le versement d’une somme en rapport raisonnable avec la valeur du bien,
une privation de propriété au sens de la seconde phrase de l’alinéa 1 de
l’article 1 constitue normalement une atteinte excessive qui ne saurait se
justifier sur le terrain de l’article 1. Ce dernier ne garantit pourtant pas
dans tous les cas le droit à une compensation intégrale, car des objectifs
légitimes « d’utilité publique » peuvent militer pour un remboursement
inférieur à la pleine valeur marchande (Papachelas c. Grèce [GC], no
31423/96, § 48, CEDH 1999-II, avec d’autres références).
55.
Pour ce qui est des ingérences relevant du second alinéa de l’article 1 du
Protocole no 1, lequel prévoit spécialement le « droit que possèdent les
Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour
réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (...) »,
il doit exister de surcroît un rapport raisonnable de proportionnalité entre
les moyens employés et le but visé. A cet égard, les Etats disposent d’une
grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre
que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans
l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause
(AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 52, série A no 108).
56.
Les sociétés requérantes s’en prennent essentiellement aux modalités
fixées par la législation sur la prescription des actions et l’enregistrement
de la propriété foncière. Si les décisions judiciaires en l’espèce
illustrent la manière dont la législation s’applique, les sociétés
requérantes n’en ont pas à la façon dont les tribunaux l’ont appliquée. La
Cour s’attachera donc d’abord à la législation contestée elle-même bien que
les répercussions de son application entrent elles aussi en ligne de compte
(James et autres, précité, § 36).
57.
L’Etat a donc à répondre dans la présente affaire non d’un acte exécutif ou
législatif visant directement les sociétés requérantes, mais d’une
législation qui entre en jeu en raison d’actions entre particuliers : de même
que dans l’affaire James et autres la loi avait été appliquée (ce dont
l’Etat avait à répondre) parce que des particuliers avaient sollicité le
droit de racheter leurs logements, de même en l’espèce la loi a été
appliquée aux sociétés requérantes uniquement une fois que les conditions
préalables à la prescription acquisitive eurent été remplies.
2.
Sur l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1
58.
La Cour recherchera d’abord si l’affaire doit être envisagée sous l’angle de
l’article 1 du Protocole no 1 ou, comme le Gouvernement le soutient, uniquement
sous celui de l’article 6 de la Convention.
59.
Dans l’affaire Stubbings et autres c. Royaume-Uni, la Cour a examiné des
délais de prescription en se plaçant sur le terrain des articles 6, 8 et 14
de la Convention. Au regard de l’article 6, elle a estimé qu’un délai non prorogeable
de six ans à compter du dix-huitième anniversaire des requérantes pour
entamer une instance civile ne portait pas atteinte à la substance même du
droit d’accès des intéressées à un tribunal (22 octobre 1996, § 52, Recueil
des arrêts et décisions 1996-IV). Elle a aussi envisagé l’affaire sous
l’angle de l’article 8 en ce qui concerne les obligations positives inhérentes
à un respect effectif de la vie privée ou familiale pour conclure que dans
l’ensemble cette protection avait été assurée (ibidem, §§ 60-67).
60.
Rien dans la jurisprudence de la Cour ne donne à penser que la présente
affaire doive être examinée uniquement du point de vue de l’article 6 de la
Convention et en réalité il serait même inhabituel, les deux droits ayant
une teneur différente, que la Cour refuse de connaître d’un grief sous une
rubrique au seul motif qu’il est de nature à soulever des questions
différentes au titre d’un article distinct. La Cour estime, comme la chambre,
que rien n’empêche en principe d’examiner un grief sous l’angle de l’article 1
du Protocole no 1 lorsqu’il vise une législation concernant les droits
patrimoniaux.
61.
L’article 1 du Protocole no 1 protège des « biens », notion qui peut recouvrir
tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des
créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une
« espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de
propriété. Par contre, il ne garantit pas un droit à acquérir des biens
(Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004-IX). Lorsqu’il y a
controverse sur le point de savoir si un requérant a un intérêt patrimonial
pouvant prétendre à la protection de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour
est appelée à définir la situation juridique de l’intéressé (Beyeler,
précité).
62.
En l’espèce, les sociétés requérantes étaient les véritables
propriétaires du terrain situé dans le Berkshire, puisqu’elles en étaient
les propriétaires successifs inscrits au registre. Ce terrain ne faisait pas
l’objet d’un droit de préemption, à l’inverse du bien en cause dans l’affaire
Beyeler, mais il était soumis au droit foncier ordinaire, y compris, par
exemple, la législation sur l’urbanisme et l’aménagement du territoire, la
législation sur l’acquisition forcée et les diverses dispositions sur la
prescription acquisitive. Les biens des sociétés requérantes subissaient
nécessairement les limites imposées par les diverses règles de la
législation et de la common law applicables aux biens immobiliers.
63.
Il reste que les sociétés requérantes ont perdu la propriété de vingt-
trois hectares de terres agricoles par le jeu des lois de 1925 et de 1980.
Force est de conclure, comme la chambre, que l’article 1 du Protocole no 1
s’applique.
3.
La nature de l’ingérence
64.
La Cour a eu à connaître de plusieurs affaires dans lesquelles la perte de la
propriété de biens ne se rangeait pas dans la catégorie d’une « privation »
au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no
1. Dans les affaires AGOSI et Air Canada, la confiscation des biens des
sociétés requérantes fut considérée respectivement comme une mesure de
réglementation de l’usage de pièces d’or et comme une mesure de
réglementation de l’usage d’un avion qui avait servi à l’importation de
drogues prohibées (AGOSI, précité, § 51 ; Air Canada c. Royaume-Uni, 5 mai
1995, § 34, série A no 316-A ; voir aussi C.M. c. France (déc.), no 28078/95,
CEDH 2001-VII). Dans l’affaire Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH c.
Pays-Bas, la société requérante avait vendu une bétonnière à un tiers
moyennant une clause de réserve de propriété. La Cour a considéré que la
saisie de la bétonnière par le fisc représentait un exercice par l’Etat du
droit d’« assurer le paiement des impôts », même si les dettes fiscales
n’étaient pas celles de la société requérante (23 février 1995, § 59,
série A no 306-B). Dans l’affaire Beyeler, la Cour s’est refusée à
rechercher si l’ingérence dans les droits patrimoniaux du requérant
s’analysait en une « privation de biens », car il lui suffisait d’examiner la
situation dénoncée à la lumière de la règle générale figurant à la
première phrase du premier alinéa de l’article 1 (Beyeler, précité, § 106).
65.
Les sociétés requérantes n’ont pas perdu leur terrain à cause d’une
disposition législative qui autorisait l’Etat à en transférer la propriété
dans des circonstances particulières (comme dans les affaires AGOSI, Air
Canada, Gasus Dosier- und Fördertechnik GmbH, précitées) ou en raison d’une
politique sociale de transfert de propriété (comme dans l’affaire James et
autres), mais par le jeu de dispositions d’application générale sur les délais
de prescription fixés pour les actions en revendication de terres. En vertu de
ces dispositions, à l’expiration du délai de prescription, le droit du
propriétaire inscrit d’un terrain non enregistré s’éteignait (article 17 de
la loi de 1980). Pour les terrains enregistrés, une modification fut apportée
pour tenir compte du fait que, tant que le registre n’était pas rectifié
l’ancien propriétaire continuait d’apparaître comme le propriétaire inscrit.
Ainsi, en l’espèce, l’article 75 § 1 de la loi de 1925 énonçait qu’à
l’expiration du délai de prescription, le droit de propriété ne s’éteignait
pas, mais le propriétaire inscrit était réputé détenir le terrain en
fiducie pour l’occupant sans titre.
66.
Les dispositions légales qui ont entraîné pour les sociétés requérantes
la perte de la propriété effective du terrain étaient donc censées, non pas
priver les propriétaires inscrits de leur propriété, mais plutôt
réglementer les questions de droit de propriété dans un système où,
historiquement, une possession de fait de douze ans suffisait à éteindre le
droit pour l’ancien propriétaire de reprendre ou de se voir restituer la
possession, et le nouveau droit était subordonné au principe qu’une
possession non contestée pendant un long laps de temps valait titre de
propriété. Les dispositions des lois de 1925 et de 1980 qui ont été
appliquées aux sociétés requérantes faisaient partie intégrante du droit
foncier général, et avaient pour vocation de réglementer, entre autres, les
délais de prescription en matière d’usage et de propriété de terrains entre
les particuliers. Les sociétés requérantes ont donc été touchées, non pas
par une « privation de bien » au sens de la seconde phrase du premier alinéa
de l’article 1, mais par une mesure visant à « réglementer l’usage » du
terrain au sens du second alinéa de cet article.
4.
Le but de l’ingérence
67.
Les dispositions des lois de 1925 et de 1980 applicables tendaient à faire
appliquer le délai de prescription des actions en revendication de terres qui
avait été fixé à vingt ans par la loi de 1623 sur la prescription puis à
douze ans par celle de 1874 sur la prescription en matière de biens
immobiliers, et elles s’attachaient à réglementer la situation qui en
découlait, à savoir que le propriétaire inscrit ne pouvait plus recouvrer la
possession et que l’occupant sans titre avait la possession depuis suffisamment
longtemps pour être réputé propriétaire.
68.
La Cour a examiné des délais de prescription comme tels au regard de
l’article 6 de la Convention dans l’affaire Stubbings et autres. Elle s’est
exprimée en ces termes :
«
51. Il faut noter que des délais de prescription dans les affaires d’atteinte
l’intégrité de la personne sont un trait commun au s st mes juridiques des
tats contractants es délais ont plusieurs finalités importantes, savoir
garantir la sécurité juridique en fi ant un terme au actions, mettre les
défendeurs potentiels l’abri de plaintes tardives peut- tre difficiles
contrer, et emp c er l’injustice qui pourrait se produire si les tri unau
étaient appelés se prononcer sur des événements survenus loin dans le
passé partir d’éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi
et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé. »
69.
Même si la position exprimée ci-dessus par la Cour avait trait, sous l’angle
de l’article 6, aux délais de prescription dans des affaires d’atteinte à
l’intégrité des personnes, la Cour estime qu’elle vaut aussi dans le cas où
il s’agit d’apprécier à la lumière de l’article 1 du Protocole no 1 des
délais de prescription fixés pour les actions en revendication de terres.
D’ailleurs, les parties ne donnent pas à entendre que la fixation de délais
de prescription pour ces actions ne poursuit pas un but légitime d’intérêt
général.
70.
La Cour estime qu’un délai de prescription de douze ans pour les actions en
revendication de terres poursuit en soi un but légitime d’intérêt général.
71.
Quant à l’existence, au-delà de l’intérêt général qui réside dans le
délai de prescription, d’un intérêt général spécifique à ce que le droit
de propriété s’éteigne et que pareil droit soit attribué à un nouveau
propriétaire au terme du délai de prescription, la Cour rappelle qu’en
examinant l’intérêt général présent dans l’affaire Jahn et autres, à
propos d’une privation de biens, elle a dit que, « [e]stimant normal que le
législateur dispose d’une grande latitude pour mener une politique économique
et sociale, [elle] respect[ait] la manière dont il conçoit les impératifs de
l’« utilité publique », sauf si son jugement se révèle manifestement
dépourvu de base raisonnable » (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos
46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 91, CEDH 2005-VI, avec renvoi aux affaires
James et autres, précitée, et Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no
25701/94, CEDH 2000-XII, et à Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no
46129/99, § 67, CEDH 2002-IX). Il en est particulièrement ainsi dans des
affaires comme celle-ci où se trouve en jeu une branche du droit complexe et
ancestrale régissant des matières de droit privé entre particuliers.
72.
Il ressort clairement des éléments de droit comparé communiqués par les
parties qu’un grand nombre d’Etats membres ont un dispositif permettant de
transférer le droit de propriété en vertu de principes analogues à celui de
la prescription acquisitive dans les systèmes de common law, et que pareil
transfert s’opère sans versement d’une compensation au propriétaire initial.
73.
La Cour relève en outre, comme l’a fait la chambre, qu’en dépit des
modifications que la loi de 2002 a apportées au régime de la prescription
acquisitive, les dispositions pertinentes des lois de 1925 et de 1980 n’ont pas
été abrogées. Le Parlement a donc confirmé le point de vue ayant cours au
Royaume-Uni d’après lequel l’intérêt général traditionnel demeurait.
74.
La propriété présente cette caractéristique que son usage et sa mutation
sont réglementés différemment d’un Etat à l’autre. Les dispositions
applicables traduisent la politique sociale avec pour toile de fond la
conception que l’on a dans un pays donné de l’importance et du rôle de la
propriété. Même lorsque le droit réel immobilier est enregistré, le
législateur doit pouvoir accorder plus de poids à une possession de longue
durée et non contestée qu’au fait formel de l’enregistrement. La Cour admet
que l’extinction du droit de propriété dans le cas où l’application qui lui
est faite de la loi a pour conséquence d’empêcher l’ancien propriétaire de
recouvrer la possession de sa terre ne peut passer pour manifestement
dépourvue de base raisonnable. Il existait donc un intérêt général à la
fois au délai de prescription en soi et à l’extinction du droit de
propriété au terme de ce délai.
5.
Sur la question du juste équilibre
75.
Le second alinéa de l’article 1 doit s’interpréter à la lumière du principe
général énoncé en tête de l’article. S’agissant de «la réglementation de
l’usage », il doit exister de surcroît un rapport raisonnable de
proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; en d’autres
termes, il incombe à la Cour de rechercher si l’équilibre a été maintenu
entre les exigences de l’intérêt général et l’intérêt du ou des individus
concernés. Ce faisant, elle reconnaît à l’Etat une grande marge
d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour
juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt
général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (AGOSI,
précité, § 52, et, plus récemment, pour la privation de biens, l’arrêt Jahn
et autres, précité, § 93). Dans des domaines tels que celui du logement, la
Cour se fiera au jugement du législateur quant à l’intérêt général, à
moins qu’il soit manifestement dépourvu de base raisonnable (Immobiliare Saffi
c. Italie [GC], no 22774/93, § 49, CEDH 1999-V). Dans d’autres contextes, la
Cour a souligné qu’elle n’était pas appelée, en principe, à régler des
litiges entre particuliers. Cela étant, dans l’exercice du contrôle européen
qui lui incombe, elle ne saurait rester inerte lorsque l’interprétation faite
par une juridiction nationale d’un acte juridique apparaît comme étant
«déraisonnable, arbitraire ou (...) en (...) contradiction (...) avec les
principes sous-jacents à la Convention » (Pla et Puncernau c. Andorre, no
69498/01, § 59, CEDH 2004-VIII). Amenée à examiner le caractère
proportionné du refus d’une société de télévision privée de diffuser une
publicité commerciale, la Cour a estimé qu’une marge d’appréciation était
particulièrement indispensable en matière commerciale (VgT Verein gegen Tierfabriken
c. Suisse, no 24699/94, § 69, CEDH 2001-VI). Dans une affaire concernant un
litige sur l’interprétation du droit des brevets, tout en observant que
l’article 1 du Protocole no 1 fait obligation à l’Etat de prendre les mesures
nécessaires à la protection du droit au respect des biens, même lorsque sont
en cause des litiges opposant de simples particuliers ou des sociétés
privées, la Cour a rappelé que son rôle consistait à assurer le respect des
engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes et qu’il
ne lui appartenait pas de connaître des erreurs de fait ou de droit
prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure
où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés
par la Convention (Anheuser-Busch Inc., précité, § 83).
76.
La chambre (paragraphe 55 de son arrêt) a jugé que les dispositions
pertinentes – l’article 75 de la loi de 1925 en particulier – avaient fait plus
qu’empêcher les sociétés requérantes de demander l’aide des tribunaux afin
de recouvrer la possession de leur bien. La Cour observe qu’en l’espèce la Cour
d’appel avait estimé que les Graham n’avaient pas apporté la preuve de
l’intention requise de posséder le terrain, de sorte que le délai en question
n’avait pas commencé à courir contre les sociétés requérantes (paragraphe
17 ci-dessus). La Cour d’appel avait néanmoins considéré que l’extinction du
droit de propriété au terme du délai de prescription d’une action en revendication
du terrain constituait une conséquence pratique et logique de l’interdiction
d’introduire une action une fois le délai de prescription écoulé. La Chambre
des lords désavoua l’interprétation à laquelle la Cour d’appel s’était
livrée du droit relatif à l’intention de posséder, mais ne fit aucun
commentaire sur l’idée que l’extinction du droit de propriété au terme du
délai de prescription était une conséquence « pratique et logique ». Même
si, de manière générale, en droit anglais, l’expiration d’un délai de
prescription met fin à la possibilité de recours mais non au droit, la Cour
admet que lorsqu’une action en revendication d’un terrain est prescrite,
l’extinction du droit du propriétaire inscrit ne fait guère plus que régulariser
les situations respectives des intéressés, c’est-à-dire que la personne qui
acquiert le droit de propriété par douze ans de possession sans titre se voit
confirmée dans sa qualité de propriétaire. En outre, le droit reflète la
finalité de la législation sur l’enregistrement de la propriété foncière,
qui devait dans la mesure du possible reproduire la loi préexistante à
l’enregistrement. Comme la Cour l’a déjà relevé ci-dessus (paragraphe 74),
pareil régime ne peut passer pour « manifestement dépourvu de base
raisonnable ».
77.
La Cour a rejeté la thèse du Gouvernement selon laquelle, le régime de la
prescription acquisitive leur étant antérieur, les circonstances de l’espèce
échappent à l’empire de l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 62 et 63
ci-dessus). Il n’empêche que le fait que les dispositions des lois de 1925 et
de 1980 se trouvaient en vigueur depuis de nombreuses années avant même que
la première requérante n’acquît le terrain est un élément à prendre en
compte pour apprécier la proportionnalité globale de la législation. En
particulier, il n’est pas loisible aux sociétés requérantes de dire qu’elles
ignoraient la législation, ou que l’application qui leur en a été faite les
a prises au dépourvu. En vérité, bien que l’affaire soit allée au plan
interne jusqu’à la Chambre des lords, les sociétés requérantes ne donnent
pas à entendre que les conclusions des juridictions britanniques aient été
déraisonnables ou imprévisibles, eu égard à la législation.
78.
Pour ce qui est du délai de prescription en l’espèce, la Cour relève que la
chambre l’a estimé relativement long (paragraphe 73). Cela dit, les éléments
de droit comparé communiqués par les parties à ce propos n’ont pas été
d’une grande aide, si ce n’est qu’ils ont permis à la Cour de constater qu’il
n’y avait pas de modèle unique en matière de durée des délais de
prescription. Quoi qu’il en soit, il apparaît qu’il aurait suffi de peu de
chose de la part des sociétés requérantes pour interrompre le cours du
délai. Il ressort des éléments de preuve que si elles avaient demandé un
loyer, ou toute autre forme de paiement, en contrepartie de l’occupation du
terrain par les Graham, elles l’auraient obtenu et la possession n’aurait plus
été une possession « de fait ». Même dans le cas improbable où les Graham
se seraient refusés à quitter le terrain et à souscrire aux conditions mises
à son occupation, les sociétés requérantes auraient simplement eu à
entamer une action en revendication, et le délai aurait cessé de courir en
leur défaveur.
79.
La chambre et les sociétés requérantes ont mis l’accent sur l’absence de
compensation pour ce qui constitue selon elles une privation de biens. La Cour
a conclu que l’ingérence dans les biens des sociétés requérantes
s’analysait en une réglementation de leur usage et non en une privation, de
sorte que la jurisprudence sur la compensation pour privation de biens n’est
pas directement applicable. De plus, dans les affaires où la situation a été
considérée comme une réglementation de l’usage des biens, même si le
requérant avait perdu un bien (AGOSI et Air Canada, précités), nulle mention
n’a été faite d’un droit à compensation. La Cour observe, à l’instar du
Gouvernement, qu’exiger une compensation à raison d’une situation qu’une
partie a engendrée faute d’avoir tenu compte d’un délai de prescription se
concilierait difficilement avec la notion même de délai de prescription, dont
le but est de favoriser la sécurité juridique en empêchant une partie
d’engager une action au-delà d’une certaine date. La Cour ajoute que même les
dispositions de la loi de 2002, invoquées par les sociétés requérantes à
l’appui de leur thèse selon laquelle les dispositions de la législation
antérieure se heurtaient à la Convention, ne prévoient pas de compensation
lorsqu’une personne est finalement inscrite, au terme du délai de
prescription, comme le nouveau propriétaire d’un terrain figurant au registre
foncier.
80.
La chambre et les sociétés requérantes se sont montrées aussi préoccupées
par l’absence de protection procédurale pour un propriétaire inscrit au
registre dont les droits patrimoniaux sont sur le point de s’éteindre en
raison de l’écoulement du délai de prescription, ce en vertu de l’article 15
de la loi de 1980, du moins en ce qu’il s’appliquait aux terrains enregistrés.
La Cour rappelle ici que les sociétés requérantes n’ont pas été
dépourvues de protection procédurale. Alors que le délai de prescription
courait, et si elles ne posaient pas aux Graham des conditions qui mettaient un
terme à la « possession de fait », il leur était loisible de remédier à la
situation en engageant une action en justice afin de recouvrer la possession du
terrain. Cette action aurait interrompu le cours du délai. Une fois celui-ci
expiré, les sociétés requérantes pouvaient toujours soutenir devant les
juridictions internes, ce qu’elles firent, que les occupants de leur terrain
n’en avaient pas la « possession de fait » telle que définie par le droit
interne.
81.
Certes, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2002, le véritable
propriétaire du terrain enregistré contre lequel le temps s’écoule se trouve
dans une situation plus favorable que ne l’était celle des sociétés
requérantes à l’époque considérée. La loi de 2002 exige en effet que le
véritable propriétaire reçoive notification avant expiration du délai de
prescription, ce qui lui donne le temps, s’il le souhaite, d’engager une action
contre l’occupant sans titre. La loi de 2002 améliore la situation du
véritable propriétaire et, parallèlement, l’occupant sans titre a plus de
mal à exercer une possession de fait pendant la totalité des douze ans. Les
dispositions de la loi de 2002 ne s’appliquent toutefois pas à la présente
cause et la Cour doit envisager les faits tels qu’ils se présentent à elle.
En toute hypothèse, il faut du temps pour introduire des changements
législatifs dans des domaines aussi complexes que le droit foncier, et les
critiques que les juges ont formulées contre la législation ne peuvent en soi
avoir une incidence sur la conformité des dispositions antérieures avec la
Convention.
82.
Le Gouvernement soutient que l’article 1 du Protocole no 1 ne saurait protéger
les hommes d’affaires contre leurs propres défaillances. La Cour tient cette
thèse pour liée aux aspects de sa jurisprudence qui soulignent qu’elle n’a
pas en principe à régler des litiges entre particuliers, pour lesquels les
Etats jouissent d’une grande marge d’appréciation (paragraphe 75 ci-dessus).
Dans une affaire comme celle-ci, où la Cour est principalement appelée à
envisager le régime légal en vertu duquel le droit de propriété s’éteint
au terme du délai de prescription, plutôt que les faits particuliers de la
cause, le comportement du requérant a corollairement moins d’importance.
83.
Les sociétés requérantes prétendent que leur perte est si grande, et
l’aubaine des Graham si substantielle, que le juste équilibre voulu par
l’article 1 du Protocole no 1 se trouve rompu. La Cour relève d’abord que,
dans l’affaire James et autres, elle a estimé que la position adoptée par le
Parlement quant au « titre moral » des locataires à acquérir la propriété
des logements litigieux relevait de la marge d’appréciation de l’Etat. En
l’espèce, ce serait certes aller trop loin que de parler des « droits acquis »
d’un occupant sans titre pendant que court le délai de prescription, mais il
faut aussi rappeler que le régime des terrains enregistrés au Royaume-Uni est
une émanation d’un système établi de longue date en vertu duquel une
possession de plusieurs années conférait un droit suffisant de céder le
terrain. Pareilles modalités entrent dans le cadre de la marge d’appréciation
de l’Etat, sauf si elles aboutissent à des résultats si anormaux que la
législation en devient inacceptable. L’acquisition de droits inattaquables par
l’occupant sans titre doit aller de pair avec la perte correspondante des
droits patrimoniaux de l’ancien propriétaire. Dans James et autres, la
possibilité que des locataires « non méritants » bénéficient d’une «
aubaine » n’a pas eu d’incidence sur l’appréciation globale de la
proportionnalité de la législation (ibidem, § 69), et, en l’espèce, toute
aubaine dont auraient bénéficié les Graham doit être envisagée sous la
même perspective.
84.
Quant à la perte subie par les sociétés requérantes, il n’est pas contesté
que le terrain en question, notamment les parties de celui-ci qui offrent un
potentiel de mise en valeur, représente une somme d’argent substantielle.
Toutefois, si l’on veut qu’ils remplissent leur fonction (paragraphes 67-74
ci-dessus), il faut que les délais de prescription s’appliquent quelle que
soit l’importance de la revendication. La valeur du terrain ne saurait donc
avoir d’incidence sur l’issue de la présente affaire.
85.
En somme, la Cour conclut que le juste équilibre requis par l’article 1 du
Protocole no 1 n’a pas été rompu en l’espèce.
PAR
CES MOTIFS, LA COUR
Dit,
par dix voix contre sept, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du
Protocole no 1.
Fait
en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des
droits de l’homme, à Strasbourg, le 30 août 2007.
Cour de cassation
chambre civile 3, Audience publique du mercredi 12 octobre 2011
N° de pourvoi: 11-14184
Publié au bulletin QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil
constitutionnel
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE
FRANCAIS
LA
COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu
que M. X..., ès qualités d'administrateur judiciaire des biens de la succession
de Pierre-Daniel Y..., soutient que les dispositions de l'article L. 5112-3 du
code général de la propriété des personnes publiques sont contraires à la
Constitution ;
Mais
attendu que la disposition contestée, applicable au litige, a été déclarée
conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2010-96
QPC, rendue le 4 février 2011 par le Conseil constitutionnel ; qu'aucun
changement de circonstances de droit ou de fait n'est depuis intervenu qui,
affectant la portée de la disposition législative critiquée, en justifierait le
réexamen ;
D'où
il suit qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;
PAR
CES MOTIFS :
DIT
N'Y AVOIR LIEU A RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de
constitutionnalité ;
Ainsi
fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé
par le président en son audience publique du douze octobre deux mille onze.
Cour de cassation
chambre civile 3, Audience publique du vendredi 6 avril 2012
N° de pourvoi: 12-40011
Non publié au bulletin Qpc seule - Non-lieu à renvoi au cc
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE
FRANCAIS
LA
COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant
sur la question prioritaire de constitutionnalité transmise par jugement du
tribunal de grande instance de Brive du 30 décembre 2011 dans le litige
opposant M. Michel X... à la commune de Lissac-sur-Couze ;
Attendu
que la question transmise est ainsi rédigée :
"Les
articles 2261 et 2272 du code civil, dispositions de nature législative
permettant la prescription acquisitive en matière immobilière par celui qui se
réclame bénéficiaire de l'usucapion démontrée par une possession continue et
non équivoque, paisible publique et non équivoque, à titre de propriétaire, et
permettant ainsi l'appropriation des chemins ruraux par nature destinés et
affectés à l'usage du public (L. 161-1 code rural) sont ils conformes
constitutionnellement aux dispositions des articles 2 et 17 de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 relatifs au droit de
propriété, visée par le préambule de la constitution du 4 octobre 1958 ?"
;
Mais
attendu, d'une part, que la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une
disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas
encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle ;
Et
attendu, d'autre part, que la question posée ne présente pas un caractère
sérieux dès lors que la prescription acquisitive, qui peut être invoquée à
l'égard des chemins ruraux appartenant, à défaut de classement dans la voirie
communale, au domaine privé des communes, n'a ni pour objet ni pour effet de
priver une personne de son droit de propriété ou d'en limiter l'exercice, mais
confère au possesseur, sous certaines conditions, et par l'écoulement du temps,
un titre de propriété correspondant à la situation de fait qui n'a pas été contestée
dans un certain délai et que cette institution répond à un motif d'intérêt
général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à
une situation de fait durable, caractérisée par une possession continue et non
interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire ;
D'où
il suit qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question
prioritaire de constitutionnalité ;
PAR
CES MOTIFS :
DIT
N'Y AVOIR LIEU A RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de
constitutionnalité ;
Ainsi
fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé
par le président en son audience publique du six avril deux mille douze.
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