Sansa, Cersei et Tyrion ont décidé de créer à Aix un
centre de remise en forme/spa (leur vie précédente a été un peu difficile et il
est temps de se reconvertir...). Ils ont ainsi signé, le 15 juin 2016, les
statuts de la SARL « aquaesextiae» (ils connaissent bien l’histoire de
la ville et ça fait chic), en désignant Tyrion comme gérant.
Le financement du matériel nécessaire doit être notamment
assuré par un emprunt qui a été́ souscrit dès le 10 juin 2016 par Cersei,
laquelle a agi « au nom et pour le compte de la société́ en formation ». Les
associes ont par ailleurs décidé, le 19 juin 2016, de donner à Tyrion un
mandat de conclure « tous les engagements qui pourraient être pris par le
gérant dans le cadre de l’objet social ». Celui a ainsi signé le 15 juillet
2016, « au nom et pour le compte de la société en formation », un bail portant
sur des locaux. La SARL a finalement été́ immatriculée le 25 août 2015 : erreur dans le cas
pratique, la société a été immatriculée le 25 août non pas 2015 mais 2016.
Depuis le 1er septembre 2016, les créanciers réclament ce
qui leur est dû (remboursement du prêt et loyers). La SARL a déjà̀ payé le
loyer de septembre mais elle considère (l’ingrate !) que c’est à Cersei
d’assumer le reste. Quant au remboursement du prêt, la banque ne veut pas se
compliquer la vie et ne le réclame qu’à Tyrion. Erreur là aussi,ce n’est pas Cersei qui
contracte le bail mais Tyrion, ce n’est pas Tyrion qui contracte le prêt
bancaire mais Cersei.
Cersei et Tyrion devront-ils tout assumer personnellement ?
Si c’est le cas, que faudrait-il faire pour que la société se substitue à eux
?
En l’espèce, 3 associés décident de créer une SARL. Alors
que les statuts ont été signés le 15 juin 2016, les associés ont, pour les
besoins de la société en formation, souscrit à certains engagements, dont un
prêt bancaire et un bail commercial. L’immatriculation de la société n’a eu
lieu que le 25 août de la même année, date à laquelle la société a acquis la
personnalité morale. Néanmoins, les créanciers de la société viennent demander
le paiement de leur compte aux associés.
Ainsi, quel est le sort des
actes passés par une société en formation : les associés ayant agi pour le
compte de la société sont-ils personnellement responsables ou bien, la société
peut-elle reprendre les actes ? Si oui, quelles en sont les conditions ?
En l’occurrence, deux contrats font l’objet de cette
problématique, c’est la raison pour laquelle, il sera successivement étudié le
contrat de prêt (I) puis, le contrat de bail (II).
I.
La reprise du contrat de prêt souscrit par l’associé de la société en
formation
L’un des 3 associés, Cersei, a souscrit un prêt bancaire le
10 juin 2016 pour le financement du matériel. Pour se faire, cette dernière a
agi au nom et pour le compte de la société. Or, malgré l’immatriculation de la
société, l’établissement de crédit ne vient réclamer qu’à cet associé le solde
du paiement.
a.
La conformité aux modalités de reprise
Or, l’article 1843
et L 210-6 du Code de commerce,
applicable à l’espèce puisqu’il s’agit d’une société commerciale, prévoient que
la société peut reprendre les engagements souscrits par les associés pendant la
période de formation si les modalités de reprise sont
respectées. Celles-ci sont prévues à l’article 6 du décret du 3 juillet
1978 qui prévoit notamment que « cet état est annexé aux statuts, dont la
signature emportera reprise des engagements par la société lorsque celle-ci
aura été immatriculée ».
En effet, la loi distingue 3 formes de reprises :
-
La reprise automatique
des actes lorsqu’ils sont recensés dans un état annexé aux statuts, ce mode de
reprise intervient avant la signature des statuts.
-
Le mandat spécial,
intervenant toujours avant l’immatriculation.
-
La reprise
volontaire à la
majorité des associés, qui intervient après l’immatriculation.
En l’occurrence, il est indiqué que l’associé a agi
« au nom et pour le compte » de la société. Il apparaît ainsi que ce
soit la première hypothèse qui concerne ce contrat de prêt. Dans ce cas, la
reprise est automatique si ces actes sont recensés dans un état annexé aux
statuts, leur signature valant ratification des engagements antérieurs.
b.
La conformité à l’acte passé lui-même
A côté des modalités de reprise, il existe des conditions
inhérentes aux actes passés. Un acte pourra être repris si et seulement si
c’est bien un acte juridique, la reprise ne peut pas concerner un fait
délictuel ou quasi-délictuel (Ca Paris, 24 février 1977 : pour des actes
de concurrence déloyale), qu’il a été conclu dans l’intérêt de la
société et au nom de la société en formation. La Cour d’appel de DOUAI dans un arrêt du 6
juillet 2017 a affirmé que les contrats passés au nom même de la
société pendant la période de formation encourent la nullité absolue, puisque
ces derniers ne mentionnaient aucunement que la société était à ce moment-là en
cours de formation et que l’associé concluait pour le compte de la future
société[1].
En l’espèce, les conditions semblent être satisfaites.
c.
Effets de la reprise de l’acte par la société
Par conséquent, tel que le prévoit l’article L. 210-6 du code de commerce, la reprise met à la charge
de la société les actes antérieurs à son immatriculation. Autrement dit,
la reprise entraîne une substitution rétroactive du débiteur : les actes
valablement repris sont réputés avoir été passés dès l’origine par la société
tandis que l’associé qui a passé l’acte est rétroactivement déchargé de toute
obligation personnelle : voir notamment : Civ, 2ème 19 déc. 2002.
Pour sa part, le créancier n’a aucune initiative à prendre
ni aucun avis à donner, bien que la reprise ne lui soit pas toujours profitable
(on passe d’une responsabilité solidaire et indéfinie de l’article 1843 à une
responsabilité limitée de la SARL). Si le créancier voulait conserver un tel
pouvoir, il devrait demander à ce que l’associé se porte caution. Dans
ce cas, la reprise des engagements libère l’associé en tant que débiteur mais
non pas en tant que caution : Cass, civ, 1ère, 26 avril 2000. De
surcroît, il n’y a pas de solidarité entre la personne qui a engagé la société
en formation et la personne morale régulièrement constituée et immatriculée,
mais substitution d’un débiteur à
l’autre : CA Orléans, 22 février 1978.
En conclusion, le créancier ne semble pouvoir agir
directement contre Cersei qui ne s’est pas portée caution, à condition que
l’état soit bien annexé aux statuts. En revanche, la situation semble être plus
délicate pour le second associé.
II.
Le contrat de bail conclu par voie de mandat par l’associé d’une société en
formation
a.
La validité du mandat passé
Le contrat de bail commercial a été conclu également par un
associé le 15 juillet 2016, soit, antérieurement à l’acquisition de la
personnalité morale de la société. Pour ce faire, celui-ci a reçu mandat de
conclure « tous les engagements qui
pourraient être pris par un gérant dans le cadre de l’objet social ». Après
l’immatriculation, le bailleur a demandé à l’associé de régler le loyer alors
même que la SARL s’était d’ores et déjà acquitté du premier loyer.
La reprise des actes passés par une société peut être
automatique lorsqu’ils ont été accomplis en vertu d’un mandat accordé par les
associés à l’un d’eux : soit dans les statuts, soit par un acte séparé. Dans ce
cas, l’immatriculation emporte reprise des engagements conclus au nom de la
société en vertu de ce mandat : Com, 9 octobre 2001. En revanche,
le mandat doit préciser la nature des actes à passer puisque selon un
arrêt du Com, 21 juillet 1987 un mandat
général ne saurait emporter reprise.
En l’occurrence, la rédaction du mandat est assez large : en
effet, il est seulement précisé comme champ matériel « tous les engagements qui pourraient être
pris par le gérant dans le cadre de l’objet social ». Cette
rédaction ne paraît pas satisfaire les canons jurisprudentiels et légaux de
l’article 6 a.3 du 3 juillet 1978 précisant que les engagements doivent être
« déterminés et que les modalités en soient précisées par le
mandat ».
La largesse de la rédaction pourrait empêcher la reprise
valable des actes par l’associé et subséquemment, ferait peser la charge des
obligations souscrites à l’associé dont le mandat s’avère inefficace.
b.
La problématique de la reprise d’acte implicite
Néanmoins, la SARL s’est d’ores et déjà acquitté d’un
premier loyer. Il y a donc eu commencement d’exécution du contrat. Cette
circonstance peut-elle entraîner une reprise tacite, déchargeant l’associé de
toute responsabilité ?
Dans un arrêt du 13
décembre 2001 la Cour répond par la négative. En effet, elle rejette la possibilité de la reprise implicite des actes
conclus pendant la période de formation, en cas de non- respect des
formalités exigées en la matière. Autrement dit, l’irrespect du formalisme
requis pour la reprise des actes ne peut s’opérer tacitement par le seul
paiement de la personne morale.
Sous l’effet conjugué de la rédaction trop générale du
mandat et de la JP sur le commencement d’exécution, il
apparaît que la charge des obligations pèse sur l’associé contractant en
l’absence de reprise de l’acte par la société.
c.
La solution alternative de la reprise des actes en assemblée
Reste néanmoins une solution pour cet associé. En effet, la
reprise peut intervenir postérieurement à l’immatriculation, quelle que
soit la date à laquelle l’acte a été passé, à la suite d’une décision spéciale
prise à la majorité des associés.
Cela doit alors résulter d’une décision expresse qui ne peut
être implicite : Civ, 20 octobre 2002. On parle alors souvent de
« reprise-balai » qui présente l’avantage de ménager les intérêts des
tiers, et des associés qui ont agi sans sacrifier ceux des autres associés
puisque la reprise suppose l’accord exprès de la majorité d’entre eux : art
6 décret.
En l’absence de cette reprise, et conformément à l’article
L. 210-6, l’associé se trouve engagé personnellement. La loi ne visant que
« les personnes qui ont agi » c’est-à-dire celles qui ont
personnellement passé les actes, les associés qui n’ont pas contracté avec les
tiers ne peuvent être poursuivis.
Par conséquent, l’associé risque de
voir peser sur lui la responsabilité de son engagement a fortiori si son
mandat n’est pas reconnu valable. D’autant que, le simple fait pour un
associé d'être cosignataire du bail des locaux affectés à l'activité de la
société n'impliquait pas qu'il pouvait être tenu pour responsable des autres
actes accomplis par son coassocié pour le compte de la société en formation (en
l'espèce, un contrat de location et d'entretien d'un photocopieur : CA
Paris, 3e ch. B, 20 mai 1988.
En conclusion, les actes passés par les associés d’une société en formation
doivent faire l’objet d’une attention méticuleuse pour chacune des parties,
sous peine d’empêcher la reprise des actes par elle. Il convient alors
d’apporter une attention particulière dans le formalisme de ces actes, imposé
par le code de commerce dans un souci de sécurité juridique.
help! :-)
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