La jurisprudence et la justice du travail en droit français

 

B) La jurisprudence et la justice du travail.

 

Il est délicat de dire que la jurisprudence est source du droit et pourtant la jurisprudence sociale joue un rôle majeur dans le développement du droit social en général et du droit du travail en particulier.

S’interroger sur la jurisprudence et la justice du travail c’est essayer de comprendre son influence dans les relations économiques et sociales et cela nécessite de savoir comment elle est structurée. On va relier le rôle de la jurisprudence et l’organisation de la justice du travail.

 

1.      Le rôle majeur.

 

Il est classique de dire ou de constater que la jurisprudence de la chambre sociale de la cour de cassation compétente pour tous les pourvois concernant les relations individuelles et collectives de travail. En matière de sécurité sociale depuis 2004 c’est la 2nde chambre civile qui est compétente.

Il faut conserver à l’esprit le rôle majeur du CE car il y a d’importants développements de droit administratif du travail.

 

Ambiguïté car la jurisprudence de la chambre sociale joue un rôle fondamental mais dans un système de droit qui est censé être d’abord de type écrit avec un code du travail très développé et pour lequel les juridictions n’ont pas vocation à adopter des arrêts de règlement. ART 5 du code civil s’applique en droit social et pourtant la chambre sociale historiquement souvent jouait un rôle décisif pour certes compléter la loi ou le règlement mais aussi pour provoquer des évolutions importantes du droit positif. On peut dire que spécialement à partir des années 1970 crises économiques, la chambre sociale a adopté un idéal progressiste de protection du travailleur avec des positions très fortes, innovantes parfois critiquées sur un plan économique et si la Cour de cassation ne rend pas des arrêts de règlement, ses grands arrêts de principe sont ensuite suivis par les juges du fond, du travail et l’autorité de cette jurisprudence, fait que la probabilité ensuite d’avoir une décision récurrente de la part de la Cour de cassation, conduit les juges du fond à limiter leur capacité de résistance.  

 

À cette fin, les techniques pour maximiser cette autorité sont variées : arrêts de principe, arrêts rendus en assemblée plénière (port du voile) mais aussi formation plénière de la chambre sociale permettent d’assoir son autorité. Il y a aussi le mode de diffusion des arrêts, rapportés au rapport annuel de la Cour de cassation, au bulletin ou encore lorsqu’ils sont sur le site internet de la Cour de cassation.

Dans les arrêts de principe il y a des visas très éloquents et qui visent à dégager des principes de tradition jurisprudentielle ou de l’esprit de loi antérieur.

Par ex chambre sociale de la Cour de cassation ce principe général dégagé dans l’arrêt de 1996 très précurseur en matière d’égalité de rémunération au travail « à travail égal salaire égal »

 

Sous couvert de la règle tout travail mérité salaire le CE a dit que le SMIC devait être considéré comme un principe général du droit.

 

Il y a des résistances de la part des juges du fond qui reposent sur des arguments de droit, car divergence de point de vue juridique. Et pour évoquer une résistance des juges de première instance on peut invoquer notamment l’application du barème Macron.

 

Forte divergence de point de vue se manifeste dès la première instance et cette divergence peut aussi s’expliquer par le fait que ce sont les premiers juges, les juges du fait qui peuvent contester les décisions appliquées par la Cour de cassation.

 

La cour de cassation contrôle la qualification des faits, le régime probatoire.

Par ex : la chambre sociale confirme le pouvoir souverain des juges du fond pour apprécier les faits allégués à l’occasion d’un harcèlement moral/sexuel. Mais, elle n’hésite pas à préciser que les juges du fond doivent appliquer une méthode particulière : apprécier la globalité des faits et non les faits un par un.

 

La règle est que les premiers juges sont souverains pour apprécier les faits. Et pour une raison assez simple, contrairement à ce qu’on lit y compris sur le site de la cour de cassation, la cour de cassation n’est pas une cour suprême même si il y a des évolutions récentes qui montrent tout de même une évolution dans la pratique de la procédure de cassation qui augmente encore les pouvoirs de cette haute juridiction.

 

Par ex : loi dite justice 21 de 2016 18 novembre a prévu dans un ART L411-3 du COJ a prévu que la cour de cassation pouvait statuer au fond si cela permettait une bonne administration de la justice.

Plus récemment la Cour de cassation a modifié la technique de rédaction de ses arrêts > transition intellectuelle par rapport au rôle de la Cour, car désormais les arrêts les plus importants de la Cour de cassation, font l’objet d’une motivation enrichie. Cela veut dire qu’il y a une série de paragraphe où l’arrêt prend la forme d’une dissertation.

La pratique de la cassation évolue et son influence aussi.

 

3 exemples qui sont des marqueurs historiques :

 

-     Arrêt du 10 juillet 1996> arrêt qui vise la force obligatoire du contrat ART 1103 du code civil. Il s’appuie sur le code civil pour protéger le salarié du pouvoir unilatéral de l’employeur. Décision qui modifie ce rapport de pouvoir dans le contrat car antérieurement l’employeur avait le droit de procéder à des modifications non substantielles du contrat de travail. Donc toute la question était de savoir ce qu’était une modification substantielle ou non substantielle. Cet arrêt a été adopté sous l’influence du Doyen Waquet. Mais qu’est ce qui relève du contrat ? Qu’est ce qui n’en relève pas ?

 

Par ex : salarié qui gagné 2000€ si employeur retire 100€ est ce une modification substantielle ou non ?

Avec cet arrêt l’employeur s’est vu interdire toute modification unilatérale du contrat. La foire obligatoire du contrat s’applique et l’employeur doit automatiquement obtenir l’accord du salarié. Donc cela réduit son pouvoir unilatéral.

 

Notre code du travail actuel indique à l’ART L1221-1 que le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun.

 

-     Arrêt du 10 juillet 2002> concerne les clauses de non concurrence. La chambre sociale procède à un revirement de jurisprudence pour considérer de façon radicale que désormais pour apprécier la validité d’une clause de non concurrence prévue dans le contrat de travail, il fallait vérifier que cette clause prévoit une contrepartie pécuniaire spécifique et distincte du salarié proprement dit. La clause doit être nécessaire, protéger les intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, tenir compte de la spécificité de l’emploi et le juge exerçant un contrôle de proportionnalité. Pour procéder à ce revirement la chambre sociale vise un principe de liberté d’exercice d’une activité professionnelle.

 

-     Arrêt du 28 février 2002> la Cour de cassation, en matière d’accident du travail, se prononce sur les affaires des maladies contractées au titre de l’amiante. Pour combattre le régime de la réparation forfaitaire en terme d’accident du travail mais aussi pour ouvrir la réparation intégrale, la cour a re défini la faute inexcusable de l’employeur et considère que l’employeur était débiteur d’une obligation de sécurité de résultat, en vertu du contrat de travail. Forçage du régime de réparation des accidents du travail.

 

Si bien que cette décision rendue par la chambre sociale en matière de sécurité sociale a toujours une influence en droit de la sécurité sociale qui est un contentieux qui relève désormais de la 2e civ. Il a fallu un combat judiciaire pour qu’en droit du travail la chambre sociale dans un arrêt Air France de 2015 considère que désormais l’obligation de sécurité de l’employeur était une obligation légale de moyens. Quand l’employeur démontre qu’il a respecté les mesures de prévention il peut s’exonérer de sa responsabilité.

 

On passe d’une obligation de résultat à une obligation légale de moyens.

 

Si on fait une analyse sociologique et politique on constate que le législateur est intervenu pour réguler ce rôle trop créateur de la cour de cassation. Il l’a fait de différentes façons, parfois il a fait basculer un contentieux de l’ordre judiciaire vers l’ordre administratif. En 2013-2014 le législateur a décidé de faire en sorte que le contentieux des plans sociaux PSE dont la validité avant ressortait du juge judiciaire, bascule chez le juge administratif car les PSE font l’objet d’une homologation de l’inspection du travail.

De plus, le second outil est de limiter le pouvoir d’appréciation du juge et l’exemple topique est le rôle que joue le barème Macron.

Enfin, on assiste au développement des prescriptions courtes en terme de délai pour agir, en droit du travail. L’ART L1471-1 précise quelles sont ces prescriptions : 1 an pour agir en contestation de la rupture du contrat de travail, 2 ans lorsque le litige porte sur l’exécution du contrat de travail, 3 ans pour le salaire (avant 5 ans), 5 ans pour toutes les questions relatives aux discriminations au travail, au harcèlement.

Entre 10 et 30 ans l’évolution de la jurisprudence peut avoir des incidences considérables.

 

2.      L’organisation de la justice du travail.

 

a)      Le dualisme juridictionnel.

 

En droit du travail il y a une répartition du contentieux qui s’oriente vers le juge administratif et cette répartition est suffisamment importante pour dire qu’on ne peut pas parfaitement affirmer que le droit du travail est une matière qui relève exclusivement du droit privé. Une part importante du contentieux administratif existe notamment les fonctionnaires.

Il y a un certain nombre de litige orienté vers les TA : REP contre des textes réglementaires, en droit du travail souvent des arrêtés, des décrets qui peuvent conduire à des contentieux administratif

Par ex : actuellement pour la fermeture des bars et restaurants c’est le TA qui s’est prononcé, arrêtes préfectoraux pour le repos dominical aussi, ou encore des référés suspensions qui peuvent être pratiqués devant le CE pour essayer de combattre le barème établi par l’ordonnance de 2017 avant ratification de la loi.

Statut d’entreprises publiques industrielles et commerciales : textes réglementaires aussi.

 

Il va y avoir des contentieux bien ciblés qui vont se déployer devant le juge administratif :

Par ex : contentieux relatif à l’autorisation administrative de licenciement des salariés protégés.

Contentieux relatif à la contestation de la validité des PSE ART 1235-7-1.

 

Le législateur fair le choix du juge administratif car il va s’agir de discuter une autorisation, un refus de l’inspection du travail.

Pour l’exemple des salariés protégés> exerce un mandat membre élu du CSE ou encore délégué syndical ou encore lorsqu’il est conseiller prud’homme, l’employeur quand il veut le licencier  il devra obtenir l’autorisation de l’inspection du travail. Si pas d’autorisation licenciement annulé donc possibilité de réintégration et de D et I.

 

Pour l’exemple de la contestation de la validité des PSE> lorsque l’employeur entend procéder à un licenciement collectif, et que l’entreprise a au moins 50 salariés il doit établir un plan de sauvegarde qui peut être contractuel (accord collectif signé) ou à défaut va être adopté unilatéralement par l’employeur.

Si contractuel : l'administration du travail va valider l’accord collectif.

Si unilatéral : homologation du PSE.

 

Tous les litiges afférents aux PSE relèvent des TA à l’exclusion de tout autre recours : bloc de compétence crée par le législateur qui fait qu’il y a une unité du contentieux autour de ces questions là. Le législateur a organisé une procédure particulière car il faut que le recours soit intenté dans les deux mois, le TA a trois mois pour statuer, s’il ne le fait pas dans les 3 mois l’affaire est automatiquement transmise à la CAA, l’affaire est directement transmise au CE si le délai est dépassé.

 

Il fut un temps où l’on avait du mal à déterminer la compétence du juge administratif ou judiciaire lorsque le salarié était embauché par une personne morale de droit public.

Dans ce problème de répartition une jurisprudence importante a pris position le 25 mars 1996 TC dans l’arrêt Berkani : critère matériel si l’employeur est une PM de droit public qui exerce une mission publique, le litige ressort du juge administratif et donc si on reconnait l’existence d’un contrat de travail ça sera un contrat de droit public et non pas un contrat de droit privé.

Un exception est notable : lorsque la loi elle même précise la nature du contrat ou qui oriente ou détermine le juge compétent.

 

Par ex : certains contrats spéciaux d’aide à l’emploi, parfois ces contrats conclus par une municipalité, une CT sont des contrats de droit privé donc juge judiciaire compétent.

Lorsque la loi désigne le juge compétent en matière de rupture conventionnelle individuelle du contrat de travail, cette rupture amiable va être homologuée par l’inspection du travail. La loi indique un bloc de compétences au profit du conseil des prud’hommes.

 

Il y a des nuances que consacre parfois le TC : magistrats du CE et de la Cour de cassation, dans une décision du 17 octobre 2011 a dit que le juge incompétent doit surseoir à statuer si la question relève de l’autre ordre.

Il y a une hypothèse qui permet de s’affranchir du problème de compétence c’est lorsque la question de l’égalité pose un problème qui concerne le droit de l’UE. Dans ce cas là, pour des raisons qui relèvent du respect du délai raisonnable, du bon fonctIonnement des juridictions mais aussi et surtout du principe de primauté du droit de l’UE. Si le juge constate qu’il y a une juridiction constante de l’autre ordre qu’il peut utiliser il peut alors ne pas surseoir à statuer et trancher la question qui aurait du relever de l’autre ordre juridictionnel. Primauté du droit de l’UE.

 

b)      Le juge civil (le tribunal judiciaire).

 

Désormais nous n’avons plus de TI et TGI mais juridiction unique que l’on doit à la loi de programmation de la justice 2018-2022. Cette loi de programmation a modifié les termes et l’organisation du juge civil. Quand on a posé ce rappel, il est bon de dire que le tribunal judiciaire exerce un certain nombre de compétences sociales c'est à dire en droit de la sécurité sociale d’une part mais aussi et surtout en droit du travail.

 

Sécurité sociale> depuis la réforme de 2016 J21 le contentieux de la sécurité sociale a été réformée pour qu’une compétence unique soit attribuée à des TGI spécialement désignés pour traiter de ce contentieux. Ces TGI se sont substitués aux anciens TASS mais aussi aux tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI). Au sein des TGI formations spécialisées pour la sécurité sociale.

 

TJ compétences non négligeables car ce sont eux qui connaissent l’essentiel des litiges collectifs du travail c'est à dire ceux qui ne concernent pas la conclusion, l’exécution ou la rupture du contrat de travail.

Par ex : Si problème relatif au fonctionnement et à l’organisation des CSE c’est le TJ qu’il faut saisir.

Contentieux très dense et développé qui existe devant le TJ relatif aux élections professionnelles et à la désignation des délégués syndicaux.

 

Dès lors qu’on est en présence d’un litige collectif TJ compétent donc règles du CPC. La plupart des contentieux cités nécessitent une application de la procédure avec représentation obligatoire.

Nuance du contentieux électoral procédure orale et représentation non obligatoire.

Avant la réforme tout le contentieux électoral se déployait devant le tribunal d’instance, donc conservation de cette nuance procédurale.

 

-     Comment distinguer un litige collectif d’un litige individuel ?

 

Il faut que le litige soit sans rapport avec un contrat de travail individuel mais surtout que la demande effectuée, spécialement si faite par un salarié, ne vise pas à réclamer l’application d’un droit ou d’un avantage individuel. Considéré comme irrecevable si à l’occasion de ce litige il ne demande pas l’avantage individuel qui résulte de l’accord.

 

Conseil des prud’homme : litige individuel

TJ : litige collectif

Le litige collectif sans rapport avec un contrat individuel de travail au titre duquel un salarié ne réclame pas l’application d’un droit individuel. Comme la demande est individuelle le juge prud’homal est compétent.

Si un salarié saisi le conseil pour forcer l’employeur à appliquer pour l’avenir la prime de 13e mois qui résulte de l’accord collectif (doit être interprété) il forme une demande collective donc il va devoir saisir le TJ.

 

-     Le TJ est le juge naturel pour statuer sur la validité et sur l’annulation d’une convention ou d’un accord collectif de travail : les reformes ont précisé ce pouvoir et pour éviter trop d’insécurité juridique, la loi est intervenue pour permettre au juge qui annule un accord ou une convention collective de moduler dans le temps les effets de sa décision si cette modulation se justifie au regard des conséquences que pourrait avoir une annulation de la convention collective.

 

Il y a cependant des exceptions puisque le TJ peut être amené à statuer dans le litige individuel de travail. La première exception c’est qu’il est exclusivement compétent pour statuer sur les litiges qui concernent les marins, le contrat de travail des gens de mer. Vrai pour les marins qui relèvent désormais du code des transports et pour que le code des transports s’applique à ces salariés particuliers il faut que ce soit un navire sous pavillon français.

 

Le TJ est considéré comme la juridiction de suppléance en cas de dysfonctionnement d’un conseil des prud’hommes.

Par ex : blocage des voies et dans ce cas là l’affaire va être attribuée devant un juge départiteur qui relève du TJ.

 

c)      Le juge prud’homal.

 

La juridiction prud’homale est la juridiction de première instance dotée d’une compétence exclusive pour statuer sur les litiges individuels du travail qui concernent les employeurs et salariés placés dans un rapport de droit privé.

Le texte de référence en la matière est l’ART L1411-1 du code du travail.

Cette compétence est historique car très tôt il a été admis que les différends du travail puissent être réglés plutôt par voie de conciliation par les paires c'est à dire par les représentants des employeur mais aussi des travailleurs. Cette institution a évolué de sorte à ce qu’elle bénéficie des prérogatives juridictionnelles pleines et entières.

Aujourd'hui le conseil des prud’hommes rend la justice prud’homale qui est une juridiction que l’on qualifie de paritaire à deux égards :

-     Composée de représentants des employeurs mais également de représentants de travailleurs salariés

-     Chaque formation est composée d’un nombre égal de chacun de ces deux collèges.

 

Quand il y a blocage l’affaire est transmise à un juge départiteur en présence des conseils prud’hommes et si la formation n’est pas complète le juge peut statuer seul.

La formation de départage si la formation est complète est composée du président du juge départiteur et des conseillers prud’hommes.

Désignation conjointe par le ministre du travail et le ou la garde des sceaux pour les conseillers prud’homales.

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